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Le poussent au rivage, et dans ce monument
L'ont au cap du Zéphyr déposé mollement;
Et de loin, à grands cris appelant leurs compagnes,
Et les nymphes des bois, des sources, des montagnes,
Toutes, frappant leur sein, et traînant un long deuil,
Répétèrent, hélas ! autour de son cercueil :

Hélas! chez ton amant tu n'es point ramenée,
Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée,

L'or autour de ton bras n'a point serré de nœuds,
Et le bandeau d'hymen n'orna point tes cheveux."

CHAPITRE VI

LE ROMAN ET AUTEURS DIVERS

LE roman au XVIIIe siècle est intéressant et nous rappelle un peu la comédie de l'époque. Mentionnons d'abord les œuvres de Mme de Fontaines

Fontaines.

et de Mme de Tencin. Elles imitèrent Mme de toutes les deux le genre de Mme de La Fayette, et écrivirent des romans d'amour intéressants et d'une observation subtile et exacte des passions. On lit avec plaisir "la Comtesse de Savoie " et " Aménophis," par Mme de Fontaines; ce sont des œuvres pures et sans pédantisme. Quant au "Comte de Comminges," par Mme de Tencin, bien Mme de des critiques ne le placent guère audessous de "la Princesse de Clèves." Nous devons dire que nous ne partageons pas cette opinion et que le roman de Mme de Tencin est loin d'avoir produit sur nous la même impression que l'euvre si délicate de Mme de La Fayette. "Le Comte de Comminges," cependant, a du mérite, et l'on est étonné, en lisant

Tencin.

ce petit livre, de voir que l'auteur, dont la vie fut si déréglée, donne à ses héros les sentiments les plus nobles. Le comte de Comminges est amoureux de Mlle de Lussan et refuse d'obéir à son père, qui veut le marier à une autre personne. Il est mis dans un cachot, et Mlle de Lussan, pour le libérer, épouse un homme qu'elle n'aime pas et dont elle connaît le vilain caractère. Après plusieurs aventures Comminges apprend que la femme qu'il aime est morte. Dans son désespoir il se retire dans un couvent de trappistes, mais malgré les austérités de la règle, il ne peut oublier son Adélaïde. Un jour un des religieux est sur le point de mourir, et fait sa confession à haute voix. C'est Adélaïde, qui s'était échappée du cachot, où son mari la tenait enfermée, et qui s'était réfugiée aussi dans le couvent sous un habit d'homme. Elle raconte qu'elle y a reconnu le comte et dépeint les tortures qu'elle a endurées de n'avoir pu se faire connaître de lui. Elle meurt; et le comte se jette en désespéré sur le corps de celle qu'il n'a retrouvée que pour la perdre pour toujours. Cette scène est certainement dramatique et touchante.

Le Sage.

Le plus grand romancier du XVIIIe siècle est sans contredit Le Sage. Son "Gil Blas" est aussi immortel que le "Don Quichotte" de Cervantes et nous rencontrons dans cet ouvrage des personnages réels, dont les vertus et les vices sont bien ceux de l'humanité. Il n'y a pas d'héroïsme surhumain dans "Gil Blas," c'est le récit de la vie d'un aventurier et nous voyons se dérouler devant nous d'intéressants tableaux, où l'auteur fait preuve d'une connaissance étonnante du cœur humain. Quelques traits de plume suffisent pour

indiquer clairement un caractère, et ce caractère une fois tracé se développe naturellement, selon les circonstances. Appelons l'attention sur quelques scènes de ce livre admirable.

Gil Blas est de basse naissance, mais son oncle, le chanoine Gil Perez, le fait instruire et il devient très fort sur la dialectique. Quand il a seize "Gil Blas." ans il lui faut aller chercher fortune. Sur la route il rencontre un parasite qui soupe à ses dépens et lui donne une leçon de modestie, puis il tombe dans une caverne de voleurs. Il réussit à s'échapper, est encore dupé, puis devient domestique et, plus tard, aide du docteur Sangrado. Quelle amusante création que celle du fameux médecin qui traite aux saignées et à l'eau chaude et qui fait plus de ravages dans une ville qu'une épidémie! Blas est obligé de s'enfuir et d'abandonner la pratique de la médecine pour avoir employé un peu trop tôt ses remèdes favoris sur une riche veuve qui devait épouser un spadassin. Il se rend ensuite à Madrid, où il devient valet de nobles et de comédiennes. Il est quelque temps secrétaire de l'archevêque de Grenade, le grand auteur d'homélies; il a encore beaucoup d'aventures et nous le voyons enfin secrétaire et confident du duc de Lerme. Le Sage nous présente un tableau fidèle de la cour de Philippe III, entièrement gouverné par le duc de Lerme, et de Philippe IV, gouverné par le comte-duc d'Olivarès. L'opulence gâte Gil Blas, il devient orgueilleux et dur, mais lorsqu'il est mis à la tour de Ségovie il se corrige de ses vices et, devenu libre, secourt ses parents et jouit avec modération de sa faveur à la cour. Il finit par se retirer dans son château et

