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du roi. Ils eurent, cependant, la hardiesse ou plutôt le malheur de représenter Mme. de Maintenon comme une fausse prude, et Louis les chassa avec ignominie. Ils revinrent en France pendant la Régence, mais abandonnèrent l'usage de la langue italienne. Disons ici que le célèbre Goldoni fit partie de la troupe italienne au XVIIIe siècle et

écrivit pour eux des comédies en français.

Larivey.

L'influence de la comédie italienne se fit sentir en France, non seulement par la commedia dell' arte, mais aussi par la comédie régulière ou écrite introduite par Pierre de Larivey, né en Champagne en 1550. Nous avons de lui neuf comédies imitées de l'italien ou adaptées, selon l'expression actuelle. Les comédies de Larivey sont intéressantes en ce qu'elles sont écrites en prose. Déjà Jean de la Taille avait traduit en prose deux pièces de l'Arioste, et Louis le Jars avait écrit en 1574 sa "Lucelle," mais ces ouvrages n'eurent aucune influence sur la littérature française. Larivey est réellement le premier comique qui écrivit en prose; il publia ses six premières comédies en 1579, et les trois dernières en 1611, un an avant sa mort. De ces neuf comédies, les meilleures sont, "les Esprits," tirés de l'" Aridiosio" de Lorenzino de Médicis, et "le Fidelle," tiré du "Fidele" de Luigi Pasqualigo.

"Les Esprits" commencent par un amusant prologue, où l'auteur annonce que les écrivains de l'antiquité, ses prédécesseurs, ont dit tant de belles choses qu'ils ne lui ont rien laissé à dire. De même que Plaute a copié Epicarme, et Térence a copié Ménandre, lui, à son tour, copiera Plaute et Térence.

La pièce est bonne et le caractère de Séverin, l'avare, nous rappelle Harpagon. Il est à regretter que la grossièreté de l'intrigue ne permette pas de l'analyser, quoique quelques scènes soient très amusantes, surtout celle où les esprits apparaissent au crédule vieil avare. "Le Fidelle" est beaucoup plus long qu'une comédie ordinaire et les incidents sont si nombreux qu'il serait impossible de les raconter, même si le caractère extraordinaire des différentes aventures permettait de les mentionner. Non seulement il n'y a aucune unité de temps et d'unité de lieu, mais rien qui ressemble le moindrement à l'unité d'action. Néanmoins, la pièce est intéressante et nous paraît plutôt un roman qu'une œuvre dramatique. Nous y voyons un matamore et un pédant, qui termine la comédie en disant à l'auditoire qu'il va étudier jusqu'à minuit, mais "interim valete et plaudite."

La comédie de la Renaissance, de même que la tragédie, est dans une époque de transition, elle prépare, cependant, la voie pour le grand comique du XVIIe siècle, le contemplateur Molière.

TROISIÈME PARTIE

LE DIX-SEPTIÈME SIÈCLE

CHAPITRE I

LOUIS XIV, L'HÔTEL DE RAMBOUILLET, L'ACADÉMIE
FRANÇAISE

Louis XIV.

LORSQUE le dernier des Valois tomba en 1589 sous le couteau de Jacques Clément, le Béarnais saisit la couronne d'une main ferme et sut la conserver, malgré l'opposition des Ligueurs et des Espagnols. On ne saurait trop appeler l'attention sur le caractère de Henri IV, cet homme si énergique, d'un si grand génie et en même temps si fin. "Il vient, dit-il, se mettre en tutelle entre les mains de ses notables, envie qui ne prend guère aux rois, aux barbes grises et aux victorieux," et quand Gabrielle lui en fait le reproche, il ajoute en souriant que c'est l'épée au côté qu'il l'entend. Il rétablit l'ordre, à l'aide de Sully, il donne à son peuple la liberté religieuse, et la France tranquille et prospère, prépare un grand siècle littéraire. A la mort de Henri IV les troubles recommencent, sous Marie de Médicis, mais bientôt Armand Duplessis entre au conseil, devient

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premier ministre et reprend la politique du Béarnais. Il abaisse la maison d'Autriche, anéantit le pouvoir politique des protestants, brise l'orgueil des seigneurs et rend son roi absolu et puissant. Le despotisme établi par Richelieu est ébranlé par la Fronde, mais l'astuce de Mazarin le maintient, et lorsque Louis XIV, à vingt-trois ans, prend les rênes du gouvernement, sa volonté sera la loi et il sera la personnification de la patrie. Le culte du roi est du patriotisme, puisque le roi représente le pays. Louis XIV a un esprit juste, de la dignité dans les manières, il exercera une grande influence sur son siècle, et la littérature de cette époque sera noble, décente et régulière. Au xvIe siècle il y a confusion dans les idées et dans la langue, au XVIIe siècle la langue est parfaite, on a le culte de la forme et l'on développera les idées émises dans la seconde moitié du xvre siècle. Sous Marie de Médicis l'Italie influe sur la littérature française avec un Marino; sous Anne d'Autriche l'espagnol exerce une grande influence; sous Louis XIV on n'imite plus les nations voisines, on paraît imiter l'antiquité, mais l'esprit français est bien établi, et les grandes œuvres auront le cachet de cet esprit si concis, si ferme, si lucide. Au commencement du siècle les écrivains se placent sous le patronage d'un homme riche et puissant, sont attachés à sa maison, sont ses domestiques et reçoivent de lui des gratifications. Richelieu fait donner des pensions par l'État, par le roi; Louis XIV continue ce système et l'homme de lettres devient plus indépendant. Il faut, cependant, qu'il soit courtisan, s'il veut conserver les bonnes grâces du maître, et cette protection perpétuelle, cette absorption de tous les

talents par la gloire du roi, stérilisera la veine littéraire à la fin du règne.

Quelle chose magnifique et étrange, la cour de Louis XIV ! Les palais de ses ancêtres n'ont pas suffi au grand roi, il fait construire ce merveilleux Versailles. Il a autour de lui Mansard pour bâtir ses palais, Lebrun pour les remplir d'admirables peintures, et Lenôtre pour dessiner ses jardins; Lulli composera pour lui de doux opéras, dont Quinault écrira les paroles; Molière jouera ses chefs-d'œuvre pour lui plaire; Racine composera ses tragédies d'un goût si pur et sera le rival de Corneille vieilli; Bossuet fera entendre ses grandes paroles et écrira pour le fils du roi son "Discours sur l'Histoire Universelle," tandis que Fénelon écrira "Télémaque" pour le petitfils de Louis; Mme de Sévigné observera ce qui se passe chez le roi et écrira ses impressions à sa fille; Condé, Turenne, Vauban seront prêts à gagner des batailles quand Louis l'ordonnera, et Colbert et Louvois dirigeront les affaires avec lui; des femmes belles et spirituelles, des hommes élégants et braves, des écrivains éminents dans tous les genres, voilà ce qui constitue la cour de Versailles. Les seigneurs ont quitté leurs châteaux, ils ne peuvent vivre hors de la présence du roi; c'est à qui voudra assister à ses levers, à ses couchers; appuyé sur sa grande canne, il descend majestueux les escaliers de son palais; sa cour s'incline sur son passage; elle s'incline devant son trône vide, devant son lit, elle lui érige des statues, elle en fait un demi-dieu. Si Louis XIV ne sut pas toujours résister à son orgueil, s'il jeta la France dans de grands maux, s'il fut parfois injuste envers ses meilleurs serviteurs, il ne faut pas trop le blâmer, car

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