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imité de Montaigne; voyons maintenant le théâtre de la Renaissance.

CHAPITRE V

LE DRAME

Nous avons vu que le drame du moyen âge continua jusqu'au milieu du XVIe siècle et que, le 17 Tragédie novembre 1548, le Parlement défendit la "Cléopâtre" représentation des mystères sacrés à la (1552). Confrérie de la Passion établie depuis peu de temps à l'Hôtel de Bourgogne. Ceux-ci jouèrent pendant quelque temps des pièces profanes, puis en 1588 louèrent leur salle à une troupe de comédiens venus de province et qui devaient être plus tard les grands comédiens de l'Hôtel de Bourgogne. La chute des mystères fut amenée, non seulement par des scrupules religieux, mais aussi parce que les écrivains de la Renaissance voulaient rompre avec les traditions du moyen âge et prendre l'antiquité pour modèle. On traduisit des pièces grecques et latines, et en 1552 Jodelle fit jouer une tragédie et une comédie imitées des anciens. "Cléopâtre" fut jouée devant Henri II à l'Hôtel de Reims et au collège de Boncourt et inaugura la tragédie classique. L'auteur n'avait que vingt ans et joua la pièce lui-même avec ses amis de la Pléiade. L'œuvre de Jodelle n'a pas grand mérite littéraire, mais elle est la première tragédie française, de même qu'"Eugène" est la première comédie. Avec des pièces divisées en actes et en scènes, ayant un plan régulier, nous voyons un grand progrès sur le

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drame sérieux et le drame comique du moyen âge. Cléopâtre" est en cinq actes, l'action y est presque nulle, et c'est par des récits que nous apprenons ce qui se passe. L'ombre d'Antoine se lamente sur son sort et apparaît à Cléopâtre, à qui elle dit que la reine suivra de près son époux au tombeau. Cléopâtre forme le dessein de se donner la mort, et le chœur parle de l'instabilité des choses humaines. Octave paraît dans le second acte et plaint Antoine, mais ses officiers lui disent que les dieux ont puni l'orgueil de celui-ci. Le chœur cite de nombreux exemples de personnes dont les dieux ont puni l'orgueil. Au troisième acte nous voyons Octave et Cléopâtre; celle-ci implore la pitié du vainqueur pour elle et ses enfants et lui livre ses trésors. Séleuque, serviteur de la reine, dit à Octave qu'elle a caché presque toutes ses richesses, Cléopâtre frappe Séleuque, Octave tâche de la calmer, et le choeur parle du courage et de l'énergie qu'a déployés la reine et prévoit qu'elle ne se soumettra pas au vainqueur. Le quatrième acte nous montre Cléopâtre qui annonce qu'elle va se tuer sur le tombeau d'Antoine, et le choeur déplore cette résolution. Au cinquième acte on annonce au peuple d'Alexandrie la mort de Cléopâtre, et le chœur, dans de grandes lamentations, célèbre son courage.

Les unités de temps, de lieu, et d'action sont observées dans l'œuvre de Jodelle et le dialogue est parfois vif. La pièce est en vers de dix pieds dans trois actes et en vers alexandrins dans deux. Elle contient le germe de toutes les tragédies classiques françaises, dont le but sera, non le développement d'une intrigue, mais l'étude psychologique des passions humaines, Jodelle écrivit aussi "Didon" en

1558, dont il prit le sujet de l'"Énéide." La pauvre reine se lamente d'une manière pitoyable lors du départ du héros troyen, et quoique le style de cette tragédie soit meilleur que celui de "Cléopâtre," nous nous sentons soulagés, quand la fondatrice de Carthage a mis un terme à ses souffrances, et surtout à ses doléances, en se sacrifiant sur un bûcher. "Didon" est écrite en vers alexandrins.

Mont

Après Jodelle, Jean de la Péruse, Jacques Grévin, Jacques et Jean de la Taille suivirent l'exemple de Garnier et l'auteur de "Cléopâtre" et écrivirent des tragédies classiques. Ce fut surtout chrestien. Sénèque qu'imitèrent les tragiques du XVIe siècle, parmi lesquels Garnier et Montchrestien sont les plus célèbres. Robert Garnier écrivit avec force et élégance, et dans ses chœurs se montra grand poète lyrique. Son chef-d'œuvre est "Sédécias" ou "les Juives." Dans "Bradamante " il créa la tragicomédie, dont "le style," dit M. de Julleville, "est plus souple et plus familier que celui de la tragédie et dont l'amour est le principal et presque l'unique ressort."

