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comique ainsi que du drame sérieux. De ce siècle datent réellement la moralité, la sottie, la farce, le monologue, et le sermon joyeux.

La moralité est didactique et souvent sérieuse, et quoique, d'après son titre, elle soit pathétique et édifiante, elle est généralement satirique. Le Moralités. goût pour l'allégorie rendait la personnifi

cation des vices et des vertus au théâtre très populaire. Quelques-unes des soixante-cinq moralités que nous possédons sont intéressantes. Voyons ce qu'étaient "Les Enfants de Maintenant." Maintenant cause avec sa femme Mignotte et lui dit que leurs deux enfants Finet et Malduict sont d'âge à avoir une profession. Ils consultent Bon Avis qui les envoie trouver Instruction. Mignotte demande à celle-ci de donner à ses fils une profession où ils n'aient rien à faire. Instruction répond qu'il faut envoyer les garçons chez Discipline. Dès que Finet et Malduict voient le fouet de Discipline ils se sauvent et reviennent chez leur père, qui leur donne de l'argent et de beaux habits. Ils deviennent alors élèves de Jabien, qui leur enseigne à mépriser la religion et les conduit à Luxure. Ils se laissent guider entièrement par leur nouvelle compagne et jouent aux cartes avec elle. Malduict perd tout son argent et se retire, mais Finet continue à jouer et perd jusqu'à ses habits et son poignard. Il s'abandonne alors à Honte, qui le mène chez Désespoir et Perdition, par qui il est pendu. Quant à Malduict, après qu'il a quitté Luxure, il rencontre Bon Avis qui lui dit de revenir à Discipline et de lui obéir aveuglément. Il est sévèrement puni par Discipline, et il retourne chez ses parents, où il mène une vie vertueuse et heureuse.

La sottie était satirique, misanthropique, et souvent politique. Dans la " Sottie des Trompeurs," Sottie, la mère, demande à Teste Verte et à Fine

Sotties. Mine combien il y a de sots au monde. Ils répondent qu'on ne peut les compter, parce qu'ils sont trop nombreux. Chascun entre en ce moment et suit la mère sotte partout. Le Temps donne à Chascun d'excellentes leçons. Il lui dit qu'afin de réussir il doit toujours flatter ceux qui sont présents et calomnier les absents, mais qu'il faut avoir bien soin de dire que ce n'était qu'une plaisanterie, si ce qu'il a dit en l'absence de quelqu'un lui était répété. Chascun doit aussi oublier son père et sa mère. S'il agit de cette manière il parviendra sûrement au succès. Le Temps trouve en Chascun un élève obéissant, mais celui-ci, après avoir trompé tous ceux qu'il rencontre, est à la fin trompé à son tour par son maître.

Le sermon joyeux était une parodie d'un texte de l'Écriture et était très irrévérencieux. Le monologue, Sermons joy. qui est redevenu si populaire de nos jours, eux et mono. était le récit burlesque, fait par le perlogues. sonnage lui-même, de ses vices ou de ses ridicules. Le modèle du genre est le "FrancArcher de Bagnolet," où nous voyons le vantard, le miles gloriosus, le faux brave, admirablement dépeint.

La farce du moyen âge se rapproche beaucoup de celle de notre siècle. C'était à l'origine une pièce comique où l'on parlait différentes langues ou differents dialectes, ainsi le célèbre " Avocat Pathelin" est une vraie farce, à cause des dialectes que parle l'avocat madré à sa dupe. Dans la farce,

Farces.

ainsi que dans la sottie, se trouve souvent la satire des différentes classes et des institutions de la société. Comme il n'y avait pas de journaux pour dénoncer les abus du gouvernement il fallait avoir recours au théâtre. Nous sommes étonnés de la hardiesse des sotties et des farces quand nous pensons au despotisme du roi, mais nous devons nous rappeler que le roi se servait quelquefois du drame pour atteindre ses ennemis. Louis XII, dans sa querelle avec Jules II, fit attaquer le pape d'une manière sanglante par les Enfants sans Souci et les Clercs de la Basoche.

La farce était souvent empruntée aux fableaux ou tirée des événements du jour. Nous en avons environ cent cinquante, mais elles sont le plus souvent si grossières qu'on ne peut les analyser. Elles sont en général hostiles à la femme et au mariage. On les annonçait comme étant "nouvelles, très bonnes et très joyeuses."

