Page images
PDF
EPUB

de la vie des Orientaux. Le livre du Président de Montesquieu est trop frivole par la forme, mais il est philosophique par le fond. Il valut à l'auteur une place à l'Académie Française et l'encouragea à continuer ses études sur la société. Il voulut y ajouter des considérations sur les constitutions et les jurisprudences des différents peuples, et, ayant vendu sa charge de président, il se mit à voyager. Il alla à Vienne, où il rencontra le prince Eugène, en Italie, où il eut lord Chesterfield pour compagnon, en Allemagne, en Suisse, en Hollande, puis en Angleterre, dont la constitution lui inspira une grande admiration. Après trois ans de voyage il se retira dans son Considéra château de la Brède et publia en 1734 tions sur la les "Considérations sur la grandeur et la grandeur et la décadence décadence des Romains." On peut comdes Romains. "parer cet ouvrage au "Discours sur l'Histoire Universelle" de Bossuet, car, comme le grand évêque, Montesquieu cherche la philosophie de l'histoire. Il s'occupe plutôt des causes de la décadence que de celles de la grandeur, et fait un admirable tableau des guerres de la république et du despotisme de l'Empire.

[ocr errors]
[ocr errors]

En 1748 parut le chef-d'œuvre de Montesquieu, "Esprit des Lois," auquel il travailla vingt ans L'auteur y mit pour épigraphe, prolem L'Esprit sine matre creatam (enfant sans mère), et eut raison. L'oeuvre est réellement une puissante création, quoiqu'il n'y ait pas assez d'ordre dans la division du sujet.

des Lois."

Montesquieu avait acquis l'estime de tout le monde et partageait la popularité de Voltaire en Europe. Il mourut à Paris en 1755.

ހ

Le premier grand nom que nous rencontrions dans l'histoire de la science en France est celui de Buffon, mais malgré la popularité

Buffon.

dont il jouit comme savant au XVIIIe siècle, c'est surtout comme littérateur qu'il est célèbre aujourd'hui.

L'"Histoire

1707-1788

Né à Montbard, en Bourgogne, en 1707, George Louis Leclerc de Buffon fit ses études au collège de Dijon, s'intéressa d'abord aux mathématiques, voyagea en Italie et en Angleterre Naturelle." avec lord Kingston, et fit paraître des traductions d'ouvrages scientifiques anglais. En 1739 il fut nommé intendant du Jardin du Roi, et conçut alors le projet d'écrire une "Histoire Naturelle." Il y travailla cinquante ans et publia, à l'aide de collaborateurs, trente-six volumes in-quarto, la "Théorie de la Terre," puis les " Époques de la Nature,” "Histoire Naturelle de l'Homme," celle des "Quadrupèdes," et celle des "Oiseaux." Buffon a l'instinct scientifique, et ses hypothèses sont admirables. Il travaillait avec une ardeur infatigable, et l'on ne saurait trop appeler l'attention sur sa définition du génie, "une longue patience." Nous aimons à nous représenter ce grand homme dans la tour de son château de Montbard, écrivant son bel ouvrage, le corrigeant sans cesse, tâchant de trouver un style à la hauteur du sujet qu'il traite. Il lui semble qu'aucune phrase ne saurait être assez noble pour décrire les merveilles de la nature et il écrit avec pompe et éloquence. Ce style faisait dire à Voltaire de l'" Histoire Naturelle," "pas si naturelle," mais on rencontre parfois dans Buffon de la simplicité. Il faisait des progrès avec l'âge et ses "Époques de la Nature," écrites quand il

66

avait soixante et onze ans, sont la plus belle partie de son grand ouvrage.

"Discours sur le Style."

On

Il avait une telle popularité dans le monde entier que les corsaires anglais lui envoyèrent des échantilCons qui lui étaient adressés et qui se trouvaient dans un navire pris par eux. lui érigea de son vivant une statue à l'entrée du Jardin du Roi avec cette inscription: Majestati naturæ par ingenium, génie égal à la majesté de la nature. Il fut élu spontanément à l'Académie Française en 1753, et négligeant l'éloge banal d'un obscur prédécesseur, il prononça, le jour de sa réception, son célèbre "Discours sur le Style," où se trouve cette phrase si souvent citée: "le style est l'homme même." Reproduisons ici quelques beaux passages de ce discours: "Les ouvrages bien écrits seront les seuls qui passeront à la postérité: la quantité des connaissances, la singularité des faits, la nouveauté même des découvertes, ne sont pas de sûrs garants de l'immortalité: si les ouvrages qui les contiennent ne roulent que sur de petits objets, s'il sont écrits sans goût, sans noblesse et sans génie, ils périront, parce que les connaissances, les faits et les découvertes s'enlèvent aisément, se transportent, et gagnent même à être mises en œuvre par des mains plus habiles. Ces choses sont hors de l'homme, le style est l'homme même."

