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trouvons à Paris. Il vécut huit ans dans la capitale de la France, l'esprit troublé, et produisant ces étranges "Dialogues" entre Jean-Jacques et Rousseau, consacrant la plus grande partie de son temps à la botanique, un objet de curiosité pour tous et d'intérêt pour quelques-uns. Bernardin de Saint Pierre, l'auteur de "Paul et Virginie," rencontra souvent Rousseau à cette époque, et nous l'a dépeint. Il était très pauvre et sombre et morose. M. de Girardin lui offrit un asile à Ermenonville, à vingt milles de Paris, et là, le 2 juillet 1778, il mourut subitement. Il n'est pas prouvé que sa mort ne fut pas due à un suicide.

Rousseau est

Le caractère de Rousseau était un étrange mélange de bon et de mauvais. Nous devons louer bien des sentiments élevés dans ses écrits, son le fondateur esprit d'indépendance, sa franchise qui de l'école touchait à la brutalité, comme quand il romantique. écrivait à Voltaire: “ Monsieur, je ne vous aime point;" mais que d'actions viles il a commises, et comme il s'en glorifie! Nous plaignons ses malheurs, mais nous ne pouvons l'admirer comme homme. Comme écrivain nous devons le louer hautement, et dire que ce grand génie mérite d'être enseveli au Panthéon parmi les grands hommes. Son influence comme éducateur a été favorable, mais son influence sur la littérature est encore bien plus importante. Dans ses écrits nous trouvons de la force, et en même temps une grâce et une fraîcheur merveilleuses. Bernardin de Saint-Pierre procède de lui, et Mme de Staël et Chateaubriand et Lamartine, et il est réellement le fondateur de l'école romantique

et le précurseur de Victor Hugo, d'Alfred de Musset et de leurs disciples.

CHAPITRE V

LA POÉSIE

Nous avons vu que Voltaire est célèbre comme poète, surtout dans ses Épîtres et ses Satires, où son esprit fin et léger se trouve à l'aise. Le souffle lyrique lui manque, ainsi qu'à tous ses contemporains, et ce n'est qu'à la fin du XVIII° siècle qu'apparaissent un vrai poète, André Chénier, emporté si jeune par la tourmente révolutionnaire et Rouget de l'Isle, l'auteur de "la Marseillaise." Si l'on était bon poète parce qu'on écrit des vers corrects, élégants même, on peut dire qu'il exista en France au XVIIIe siècle un grand nombre de poètes. Ils mirent parfaitement en pratique les préceptes de Boileau et furent d'habiles versificateurs, mais l'inspiration poétique leur fit certainement défaut. Jean-Baptiste Rousseau (1670-1741) fut longtemps considéré un poète lyrique de premier ordre. Ses "Odes," J.-B.

ses "Cantates," sont, cependant, bien Rousseau. froides, et l'on préfère ses "Épigrammes," qui sont caustiques et spirituelles. Accusé, peut-être à tort, d'avoir écrit des libelles infâmes, il fut banni de France et vécut principalement à Bruxelles. Le Franc de Pompignan (1709–1784) a pleuré, dans une belle ode, la mort de Rousseau et, par ses "Poésies Sacrées," mérite d'être placé parmi les meilleurs poètes de son siècle. Il eut le

Pompignan.

Louis
Racine.

asme.

Gilbert.

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malheur d'attaquer les philosophes et Voltaire, et celui-ci l'écrasa sous le ridicule. Louis Racine (1692-1763) écrivit deux poèmes didactiques, "la Grâce" et "la Religion." On ne lit guère les œuvres du fils du grand poète du XVIIe siècle, et les vers lyriques admirables des chœurs d'"Esther" et d'" Athalie nous font trouver insignifiants les vers de "la Grâce" et de "la Religion," mais on trouve dans Louis Racine beaucoup de pureté et d'élégance et, quelquefois, de l'enthousiDans l'école descriptive nous voyons les noms de Saint-Lambert, de Lemierre, de Delille, de Roucher, qui alla à l'échafaud dans la même charrette qu'André Chénier. Dans le genre léger et badin nous avons Gresset et Piron, que nous retrouverons comme auteurs comiques, dans le genre lyrique, Malfilâtre et Lebrun, et Gilbert (1751-1780), qui est célèbre aussi comme satirique. La légende s'est emparée du nom de Gilbert et l'a fait mourir de misère à l'hôpital. Tout le monde connaît les admirables pages que lui a consacrées Alfred de Vigny dans "Stello," mais quoiqu'il mourût à l'âge de vingt-neuf ans, ce fut d'une chute de cheval et non à l'hôpital. Il écrivit le "Dix-huitième Siècle," satire amère, mais pleine de verve et de force, et attaqua le parti des philosophes. Il publia aussi une autre satire, "Mon Apologie," et écrivit, peu de jours avant sa mort, quelques lignes touchantes et vraiment lyriques, "Adieux à la Vie.” Mentionnons Florian (1755-1794), le meilleur fabuliste après La Fontaine, et passons à André Chénier, le seul grand poète du XVIIIe siècle.

