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il fut absolu, et le despotisme anéantit les plus belles qualités. Ne blâmons pas non plus ces hommes qui l'adorèrent presque, et ne les accusons pas de servilité, car, comme nous l'avons déjà dit, ils faisaient acte de patriotisme en louant le roi, qui était la personnification de la patrie. Disons aussi que Louis XIV mérita, jusqu'à un certain point, l'hommage qu'on lui rendait. Il commit bien des fautes, mais on peut beaucoup pardonner à l'homme dont le bon goût réagit sur son siècle, à l'homme qui protégea Molière et permit de jouer “Tartuffe.” Laissons donc au XVIIe siècle le nom de Siècle de Louis XIV.

MALHERBE ET BALZAC.

Nous avons nommé Régnier parmi les auteurs du XVIe siècle, quoiqu'il fût plus jeune que Malherbe ; c'est que celui-ci posséda cet esprit d'ordre, cet amour de la forme qui caractérisèrent le XVIIe siècle, et dont il fut en partie l'inspirateur. Né à Caen en 1555 Malherbe alla en Provence en 1581

Malherbe.

et y vécut vingt ans. Ses premiers vers furent médiocres, mais son génie se révéla dans sa belle ode à Du Perrier sur la mort de sa fille. Henri IV l'attira à Paris et, pendant plus de vingt ans, il se consacra à la tâche de réformer la poésic française. Pour arriver à son but il lui fallut d'abord attaquer Ronsard, et ce n'était pas chose facile. Il se servit d'une langue simple et soumit le vers à des règles immuables qui le rendirent plus clair, plus concis, plus méthodique, plus uniformément harmonieux. Il voulait dégasconner la cour et prit pour maîtres du langage les "crocheteurs du Port au Foin," c'est-à-dire que la langue de Paris fut pour lui le modèle. Il travaillait

beaucoup ses vers et fut aussi sévère pour lui que pour les autres; on l'appelait à bon droit le "tyran des mots et des syllabes," et quoiqu'il ne fût pas réellement un grand poète, pas aussi grand que Ronsard, qu'il contribua à détrôner, il produisit quelques poèmes justement admirés et eut une grande influence sur ses successeurs. S'il ne fut pas autant réformateur de la langue poétique que le dit Boileau, son rôle fut important, et les services qu'il rendit à la versification peuvent être comparés à ceux que rendit Balzac à la prose.

Balzac.

Balzac naquit à Angoulême en 1597 et mourut en 1654. Il vécut principalement en province et ne venait que rarement à Paris, où nous aurons l'occasion de le rencontrer à l'Hôtel de Rambouillet. Il fut surtout célèbre pour ses lettres et donna le modèle de l'éloquence en prose, c'est-à-dire qu'il donna un soin extrême au style et sut le rendre noble et imposant. Ses œuvres nous paraissent aujourd'hui pédantesques et lourdes, mais elles furent utiles. Après Balzac il n'y eut pas autant de tâtonnement et le style devint plus stable. Les grands écrivains modifièrent, corrigèrent la langue de Balzac, mais elle servit de modèle à un grand nombre d'entre eux. Il manquait, cependant, à la prose française, au commencement du XVIIe siècle, la grâce et la légèreté, voyons dans quelle société nous trouverons ces deux qualités essentielles.

L'HÔTEL DE RAMBOUILLET.

Catherine de Vivonne, fille du marquis de Pisani, épousa à l'âge de douze ans, le 26 janvier 1600, Charles d'Angennes, qui fut plus tard marquis de Rambouillet.

Elle ne se plaisait point au Louvre, où la cour du Béarnais n'était guère raffinée et voulut avoir une société à elle. Elle fit bâtir à Paris, près de l'Hôtel de Chevreuse et du jardin des Quinze-Vingts, un Hôtel dont elle donna elle-même le plan et qui fut grandement admiré. Elle n'eut pas de grandes salles avec un escalier au milieu, mais des escaliers par côté et de petits cabinets, qui pouvaient contenir dix sièges, et une chambre à coucher contenant dix-huit sièges. On ne pouvait donc recevoir qu'un nombre restreint de personnes, et celles-ci devenaient des amis intimes de la maîtresse de la maison. Arthénice, d'ailleurs, comme on appelait Mme de Rambouillet, d'après l'anagramme de son nom, Catherine, était une charmante personne, pleine de tact et de goût, et dit Tallemant des Réaux, "elle n'a jamais rien voulu que de raisonnable." Elle réunit chez elle une société élégante et polie et contribua puissamment à ramener la décence dans les mœurs et dans le langage. Elle aimait les bergeries ct "l'Astrée." Le long roman pastoral de d'Urfé, où l'auteur consacre quelques pages gracieuses à la description du Lignon, rivière fameuse entre toutes, fut une œuvre originale inspirée, peut-être, par la Diane de Montemayor, et mérita, jusqu'à un certain point, l'immense popularité dont il jouit. Mme de Rambouillet reçut chez elle les grands seigneurs et les bourgeois, les hommes de lettres et les savants, et fut dignement secondée par sa fille, la belle Julie d'Angennes. Mlle de Rambouillet était la fée du fameux hôtel et tous les visiteurs succombaient à ses enchantements. "Après Hélène," dit encore Tallemant, "il n'y a guère eu de personne dont la beauté ait été plus généralement chantée.