Antoine de Montchrestien arrive parfois au sublime de Corneille. Son "Aman" inspira l'"Esther" de Racine, et son "Écossaise," où il eut la hardiesse de mettre sur la scène un événement aussi récent mort de Marie Stuart, est une pièce touchante.

que

la

La tragédie classique inaugurée par Jodelle fut certainement bien supérieure aux miracles et aux mystères du moyen âge, mais comme ceux-ci le théâtre du seizième siècle ne produisit aucune œuvre de génie. Il fallait attendre Pierre Corneille pour que la France pût comparer son théâtre à ceux de l'Espagne et de l'Angleterre,

Avec sa "Cléopâtre" Jodelle commença réellement une nouvelle école et créa la tragédie, mais son Eugène," joué en 1552, la même année que "Cléopâtre," n'est rien autre chose

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Comédie.

qu'une farce, quoique lui et ses amis s'écrient avec orgueil qu'ils écrivent des comédies et non des farces. Leurs pièces sont divisées en actes et en scènes, et sont mieux écrites que celles du moyen âge. Ils ont cependant moins d'originalité que leurs prédécesseurs du XIVe et du xve siècle et imitent les anciens et les Italiens. Les trois amis, Étienne Jodelle, Jacques Grévin et Remi Belleau étaient très jeunes quand ils écrivirent leurs comédies, n'ayant guère plus de vingt à vingt-deux ans. "Eugène" est une pièce de peu d'intérêt et d'une extrême immoralité, de même que "les Esbahis" de Grevin et "la Reconnue" de Remi Belleau.

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La comédie

italienne.

Dans les œuvres dramatiques du XVIe siècle et même dans Molière nous voyons l'influence de la comédie italienne. La France se trouvait en rapports constants avec l'Italie, depuis les guerres de Charles VIII, de Louis XII et de François Ier; le mariage de Henri II et de Catherine de Médicis répandit en France l'usage de la langue italienne, et pendant les règnes de Henri et de ses fils on joua des drames italiens dans l'original, et aussi traduits ou copiés. On représenta la "Calendra" du cardinal Bibbiena à Lyon en 1548 pour fêter le roi et Catherine. Traçons brièvement l'histoire des troupes italiennes en France.

La comédie italienne, dit M. Moland, est divisée en deux genres, la comédie régulière ou écrite, et la comédie populaire, commedia dell' arte. La première

date du XVe siècle, mais on peut dire que la dernière provient directement des mimes de l'antiquité. La commedia dell' arte n'était pas écrite mais représentait certains types. On donnait aux acteurs un canevas qu'ils devaient compléter sur la scène selon le type qu'ils représentaient. Les principaux types étaient le Pantalon, le Docteur ou Pédant, le Matamore ou Capitan qui n'était que le Miles Gloriosus de Plaute qu'avaient ressuscité les Espagnols, le Zanni ou valet, canaille et rusé et célèbre sous les noms d'Arlequin, Scapin et Pierrot. On ajoutait naturellement à ces types comiques ceux des amoureux, Horace et Isabelle, et les soubrettes intrigantes, Francisquine et Zerbinette. Nous trouvons dans Molière et ses successeurs du XVIIIe siècle les types que nous venons de mentionner et que Scarron dans son "Roman Comique" et Théophile Gautier dans son "Capitaine Fracasse " ont si bien décrits.

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En 1576, Henri III, le dernier des Valois, le roi des mignons, le fils favori de Catherine, fit venir la troupe des gelosi pour égayer la réunion des ÉtatsGénéraux à Blois. Sur la route les comédiens tombèrent entre les mains de quelques austères Huguenots qui forcèrent le roi à payer une rançon pour ses Italiens. Ceux-ci se rendirent ensuite de Blois à Paris et furent bien accueillis par les Parisiens. Les comédiens italiens restèrent en France pendant la plus grande partie du règne de Henri III, mais la confusion qui suivit le meurtre du duc de Guise les chassa du royaume et ils ne revinrent que lorsque Henri IV eut épousé Marie de Médicis. Nous les voyons sous Louis XIV partageant avec Molière la salle du Petit Bourbon et recevant une forte pension

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