André

Chénier.

André Chénier naquit à Constantinople en 1762. Son père était consul-général de France, et sa mère était Grecque. Il fut amené en France à l'âge de trois ans, fit de bonnes études et, à seize ans, traduisait avec talent des odes grecques. Il fut soldat pendant quelques mois, puis voyagea en Italie et en Suisse. Il fut ensuite attaché pendant trois ans à l'ambassade de France à Londres. A son retour à Paris il adopta les principes de la Révolution, mais il en blâma bientôt les excès et prit le parti de ceux qui étaient persécutés. Il écrivit un poème à la louange de Charlotte Corday, combattit les montagnards, prêta sa plume au roi et devint suspect, quoique son frère, Marie-Joseph, fût un ardent républicain. Il dut se cacher, mais ayant appris l'arrestation d'un de ses amis à Passy, il courut offrir quelques consolations à la famille de son ami et fut arrêté lui-même comme suspect. Il fut mis à Saint-Lazare, détenu plusieurs mois, puis exécuté le 25 juillet 1794 (le 7 thermidor), deux jours avant la révolution qui amena la chute de Robespierre et qui aurait ouvert les portes de sa prison. On dit qu'en montant sur l'échafaud il s'écria en se frappant le front de la main: "et pourtant il y avait quelque chose là."

On ne saurait trop regretter la mort prématurée d'André Chénier, c'était un noble cœur aussi bien qu'un poète de génie. Sa muse est toute Ses grecque, c'est-à-dire gracieuse et élé- œuvres. gante; elle s'inspire des poètes de la Grèce, mais ne les copie pas. On connaissait à peine les œuvres de Chénier lorsque la Terreur le frappa, et ce n'est qu'en 1819 qu'on publia ses vers. Un an après devaient

paraître les "Méditations," et la France pouvait jouir des admirables poésies de Chénier et de Lamartine. Les deux poètes ne se ressemblent cependant pas, car Chénier est un classique comme Racine. Il sut, néanmoins, renouveler la poésie en y mettant cette passion, ce lyrisme qu'on ne rencontre nulle part ailleurs au XVIIIe siècle. On lit avec un charme infini les "Idylles," les "Élégies," les "Poèmes," les Hymnes," les "Odes," et les "Iambes La "Jeune, écrits pendant la captivité. Mentionnons surtout "l'Aveugle," "le Mendiant,” “la Jeune Captire," les odes à Fanny et la "Jeune Tarentine," poème si pur et si touchant:

Tarentine.'

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"Pleurez, doux alcyons! ô vous, oiseaux sacrés,
Oiseaux chers à Thétis; doux alcyons, pleurez !

Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine !
Un vaisseau la portait aux bords de Camarine:
Là l'hymen, les chansons, les flûtes, lentement
Devaient la reconduire au seuil de son amant.
Une clef vigilante a, pour cette journée,
Sous le cèdre enfermé sa robe d'hyménée,
Et l'or dont au festin ses bras seront parés,
Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés.
Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles,
Le vent impétueux qui soufflait dans ses voiles
L'enveloppe : étonnée et loin des matelots,
Elle tombe, elle crie, elle est au sein des flots.

Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine !
Son beau corps a roulé sous la vague marine.
Thétis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher,
Aux monstres dévorants eut soin de la cacher.

Par son ordre bientôt les belles Néréides
S'élèvent au-dessus des demeures humides,

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