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Hugo, lui-même, le chef de la nouvelle école, manque de naturel dans ses drames et ne nous présente pas des personnages réellement vivants. "Cromwell"

(1827) était trop long pour être joué et "Marion Delorme (1829) fut arrêtée par la censure. Dans cette pièce l'auteur soutient la thèse de la réhabilitation, par l'amour, de la femme tombée, thèse que Dumas fils devait plaider plus tard avec tant de talent dans la "Dame aux Camélias." "Hernani" fut joué le 25 février 1830 et, après un combat acharné, la pièce réussit. Il y règne une fraîcheur qui nous rappelle "le Cid" et on y trouve des vers, parfois tendres et doux, parfois énergiques et passionnés, mais toujours admirables. C'est cette belle poésie qui fera vivre à jamais les drames en vers de Victor Hugo. On jouera encore "Hernani," à cause des beaux vers, mais l'instinct dramatique faisait trop défaut à l'auteur pour que la pièce vive comme œuvre dramatique." Le Roi s'amuse" (1832) est rempli de beaux vers, mais l'ouvrage est trop horrible pour nous plaire. Le poète semble faire reposer son système dramatique principalement sur l'antithèse et il en fait un abus partout, surtout dans "le Roi s'amuse."

Ruy Blas (1838) est une œuvre intéressante, mais n'a aucune valeur historique, quoi que prétende l'auteur. Il contient, cependant, comme "Hernani,” des vers magnifiques.

"Les Burgraves " (1843) n'eurent aucun succès à la scène. L'intrigue de la pièce est si compliquée qu'on peut à peine la comprendre, mais on lira toujours ce drame comme poème. La chute des "Burgraves" éloigna le grand poète du théâtre pour lequel il se croyait une vocation. Outre ses pièces en vers

il en écrivit aussi trois en prose : "Lucrèce Borgia," la meilleure de ses pièces, au point de vue dramatique; "Marie Tudor," et "Angelo." Nous verrons tout à l'heure quel fut le succès dans le drame des disciples du chef de l'école romantique.

"Bug Jargal" et "Han d'Islande " furent les premiers romans de Victor Hugo. Nous y Romans. voyons, comme dans ses drames, l'abus

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de l'antithèse. "Notre Dame de Paris (1831) eut un grand succès. C'est une belle étude archéologique et une œuvre d'une grande vigueur, où nous rencontrons Quasimodo, le sonneur de cloches, Esmeralda, la gracieuse gitana, et Claude Frollo, le sombre archidiacre. Dans "Claude Gueux" et le "Dernier Jour d'un Condamné" Hugo attaqua la justice telle que l'entend la société moderne, et dans les "Misérables" (1862) il développa sa thèse avec une force et une poésie incomparables. Ses personnages peuvent ne pas être assez réels, mais on ne peut oublier Fantine, Cosette, Marius, et le sublime Jean Valjean. Les "Travailleurs de la Mer" et "Quatre-vingt-treize" sont deux romans intéressants et dramatiques, mais l'“Homme qui rit" (1869), malgré quelques poétiques antithèses, est lourd et obscur.

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Victor Hugo écrivit aussi "Napoléon le Petit" et l'" Histoire d'un Crime,” véhéments pamphlets politiques; le "Rhin," voyage; "William Shakespeare," et un grand nombre de poésies inédites, dont plusieurs recueils ont paru après sa mort et qui prouvent que dans sa vieillesse le poète n'avait rien perdu de son génie.

Terminons cette courte notice sur Victor Hugo par les lignes suivantes empruntées au critique éminent, M. Émile Faguet: "Il est notre plus grand poète

lyrique; il est presque notre unique poète épique. Il serait, comme style et comme rythme, le plus habile artiste en vers que nous ayons, si La Fontaine n'existait pas. Par là il vivra aussi longtemps que la langue française."

Alfred de
Vigny.

Alfred de Vigny fut de l'école romantique, mais il n'en adopta pas les exagérations. Ses vers sont purs et gracieux et genéralement mélancoliques. Dans "Poèmes Antiques et Modernes" on voit quelques œuvres exquises, "Éloa," "Dolorida," "le Cor," "Moïse," "le Déluge," et dans "les Destinées," ouvrage posthume, nous admirons "le Loup," "la Bouteille à la Mer," et "Esprit pur." Il n'y a pas assez de passion chez Alfred de Vigny pour qu'il ait pu plaire aux masses, mais on peut, néanmoins, le placer parmi les grands poètes du XIXe siècle. Il écrivit aussi un roman historique, "Cinq-Mars," le meilleur, peut-être, dans ce genre en français, mais où l'auteur ne rend pas justice au caractère de Richelieu.

