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lier des Grieux, mais ils sont si naturels, si naïfs et si malheureux que nous nous attachons grandement à eux. Quel amour sincère que celui du chevalier! Il brise sa carrière, il quitte Paris, il quitte la France pour suivre celle qu'il aime, et lorsqu'elle expire dans une plaine de la Louisiane, "il ensevelit pour toujours, dans le sein de la terre, ce qu'elle avait porté de plus parfait et de plus aimable."

Tout le monde a lu cette gracieuse idylle, “Paul et Virginie," cet ouvrage qui parut en 1788 et qui sembla ramener la France au sentiment

Bernardin

de Saint- de la poésie et de la nature. Nous Pierre. aimons à accompagner les deux aimables enfants dans les bois de l'Ile-de-France, nous voyons naître et grandir leur amour, et nous partageons le désespoir de Paul quand il voit périr Virginie et qu'il contemple éperdu son cadavre, que la mer a laissé sur la côte en se calmant après la tempête. Bernadin écrivit aussi "la Chaumière Indienne," histoire simple et intéressante, et les "Études de la Nature," qui furent reçues avec enthousiasme, mais qu'on ne lit guère aujourd'hui.

Né au Havre en 1734, Bernardin de Saint-Pierre partit à douze ans pour la Martinique, mais revint peu après. Il fut d'abord ingénieur des ponts et chaussées et servit dans l'armée française, puis il voulut aller fonder une colonie sur les bords du lac Aral. Il se rendit en Russie et fut envoyé en Finlande comme capitaine d'artillerie, et ne pouvant fonder sa colonie, il revint en France après avoir voyagé dans toute l'Europe. Nous le voyons ensuite ingénieur à l'Ile-de-France, dont il a fait de si belles

descriptions, puis nous le retrouvons à Paris, où il herborise avec Rousseau. Pendant la Révolution il fut nommé directeur du Jardin des Plantes, et il vécut tranquille et heureux avec sa famille et ses amis jusqu'en 1814. Il fut digne disciple de Rousseau quant au style, et ses ouvrages ont bien plus de pureté que ceux de l'illustre Genevois. "Paul et Virginie" est un livre immortel, dont on admirera toujours la sensibilité et la fraîcheur.

Avant de passer à la comédie qui sera notre dernier chapitre sur le XVIIIe siècle, il faut mentionner encore quelques noms dans la littérature de l'époque: Fontenelle, Rollin, Marmontel, Laharpe et Mirabeau.

Fontenelle, né en 1657, était neveu de Corneille et vécut cent ans. Il fit servir cette longue vie à mettre la science à la portée de tout le monde. On lit encore avec plaisir ses "Entretiens sur la pluralité des mondes" et ses "Éloges

Fontenelle.

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des membres de l'Académie des sciences. Ses autres ouvrages sont gâtés par l'afféterie et la subtilité.

Rollin fut professeur au collège de France et recteur de l'Université de Paris. Ses "His

Rollin.

toires" sont oubliées, mais son "Traité des Études" est un beau livre sur la science de l'éducation.

Marmontel et Laharpe écrivirent beaucoup d'ouvrages, mais on ne se rappelle plus que leurs ouvrages de critique et d'histoire littéraire, les Marmontel "Éléments de Littérature" de Mar- et Laharpe. montel, le "Lycée ou Cours de Littérature" de Laharpe.

Avec la Révolution commence l'éloquence parlementaire en France, et le plus grand de tous les orateurs français, Mirabeau, fait retentir la Mirabeau et tribune de sa voix puissante. Après lui Vergniaud. on peut nommer l'abbé Maury, Barnave, et Vergniaud, l'éloquent Girondin victime de la Ter

reur.

CHAPITRE VII

LA COMÉDIE

Dès qu'on mentionne le mot comédie tout de suite. la figure immortelle de Molière nous apparaît. Il semblerait que cet homme s'élève à une telle hauteur qu'il cache dans son ombre tous ceux qui ont osé écrire après lui dans le genre comique. Tel est presque le cas, et c'est avec difficulté que l'on aperçoit d'autres hommes derrière Molière. Faisons-les approcher un peu, et nous verrons de charmantes physionomies, des figures fines et spirituelles. Ils s'avancent observez leurs manières élégantes et polies, leurs brillants costumes, leurs cheveux poudrés, et vous reconnaîtrez les hommes du XVIIIe siècle.