Cependant ce n'a jamais été une beauté." Le marquis de Montausier lui fit la cour, fut un mourant, selon le langage de l'époque, pendant treize ans, mais ne réussit à conquérir le cœur de sa belle, que grâce à une galanterie des plus délicates, il lui présenta "la guirlande de Julie."

"La

Voici ce qu'en dit Cousin dans "La Société Française au XVIIe Siècle":"Elle est de l'année 1641. C'était, ou plutôt c'est encore un bel infolio relié en magnifique maroquin rouge Guirlande et doublé de même, portant au dehors et de Julie." au dedans le chiffre entrelacé de J. L., Julie-Lucine. "Le frontispice est une guirlande avec ce titre: La Guirlande de Julie pour Mue de Rambouillet, Julie Lucine d'Angennes. Sur le premier feuillet est peint un zéphyr tenant dans la main droite une rose et dans la gauche une guirlande de fleurs, au nombre de vingt-neuf, qu'il souffle légèrement sur la terre. Puis viennent de nombreux feuillets qui contiennent séparément les vingt-neuf fleurs peintes de la main du fameux peintre de fleurs, Robert, chacune accompagnée d'un madrigal admirablement écrit par Jarry. La plupart de ces madrigaux sont de Montausier luimême, les autres, des poètes de l'hôtel de Rambouillet, parmi lesquels ne se trouve pas Corneille, à qui, mal à propos depuis deux siècles, on attribue des vers de Conrart." Le cœur de la belle Julie fut touché par la galanterie de M. de Montausier, mais elle ne l'épousa que quatre ans plus tard, en 1645. Mme de Montausier devint plus tard dame d'honneur de Marie-Thérèse et aida beaucoup son mari, qui était aussi opiniâtre qu'honnête. Mme de Rambouillet disait de lui: "Il

est fou à force d'être sage." Il fit une traduction de Perse en vers français.

Voiture.

Le

Parmi les auteurs des madrigaux de la célèbre Guirlande nous ne voyons pas le nom de Voiture. marquis ne l'aimait pas, quoique celui-ci fût l'ami le plus intime de Mme de Rambouillet et de sa fille, et les ravît par son esprit élégant et gracieux, où perce un peu d'affectation, de précieux. Voiture, fils d'un marchand de vin, fut poète à quinze ans et devint un des principaux commensaux de l'Hôtel de Rambouillet, où il lisait son sonnet à Uranie, rival de celui de Benserade sur Job. Ce sont ses lettres qui sauvèrent son nom de l'oubli; il ajouta à la prose française la grâce et la légèreté, et mérite d'être placé à côté de Balzac. Tout roturier qu'il était il fut ami de princes et de princesses, et parmi ces dernières mentionnons Mlle de Bourbon, qui fut plus tard la séduisante duchesse de Longueville. Elle brilla à l'Hôtel de Rambouillet par sa beauté et son esprit et joua ensuite un rôle politique pendant la Fronde. Sœur du grand Condé, elle a l'énergie de sa race, et attire Larochefoucauld et les plus grands seigneurs dans le parti contre le Mazarin. Coligny et Guise se battent en pleine rue pour elle, et elle assiste cachée derrière une fenêtre à ce duel où Coligny est tué. Par l'influence qu'eut Mme de Longueville nous pouvons comprendre le rôle important de la femme pendant la première moitié du XVIIe siècle. N'était-ce pas alors que vivait aussi Mlle de Montpensier, qui écrivait la "Princesse de Paphlagonie," où elle fait les portraits de Mme de Rambouillet et de sa fille? Quelle étrange carrière que

Mme de
Longueville.

M1le de

Montpensier.

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