Quoique la comédie du moyen âge soit intéressante et importante elle n'a pas grand mérite littéraire. Elle a produit, cependant, une œuvre de L'Avocat génie, l'"Avocat Pathelin," où nous Pathelin. voyons dans toute sa force le vis comica si estimé des anciens. Cet ouvrage remarquable offre un excellent exemple de la finesse de l'esprit français et mérite sa popularité. C'est un fait étrange que les deux meilleurs ouvrages du moyen âge soient anonymes. Nous ne saurons jamais qui a écrit l'héroïque et émouvante "Chanson de Roland" et le spirituel et amusant "Avocat Pathelin." Cette farce fut écrite vers l'année 1470 et elle est, sans aucun doute, la meilleure comédie avant le "Menteur" de Corneille. Il est difficile de comprendre comment le xvr° siècle a pu

mépriser tellement tout le drame du moyen âge, quand nous considérons à quel point "Pathelin " est supérieur aux ouvrages de l'école de Ronsard que nous allons bientôt étudier. Il est vrai que “Pathelin" n'a pas d'actes, que l'action continue sans interruption depuis le commencement jusqu'à la fin, mais comme cette action est rapide, comme les caractères sont vrais: l'avocat rusé qui a dupé le marchand de drap crédule et sot, le berger malin à qui Pathelin a dit de répondre "Bée!" à toutes les questions que lui poserait le juge, et qui répond "Bée!" à chaque fois que l'avocat lui demande son argent. Le trompeur est trompé à son tour; ceci est une morale bien négative, mais le but de l'auteur est de faire rire et de présenter des portraits réels. Le fameux "revenons à nos moutons" est digne de Molière, et la farce du XVe siècle est presque une comédie de caractère.

CHAPITRE IV

FABLEAUX, FABLES, ET ROMAN DE RENARD

Fableaux.

La forme la plus connue du mot fableau est fabliau; c'est un conte en vers, généralement comique et satirique. Le sujet était parfois tiré d'aventures locales, ou venait de l'Inde. On croit que le "Dolopathos" en vers, nommé "les Sept Sages" en prose, ont fourni le sujet de quelques fableaux. M. Gaston Paris, cependant, semble croire que les fableaux sont d'origine populaire, et que les Italiens et les Anglais les possédaient aussi bien que

les Français; "Richeut," le plus ancien fableau connu, est d'environ 1165, les plus récents sont du commencement du XIVe siècle. Ces petits contes en vers sont généralement anonymes et sont spirituels et gais, parfois mordants et philosophiques, mais le plus souvent d'une gaieté grossière et choquante. Le "Decameron" de Boccace, les "Cent Nouvelles Nouvelles" du règne de Louis XI, l'" Heptameron" de la Reine de Navarre, les "Contes" de La Fontaine, sont en grande partie tirés des fableaux ou inspirés par ces récits. Citons parmi les fableaux les plus intéressants, le "Vilain Mire" (le Paysan Médecin), d'où Molière a tiré son "Médecin malgré lui.”

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Le poète Rustebeuf fut un des auteurs des fableaux. Comme exemple du fableau moral citons "La Houce "la Houce Partie" de Bernier. Ce Partie." fableau nous fait bien voir le côté philosophique de la littérature de la langue d'oïl.

Il y avait une fois un homme qui vint d'Abbeville à Paris avec sa femme et son fils. Il fit de bonnes affaires et s'enrichit. Étant devenu veuf il éleva son fils avec une sollicitude toute maternelle et voulut le marier à la fille d'un chevalier, offrant de céder à son héritier la moitié de sa fortune. Le chevalier refusa la main de sa fille à moins que le père du jeune homme ne donnât tout ce qu'il avait. Le vieillard consentit à cet arrangement, se disant que son fils lui donnerait toujours de quoi vivre. Au commencement tout alla bien, mais au bout de quelques années la bru se fatigua de ce vieux bonhomme qui mangeait et ne faisait rien, et elle dit à son mari qu'il fallait mettre le père à la porte. Le fils alla trouver le vieillard et lui dit de s'en aller. Le malheureux ré

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