Le premier auteur qui doive nous occuper est Regnard. Quoiqu'il naquît en 1656, il est réellement du dix-huitième siècle par le style de ses Regnard. écrits, style léger, artificiel même, mais toujours amusant. C'est à peine si nous pouvons reconnaître en Regnard le successeur de Molière, si nous lisons "le Misanthrope" ou "le Tartuffe "; mais nous voyons dans "le Joueur," dans "le Distrait,”

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dans "les Ménechmes," la bonne et franche gaieté de "l'Étourdi," des "Fourberies de Scapin," du "Médecin malgré lui."

"Le Joueur" est le chef-d'œuvre de Regnard; la pièce est intéressante depuis le commen

"Le

cement jusqu'à la fin, le dialogue est vif Joueur." et animé, et le vers est bon. Tout le monde connaît l'amusante apostrophe de Valère:

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'Tu peux me faire perdre, ô fortune ennemie !
Mais me faire payer, parbleu, je t'en défie."

Il adore sa belle quand il n'a plus le sou, et il s'écrie: "O charmante Angélique!" mais que celle-ci, dans son aveuglement, lui donne son portrait enrichi de diamants, il se hâte de le mettre en gage et il retourne au jeu avec une nouvelle ardeur:

"On le peut voir encor sur le champ de bataille;

Il frappe à droite, à gauche, et d'estoc et de taille ;

Maudissant les hasards d'un combat trop funeste :
De sa bourse expirante il ramassait le reste;
Et, paraissant encor plus grand dans son malheur,
Il vendait cher son sang et sa vie au vainqueur."

Voilà un beau récit d'un combat autour d'un tapis vert. Ne croirait-on pas voir le Cid courant contre les alfanges des Maures, à "l'obscure clarté qui tombe des étoiles," au milieu des horribles mélanges du sang chrétien et du sang païen et faisant les deux rois prisonniers? Hélas! pour Valère, comme pour Rodrigue, "le combat cessa faute de combattants." Lorsque ses derniers écus eurent succombé, il sentit redoubler son amour pour Angélique et il courut se

jeter à ses pieds. Il était arrivé trop tard; Angélique, ayant appris l'histoire du portrait, donne sa main. à Dorante, l'oncle de Valère, et celui-ci se retire sans avoir aucune intention de se suicider, car, dit-il à son valet:

"Va, va, consolons-nous, Hector, et quelque jour
Le jeu m'acquittera des pertes de l'amour."

C'est ce même Valère qui s'était aussi écrié:
"La jeunesse toujours eut des droits sur les belles ;
L'amour est un enfant qui badine avec elles."

Cette rapide analyse du "Joueur" suffit pour vous faire voir l'entrain et la gaieté du théâtre de Regnard. Ces mêmes qualités se retrouvent dans "Attendezmoi sous l'Orme," charmante pièce écrite en collaboration avec Dufresny, dans "le Distrait," dont les bévues innombrables nous rappellent celles de l'Étourdi," dans "Démocrite," dans "les Folies Amoureuses," dans "les Ménechmes," dans "le Légataire Universel."

"Les Mé

"Les Ménechmes" est la pièce la plus amusante de Regnard. Elle est imitée de Plaute, et comme "The Comedy of Errors" de Shakespeare, ranechmes." conte les plaisantes méprises que cause la ressemblance extraordinaire de deux frères. Ménechme vient à Paris pour recevoir un héritage et épouser Isabelle. Son frère, le chevalier, qu'il ne connaît pas, arrive aussi à Paris. On lui remet la malle de Ménechme, et il apprend par les papiers de celui-ci quelles sont ses intentions. Le chevalier se hâte d'aller trouver Isabelle et envoie tous ses créanciers à son frère. Le pauvre Ménechme, qui n'avait jamais quitté sa province, est tout étonné de rencon

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