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celle de l'énergique fille du lâche Gaston! Elle fait tirer le canon de la Bastille sur les troupes du roi, elle commence par être une héroïne de roman et elle disparaît de la scène du monde comme un personnage de comédie, grâce à son absurde mariage avec le beau Lauzun.

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Racan et

Chapelain.

A côté de Mlle de Bourbon et de Mlle de Montpensier nous voyons à l'Hôtel de Rambouillet, Mlle Paulet, la belle lionne à la chevelure d'or, et Mme de Sablé, une des plus aimables femmes qu'il y eût jamais. Nous rencontrons aussi Malherbe à la fin de sa carrière, son disciple Racan, le poète des Bergeries, inspirées par "l'Astrée," Balzac, Conrart et Chapelain, de l'Académie Française. Arrêtons-nous ici au nom de Chapelain. Ce poète fut l'arbitre du bon goût, le dispensateur des bénéfices de Richelieu, il fut un homme honorable, il protégea les gens de lettres, mais il écrivit la lourde "Pucelle," poème épique, et ses vers martelant le bon sens écrasèrent sa renommée. Ce fut une des victimes de Boileau, ainsi que Cotin, hôte lui aussi, ainsi que Ménage, de l'Hôtel de Rambouillet. Que faisaient donc les hôtes de la marquise dans les petites pièces de son hôtel, dans la chambre bleue, et plus tard dans la loge de Zirphée, grand cabinet construit mystérieusement par la châtelaine pour surprendre ses invités? "Vers 1616," dit le bibliophile Jacob, "l'évêque de Luçon, Armand du Plessis, avait soutenu devant un auditoire d'élite une thèse d'amour, qui témoigna de son talent dans l'art de bien dire. Bossuet, encore adolescent, y prononça son premier sermon." Fléchier fréquen

Les
Précieuses.

tait aussi l'hôtel, Corneille y lisait ses tragédies, enfin les écrivains venaient chercher dans une société éclairée l'encouragement qu'ils ne trouvaient point encore ailleurs. La société de Mme de Rambouillet exerça de cette manière une influence bienfaisante, elle créa aussi, pour ainsi dire, l'art de la conversation, mais cette conversation, à force de vouloir être raffinée, devint alambiquée, quelque peu affectée, et, mal comprise, donna naissance à la langue des "Précieuses Ridicules" et des "Femmes Savantes." Voici la définition que donne l'abbé de Pure des Précieuses: "Ainsi aujourd'hui on appelle les Précieuses certaines personnes du beau sexe qui ont su se tirer du prix commun des autres et qui ont acquis une espèce et un rang tout particulier." Nous comprenons par cette définition qu'une vraie Précieuse, comme Arthénice, pouvait devenir assez facilement une Précieuse ridicule, comme Polyxène. L'Hôtel de Rambouillet fut une école de politesse et d'urbanité, mais on ne peut nier qu'elle ne fût indirectement la cause du pédantisme et de l'affectation qu'attaquèrent si rudement Molière et Boileau. L'alcôve et la ruelle prirent probablement naissance chez Catherine de Vivonne, parmi ces gens qui dansaient et jouaient aux bouts-rimés, mais qui aussi dissertaient à perdre haleine sur des sujets de galanterie, qui “savaient leur Amadis par cœur" et comprenaient admirablement la Carte de Tendre.

Nous voici en présence de Mlle de Scudéry et de son frère Georges. Avant de faire leur connaissance jetons encore un coup d'œil sur quelques autres personnes distinguées que nous voyons chez l'aimable marquise, D'abord, le grand Condé lui-même,

homme d'esprit et de goût autant que grand guerrier, qui recevait à Chantilly Molière et Tartuffe proscrit, mais avec qui il n'était pas toujours bon de discuter, d'après la remarque de Boileau, citée par SainteBeuve: "Dorénavant, je serai toujours de l'avis de Monsieur le Prince, surtout quand il aura tort." Dans le même cabinet que Condé se trouvent Scarron, Mme de Sévigné et Mme de La Fayette, mais nous retrouverons ailleurs l'époux de Mile d'Aubigné et les deux charmantes amies que nous venons de nommer, revenons à M1le de Scudéry, dont le portrait ne serait pas à sa place hors de l'Hôtel de Rambouillet.

Madeleine de Scudéry naquit en 1607 et mourut en 1701. Pendant cette longue vie elle écrivit ses longs romans qui la rendirent célèbre de son

temps et ridicule de nos jours. Si elle Mile de ne fut pas la première fille du monde elle

nom.