Boiteux."

mène une vie honnête avec sa femme et ses enfants. Gil Blas n'est certes pas un personnage très vertueux, mais il nous raconte ses fautes avec tant de naïveté que nous les lui pardonnons, surtout quand nous le voyons devenir un honnête homme. Son ami Fabrice, le poète, disciple de Gongora, nous intéresse aussi beaucoup, ainsi que tous les personnages secondaires de l'histoire. Gil Blas parut de 1715 à 1735 et, avant cet ouvrage, Le Sage avait fait paraître "Le Diable 66 'le Diable Boiteux," amusant roman satirique, où Asmodée fait voir à un jeune homme tout ce qui se passe à l'intérieur des maisons, scènes comiques et scènes navrantes, la vie enfin, telle qu'elle est. Le Sage est aussi célèbre comme auteur comique que comme romancier, et nous aurons plus tard occasion de parler de "Crispin rival de son maître" et de "Turcaret." L'auteur de "Gil Blas" était un homme honnête et fier. Il accepta, cependant, une pension de l'abbé de Lyonne, et suivit le conseil de celui-ci, qui l'engagea à étudier la littérature espagnole. Il traduisit et imita beaucoup de romans espagnols du genre picaro, et donna enfin son chef-d'œuvre, que les Espagnols réclamèrent comme leur ayant été dérobé. Cette assertion ne repose sur aucune preuve, et Le Sage a l'honneur d'avoir produit le premier roman de mœurs de la littérature française. Né en Bretagne en 1668 il mourut en 1747.

Pierre Carlet de Marivaux naquit en 1688 et mourut en 1763. Il est célèbre pour ses comédies dont nous parlerons bientôt et pour deux romans ingénieux, "Marianne et "le Paysan Parvenu," où l'on voit l'analyse des caractères

Marivaux.

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exprimé dans un style tant soit peu maniéré, mais vif et gracieux. Il est à regretter que Marivaux n'ait pas terminé ses romans, que l'on peut placer parmi les meilleurs du XVIIIe siècle.

L'abbé

Prévost.

François Prévost d'Exiles naquit en Artois en 1697. Il fut d'abord mousquetaire, puis entra dans l'ordre des jésuites qu'il quitta au bout de six mois pour une vie d'aventures. Peu après il se fit bénédictin et resta six ans dans le cloître, mais il s'échappa un beau jour et se réfugia en Hollande, où il composa d'innombrables ouvrages, dont les meilleurs sont les "Mémoires d'un homme de qualité," "Cléveland," "Manon Lescaut," et "le Doyen de Killerine." Il revint enfin en France, devint aumônier du prince de Conti, et continua à écrire toutes sortes d'ouvrages. Il s'établit près de Chantilly et se trouvait parfaitement heureux, mais ce fut pour peu de temps. "Un jour," dit Jules Janin, "comme il se rendait à pied à sa modeste maison des champs, il tombe par terre frappé d'un coup d'apoplexie. Des paysans le portèrent chez un opérateur de village, qui croyant avoir affaire à un cadavre, ouvrit ce pauvre homme, et l'abbé Prévost se réveilla, mais blessé au cœur. Il mourut donc d'une façon plus dramatique que tous les héros de ses livres. Cette mort terrible couronna dignement cette vie si remplie d'agitations et d'aventures."

On ne

"Manon Lescaut" est un chef-d'œuvre. peut lire d'ouvrage plus touchant et dont les personnages soient plus vivants. L'histoire "Manon n'est pas morale et nous ne pouvons Lescaut." approuver la conduite de Manon et du cheva

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