Alfred de Vigny était né en 1797 et mourut en 1863. Il fut soldat pendant de longues années et écrivit "Grandeur et Servitude Militaires," où il fait un bel éloge de l'honneur du soldat. Un épisode, Laurette, ou le Cachet Rouge," est un chef-d'œuvre de style.

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Vigny traduisit "Othello" en 1829 et fit jouer deux drames écrits d'après les préceptes de Victor Hugo, "la Maréchale d'Ancre " et "Chatterton." Il écrivit aussi "Stello," récit poétique de la vie de trois poètes malheureux, André Chénier, Gilbert et Chatterton.

Alfred de Musset a écrit quelques poèmes qui sont

Alfred de
Musset.

parmi les plus beaux de la littérature française. Né en 1810 il commença par faire partie du Cénacle de Victor Hugo, et publia en 1830 ses "Contes d'Espagne et d'Italie," poésies d'une allure cavalière, où se voit déjà une certaine originalité, malgré son admiration pour le romantisme. Il devait, plus tard, se détacher quelque peu de la nouvelle école et même s'en moquer finement. Il produisit ses plus belles œuvres avant qu'il eût trente ans et mourut en 1857. Il avait été très lié avec George Sand, mais se sépara d'elle à Venise en 1833. C'est alors qu'il écrivit ses vers les plus beaux, les plus passionnés. Mentionnons parmi ses poésies ses admirables "Nuits," surtout la "Nuit de Mai," "Rolla," poème malsain mais grandiose, la "Lettre à Lamartine," les "Stances à la Malibran," 1'"Espoir en Dieu " et "Sur Trois Marches de Marbre Rose." La rime chez Musset n'est pas riche, mais on voit dans ses ouvrages un sentiment vrai. Il exprime franchement ce qu'il éprouve, et se défend de l'accusation d'imiter qui que ce fût en disant:

"Mon verre n'est pas grand, mais je bois dans mon verre."

Il a écrit de charmantes comédies, "Un Caprice," "le Chandelier," "Il ne faut jurer de rien," "Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée," et des nouvelles fines et spirituelles, "le Fils du Titien," "Margot," "Croisilles," "Histoire d'un Merle Blanc," "la Mouche."

"Lorenzaccio," est un drame énergique et sombre et dans "On ne badine pas avec l'amour," et dans "Fantasio" nous voyons sous des paroles gaies une profonde amertume, un sentiment de désenchante

ment, de découragement, de lassitude morale, à la manière de René et de Werther. C'est surtout dans "la Confession d'un enfant du siècle" que l'on aperçoit cet étrange état de l'âme contre lequel une organisation aussi sensitive, aussi peu énergique que celle de Musset ne pouvait réagir. Il se laissa aller à des excès qui minèrent sa santé et épuisèrent son génie, et il mourut encore jeune et n'ayant produit presque rien depuis longtemps. Il fut, cependant, un poète lyrique de premier ordre, et on peut le comparer à Lamartine et à Victor Hugo.

Barthélemy et Méry.

Hugo, Vigny et Musset sont les poètes les plus connus de l'école romantique, mais il y en a d'autres qui sont célèbres aussi, à juste titre. Barthélemy et Méry, Marseillais tous deux, écrivirent ensemble des satires politiques contre les ministres de Charles X, puis un poème épique, “Napoléon en Égypte," dont Barthélemy voulut remettre lui-même un exemplaire au duc de Reichstadt. Il ne put réussir à voir le prince, et à son retour à Paris, il publia “le Fils de l'Homme," qui le fit condamner à la prison et à l'amende. Sous le règne de Louis-Philippe les deux poètes firent paraître pendant un an, du 1er mars 1831, à la fin de février 1832, un journal satirique en vers, "la Némésis." Jamais il n'y eut de satires plus énergiques ni écrites en plus beaux vers. Barthélemy, cependant, devint chaud partisan de cette royauté qu'il avait attaquée avec tant d'amertume et perdit toute sa popularité. Méry écrivit seul un grand nombre de comédies et de romans, où il éparpilla un talent remarquable.

On peut comparer à "la Némésis" "les Iambes "

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