Scudéry.

ne mérite pas non plus le ridicule qui s'attache à son Elle représente une époque intéressante de la société française, telle que nous la voyons à l'Hôtel de Rambouillet, et malgré les attaques de Boileau, elle jouit jusqu'à sa mort du respect de ses contemporains. Gomberville avait créé en 1632 par son "Polexandre" le genre des romans à beau langage et représentant les personnages du temps sous des noms empruntés à l'histoire. La Calprenède succéda à Gomberville, et sa "Cléopâtre," en vingtquatre volumes (1647-48), fit les délices du temps jusqu'à ce que parurent "Artamène ou le Grand Cyrus" (1649-53) et "Clélie, histoire romaine" (1656), en dix volumes chacun. Ces romans de Mlle de Scudéry avaient pour héros les contemporains de l'auteur et elle-même se représente

sous le nom de Sapho. Le portrait de celle-ci est légèrement flatté, surtout au point de vue du physique, s'il faut en croire Tallemant des Réaux qui disait d'elle: "C'est une grande personne maigre et noire, et qui a le visage fort long." Son esprit était supérieur à sa beauté et elle donna d'excellents conseils aux femmes à propos de leur éducation. Elle tâcha de faire régner la politesse et le raffinement autour d'elle, mais elle tomba souvent dans l'affectation et la subtilité. Rien n'est

"La Carte de Tendre."

plus curieux que la Carte de Tendre que nous trouvons dans "Clélie." Cette géographie de l'amour paraît étrangement déplacée dans le milieu dans lequel elle se trouve, mais elle eut une si grande popularité qu'il faut mentionner le Lac d'Indifférence, les Fleuves Inclination, Estime, Reconnaissance, la Mer Dangereuse et les villages de Petits Soins et autres. Me de Scudéry brilla longtemps à l'Hôtel de Rambouillet, puis elle eut son propre salon, ses Samedis. Elle avait plus de jugement et de talent que son frère Georges, qui prit part à la querelle du "Cid"; à tout prendre, cependant, on est forcé d'arriver à la conclusion que Boileau eut raison d'attaquer "Cyrus" et "Clélie." L'Hôtel de Rambouillet, après la Fronde, n'était plus nécessaire, la marquise avait rempli un rôle important, mais lorsque le goût eut été épuré on oublia la loge de Zirphée et les livres de Me de Scudéry. Le grand Condé et Mme de Sévigné avaient lu avec délices 'Cyrus" et "Clélie "; ils devaient bientôt les abandonner pour d'autres œuvres d'un génie bien plus grand.

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L'ACADÉMIE FRANÇAISE.

Ce furent les Italiens qui donnèrent aux Français l'idée des Académies littéraires au XVIe siècle, quoiqu'il existât déjà plusieurs académies poétiques, dont la plus célèbre fut celle des Jeux Floraux de Toulouse, fondée au XIVe siècle. Marguerite de Valois, première femme de Henri IV, établit dans sa maison, en 1605, une académie à laquelle appartenaient Desportes, Régnier, l'historien Dupleix et le grammairien Coëffeteau. Il y eut encore plusieurs autres sociétés littéraires à Paris, mais celle qui devait donner naissance à l'Académie Française fut instituée en 1629. Plusieurs littérateurs formèrent le projet de se réunir pour "conférer ensemble des productions de leur esprit et pour se perfectionner mutuellement." Les plus connus de ces gens de lettres étaient Chapelain, Godeau, le nain de Julie, et Conrart, chez qui les réunions avaient lieu. Pendant quatre ans les séances furent secrètes, mais Boisrobert, un des poètes domestiques de Richelieu, ayant été admis à une des séances en fut si enchanté qu'il en parla au Cardinal. Celui-ci alors "demanda à M. Boisrobert si ces personnes ne voudraient pas faire un corps et s'assembler régulièrement et sous une autorité publique." Ce désir de Richelieu fut reçu comme un ordre par Conrart et ses amis et ils se mirent à préparer les statuts de la future Académie Française. Les lettres patentes furent signées par le roi, le 2 janvier 1635, et le grand ministre se déclara le protecteur de l'Académie. Plus tard ce rôle fut rempli par le chancelier Séguier, par Colbert et par Louis XIV lui-même, qui donna un domicile au Louvre à la célèbre société

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