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l'avènement de Hugues Capet et l'extension de l'autorité royale, devint la langue littéraire du pays, et les autres dialectes, d'importance à peu près égale à l'origine, tombèrent à l'état de patois, c'est-à-dire de langue parlée par le peuple et non écrite.

En étudiant l'histoire de la littérature du moyen âge, de ces œuvres écrites en vieux français, il faut se rendre compte de la principale diffé- Le vieux rence qui existe entre le vieux français et français. la langue moderne. Le vieux français, à l'imitation. du latin, avait une déclinaison à deux cas, le cas sujet et le cas régime, et ce ne fut qu'au XVe siècle que disparut le cas sujet. A l'époque de la Renaissance le vieux français fit place au français moyen qui, à son tour, devint la langue moderne au XVII® siècle.

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Il est fait mention plusieurs fois de la langue romane en Gaule, et en 768 les "Gloses Les premiers de Reichenau nous présentent quelques monuments mots de l'idiome que l'on parlait lorsque de la langue Charles, fils de Pépin, succéda à son père. française. Le premier monument, cependant, qu'il y ait de la langue d'oïl est le fameux Serment de Strasbourg, en 842, entre Charles le Chauve et Louis le Germanique, fils de Louis le Débonnaire.

SERMENT DE LOUIS LE GERMANIQUE.

"Pro deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament, d'ist di in avant, in quant deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum on per dreit son fradra salvar dift, in o quid il mi

altresi fazet, et ab Ludher nul plaid nunqua prindrai, qui meon vol, cist meon fradre Karle in damno sit."

On voit que cette langue a bien des formes latines, mais on y voit aussi poindre le français moderne En voici la traduction:

"Pour l'amour de Dieu, et pour le peuple chrétien et notre commun salut, de ce jour en avant, autant que Dieu m'en donne le savoir et le pouvoir, je sauverai mon frère Charles, ici présent, et lui serai en aide en chaque chose (ainsi, qu'un homme, selon la justice, doit sauver son frère), en tout ce qu'il ferait de la même manière pour moi, et je ne ferai avec Lothaire aucun accord qui, par ma volonté, porterait préjudice à mon frère Charles ici présent."

La Cantilène de Sainte-Eulalie, qui est du x° siècle, est très intéressante au point de vue de la langue. Nous n'en citerons que les premiers vers:

"Buona pulcella fut Eulalia;

Bel auret corps, bellezour anima.
Voldrent la veintre li Deo imini,

Voldrent la faire diaule seruir."

"Bonne pucelle fut Eulalie; bel avait le corps, plus belle l'âme. Les ennemis de Dieu voulurent la vaincre, voulurent la faire servir le diable." Eulalie ne voulut pas renier son Dieu, et Maximien, l'empereur romain, la condamna à être brûlée. Ils la jetèrent dans le feu, mais comme elle n'avait aucun péché, elle ne brûla pas. Alors, l'empereur lui fit ôter la tête avec l'épée et, dit le chant: "la domnizelle celle cose non contredist et en figure de colomb volat au ciel."

Parmi les premiers monuments de la langue française, plus importants pour la linguistique que pour

la littérature, citons encore la "Vie de Saint-Léger," la "Vie de Saint-Alexis," la "Passion du Christ" et "Gormund et Isembard." Ces ouvrages ne concernent pas exactement l'histoire de la littérature, mais il n'y a pas de doute que pour comprendre la littérature du moyen âge, il faut étudier le vieux français, et pour arriver à bien se rendre compte de la langue de la "Chanson de Roland," il faut d'abord étudier d'une manière critique les premiers monuments du français. Le principal attrait de l'étude du vieux français est d'arriver à comprendre, non seulement les œuvres littéraires du moyen âge, mais les coutumes et les institutions d'une des époques les plus curieuses et les plus intéressantes de l'histoire de l'humanité.