Dans la partie descriptive de son œuvre Buffon est inimitable, et comme écrivain il mérite d'être placé parmi les plus célèbres de la littérature française. Il rendit aussi de grands services à la science et donna l'impulsion à l'étude de l'histoire naturelle. Il mourut en 1788, à la veille de la Révolution, où périt son fils unique, qui s'écria en montant sur l'échafaud:

"Citoyens, je me nomme Buffon." Ce nom illustre eût dû être respecté par les révolutionnaires.

LES ENCYCLOPÉDISTES, LES PHILOSOPHES ET LES

MORALISTES.

Ce fut en 1749 que Diderot conçut le plan de l'Encyclopédie. L'ouvrage devait être d'abord une traduction de l'Encyclopédie anglaise de

L'EncycloChambers publiée en 1727, mais il devint pédie. un immense recueil des connaissances et, surtout, des idées du temps. Diderot en fut le principal éditeur et eut pour l'aider, d'Alembert, qui écrivit le Discours préliminaire. Voltaire y collabora, et l'œuvre fut vivement attaquée, interrompue plusieurs fois, mais achevée, grâce à la constance de Diderot, en 1780. L'Encyclopédie n'a pas grande valeur littéraire; elle donne, cependant, une excellente idée des opinions du XVIIIe siècle sur la religion, la politique et les mœurs. D'Alembert, qui contribua le plus, après Diderot, au succès de l'entreprise, est plutôt géomètre que littérateur. Il fut, néanmoins, secrétaire perpétuel de l'Académie Française et écrivit l'Histoire des membres de cette société morts depuis 1700 jusqu'en 1771. Diderot est connu principalement par l'Encyclopédie, ses tentatives de réforme dramatique, ses Salons et ses lettres. Il avait beaucoup d'esprit et d'idées, mais déployait, parfois, un cynisme honteux.

Les principaux philosophes du XVIIIe siècle, outre ceux que nous avons déjà nommés, sont Turgot, Condorcet, Helvétius, d'Holbach et Condillac. VauLe moraliste le plus célèbre est Vauve- venargues. nargues (1715-1747). Il fut d'abord militaire, maist

ayant perdu la santé après la retraite de Prague en 1741, il se consacra à l'étude et publia des "Maximes," qu'on a comparées à celles de La Rochefoucauld. Elles ne sont pas aussi pessimistes que celles du XVII® siècle, et on y voit la recherche sincère de la vérité.

CHAPITRE IV

ROUSSEAU ET L'"ÉMILE"

L’“ÉMILE” de Rousseau a fait époque dans l'histoire de l'éducation. C'est en effet un livre d'une merveilleuse éloquence et qui contient de grandes idées. L'ouvrage a exercé une immense influence sur l'éducation des peuples et, par conséquent, sur leur civilisation, et a attiré à l'auteur de grandes souffrances, que les maux dont il s'est plaint aient été réels ou imaginaires. Le livre de Rousseau est bien connu ainsi que Rousseau lui-même, mais il y a dans le caractère et la carrière de l'homme quelque chose de mystérieux qui rend ce sujet intéressant à étudier. Il faut connaître l'auteur d'" Émile” afin de comprendre l'étrange éducation du mari de Sophie, car très différents des grands hommes du XVIIe siècle, dont on aperçoit à peine la personnalité dans leurs écrits, les hommes du XVIIIe siècle, et surtout Voltaire et Rousseau, ont répandu leurs propres opinions dans leurs écrits et nous ont permis d'étudier dans leurs ouvrages leur caractère, et même les événements de leur vie. Rousseau se fit connaître, non seulement par ses lettres, mais aussi par ce livre

« PreviousContinue »