Mille ans séparent le Serment de Strasbourg des œuvres de Lamartine et de Victor Hugo, mais la langue du IXo siècle et celle du XIXe siècle est la même langue que parlaient les soldats romains lors de la conquête de César. C'est la langue latine rustique, modifiée par les siècles, qui a servi d'interprète aux hommes de génie qui, depuis mille ans, ont illustré la France et l'esprit humain.

CHAPITRE II
L'ÉPOPÉE

"L'ÉPOPÉE française," dit M. Gaston Paris, "est le produit de la fusion de l'esprit germanique, dans une forme romane, avec la nouvelle Origine de civilisation chrétienne et surtout fran- l'épopée. çaise." "Elle peut être définie une histoire poétique

fondée sur une poésie nationale antérieure," ajoute l'éminent professeur. Ces remarques si précises s'appliquent en réalité aux épopées dites chansons de geste, dont le sujet est tout français, mais il est plus commode de classer parmi les épopées les ouvrages du cycle breton et du cycle de l'antiquité et de dire avec Jean Bodel,

"Ne sont que trois matières...

De France, de Bretagne et de Rome la grant."

Le mot geste signifie actions, histoire et aussi famille ou cycle des héros dont on raconte l'histoire, Le cycle ainsi le cycle français se divise en trois français. parties, nommées, cycles ou gestes du Roi, de Garin de Monglane, ou de Guillaume, et de Doon de Mayence. Jetons un coup d'œil sur le cycle du roi. Nous sommes au XIe siècle, le seigneur féodal est presque tout-puissant, la bourgeoisie n'existe pas encore, et le serf est taillable et corvéable à merci. Il n'y a en France que deux puissances, le baron et le roi, et celui-ci n'a pas encore réussi, en s'appuyant sur le peuple, à dominer celui-là. Le baron est dans son castel perché sur le roc et n'a pour toute société, lorsqu'il revient de ses expéditions guerrières, que sa femme et ses enfants. Le temps paraît long au rude guerrier, et c'est avec joie qu'il accueille le jongleur, le trouvère, qui vient lui chanter les exploits d'un Olivier et d'un Roland. Le seigneur féodal est quelquefois lui-même un trouvère, aussi comprenons-nous que dans ces poèmes chantés chez le baron, et parfois par lui-même, le beau rôle soit à la féodalité. Le cycle français exprime en général le triomphe du seigneur féodal et ce n'est que rarement que le roi est

placé au premier rang. Quelquefois, en se rappelant les exploits de Charles Martel, de Pépin et de Charlemagne, le trouvère s'incline devant le roi, mais le plus souvent on a confondu avec l'empereur à la barbe chenue ses faibles descendants ou les premiers Capétiens. La chanson de geste du cycle français parle de combats contre les Sarrasins et des hauts faits fabuleux des guerriers; le ton en est essentiellement belliqueux, et la femme et l'amour n'y jouent qu'un faible rôle. Les couplets ou laisses sont réglés par l'assonance et sont souvent d'une longueur excessive, ce qui cause, dans un grand nombre de poèmes, quelque peu de monotonie. La langue, cependant, est généralement forte et sonore, et la naïveté de ces épopées du moyen âge est parfois charmante. Ces ouvrages nous représentent une société qui nous rappelle celle du temps d'Homère, et la simplicité, la loyauté, la bravoure téméraire des héros des chansons de geste nous intéressent tout autant que ces mêmes traits chez les héros de l'Iliade.

Prenons comme type de l'épopée du moyen âge la "Chanson de Roland."

La Chanson

En 778 Charlemagne revint de son de Roland." expédition d'Espagne et son arrière-garde fut attaquée et détruite dans la vallée de Roncevaux par les Basques. Eginhard mentionne parmi ceux qui furent tués, Hrodland, comte de la marche de Bretagne. L'imagination populaire s'empara de cet événement et on en fit la fameuse "Chanson de Roland." Les Basques devinrent des Sarrasins païens, et le désastre de Roncevaux servit à animer l'esprit religieux aussi bien que l'esprit patriotique des Français.

Marsile, roi de Saragosse, voyant qu'il ne peut

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