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cesse de Montpensier," car nous y voyons encore le caractère de Mme de La Fayette: "Elle "La Prinmourut en peu de jours dans la fleur de cesse de Montson âge. Elle était une des plus belles pensier.” princesses du monde, et en eût été sans doute la plus. heureuse, si la vertu et la prudence eussent conduit toutes ses actions." La vertu, la prudence, la raison, la bonté, voilà quelles étaient les qualités de Mme de La Fayette, charmante femme et charmant esprit, digne d'être l'amie de ces deux autres femmes si gracieuses, Henriette d'Angleterre et la marquise de Sévigné.

Madame de
Sévigné.
Son génie.

Le XVIIe siècle a produit de grands écrivains dans tous les genres, mais aucun ne nous intéresse plus que la tout aimable amie de Mme de La Fayette, la gracieuse et spirituelle marquise, celle qui fut inspirée par l'amour maternel, et dont les admirables lettres sont un des monuments les plus durables de la littérature française. On trouve de tout dans ces causeries vives et animées, on y voit le cœur dévoué d'une mère sans pareille, le tableau le plus complet de la société du XVIIe siècle, de la cour du grand roi, et le récit toujours intéressant et parfois d'une éloquence entraînante, des événements historiques du temps. Saint-Simon, lui-même, n'a pas surpassé Mme de Sévigné pour la vigueur et la finesse du trait en dépeignant les personnages de l'époque, et les lettres de la marquise ont cet avantage sur les mémoires du duc qu'elles sont écrites sans fiel, sans parti pris, au jour le jour, sans penser à la postérité. Ce sont, pour ainsi dire, des photographies des scènes du XVIIe siècle, et comme telles plus exactes dans tous les détails que les grands tableaux des plus illustres his

toriens. Les œuvres de ceux-ci ont plus d'ampleur, plus de coloris, mais ne sont que de belles copies des petites photographies de Mme de Sévigné. Étudier les lettres à Bussy, à Pomponne, à M. de Coulanges, à Mme de Grignan, c'est donc étudier l'histoire de la partie la plus intéressante du règne de Louis XIV, c'est vivre avec les grands seigneurs et les grandes dames du temps, c'est comprendre la misère du peuple écrasé par le luxe éblouissant du roi, c'est entendre le chant des rossignols à Livry et aux Rochers, c'est sentir à la poitrine la bise de Provence, c'est voir faner en Bretagne, c'est enfin respirer l'air même de l'élégant Hôtel de Carnavalet, en présence de la mère si tendre, de la fille "rêche" et froide, du fils affectueux et léger, du Bien Bon, du comte de Grignan, du petit marquis et de la gentille Pauline.

des

Pour bien apprécier les lettres de Mme de Sévigné il ne faut pas se contenter de les lire dans un choix Les éditions quelconque, où l'on trouve une centaine des lettres devenues classiques, telles que "Lettres." celles sur la mort de Turenne, le mariage de Mademoisellle, et la mort de Vatel. Il faut prendre l'admirable édition de Monmerqué qui ouvre la Collection des grands écrivains de la France, publiée par la maison Hachette. Il faut étudier l'excellente biographie de M. Paul Mesnard, enfin il faut lire non seulement les lettres de la marquise, mais encore les réponses à ces lettres que l'on a pu recueillir. Le chevalier de Perrin, chargé par Mme de Simiane, petite-fille de Mme de Sévigné, de publier une édition des lettres, se permit de faire quelques changements pour ne pas froisser les susceptibilités de ses contemporains du XVIIIe siècle et pour adoucir certaines ex

pressions. Nous avons maintenant, heureusement, un texte presque parfait des lettres et nous pouvons admirer sans réserve le style si souple, si noble, si léger, si franc de Mme de Sévigné. Pas de pruderie chez elle mais aussi rien d'impur, et si les termes nous paraissent parfois un peu forts, ne blâmons pas la femme vertueuse qui les emploie, et rappelons-nous que l'on ne parlait pas, à la fin du xvIIe siècle, comme l'on parle aujourd'hui. Étudions la vie, lisons les lettres de Mme de Sévigné et nous l'aimerons comme l'ont aimée ses contemporains. Nous serons captivés par sa taille élégante, son beau teint, ses cheveux blonds, ses yeux bigarrés, comme disait Bussy. Son nez carré n'a pas éloigné une foule d'amoureux et il fallut le dévouement maternel pour tenir à distance les nombreux adorateurs. Aimons la marquise et nous serons les rivaux de Bussy-Rabutin, de Conti, de Turenne et de bien d'autres. Hâtons-nous donc de faire la connaissance de Mme de Sévigné, et voyons si elle recevra mieux nos hommages que ceux des élégants cavaliers qui viennent la voir en costumes de velours tout chamarrés de rubans et l'épée au côté. Nous n'avons guère d'espoir de toucher le cœur de la marquise, ce cœur tout rempli de l'image d'une fille chérie, mais nous aurons toujours le plaisir d'avoir rencontré une femme belle, bonne et spirituelle.

Vie de

Marie de Rabutin Chantal naquit à Paris le 5 février 1626; son père était Celse-Bénigne, baron de Chantal; sa mère, Marie de Coulanges. La famille de Rabutin à laquelle appartenait Mme. de le baron de Chantal était très ancienne, et Sévigné. Cristophe, père de Celse-Bénigne, se distingua au combat de Fontaine-Française, sous Henri IV. II

épousa Jeanne-Française Frémyot, connue sous le nom de Sainte Chantal, et mourut à trente-sept ans, tué par accident à la chasse. Quelques années après sa mort sa veuve, guidée par Saint François de Sales, se retira dans un couvent, laissant à son père le soin d'élever ses trois filles et son fils. On raconte que celui-ci se coucha sur le seuil de la porte pour empêcher sa mère de passer, mais que celle-ci persista dans son projet de fuir le monde. Quoique Sainte Chantal ait ainsi abandonné ses enfants elle paraît leur avoir été très attachée et s'intéressa à leur carrière. Dans ses lettres elle parle souvent de son fils et de la petite fille qu'il laissa. Le père de Mme de Sévigné semble avoir été un homme d'honneur et Son père. un cavalier accompli. Malheureusement il vivait à une époque où le duel était une frénésie, et comme son père, il se battit maintes fois. On raconte qu'un jour, peu après son mariage, il se leva de la table sainte pour aller servir de second à Bouteville. Ce fut chez lui que se réfugia le célèbre duelliste après le duel où son second, des Chapelles, tua son adversaire. Chantal se sentit perdu, s'il restait à Paris, et alla combattre les Anglais à l'île de Ré pendant le siège de la Rochelle. C'est là qu'il fut tué à l'âge de trente et un ans. Le seul billet que l'on ait du père de la célèbre épistolière est celui-ci, qu'il adressa à Schomberg quand il fut fait maréchal de France:

"Monseigneur,

Qualité, barbe noire, familiarité."

Mme de Sévigné explique ainsi ce billet: "Vous entendez bien qu'il voulait dire qu'il avait été fait maréchal de France, parce qu'il avait de la qualité, la

Orpheline.

Ceux-ci

barbe noire comme le roi son maître, et qu'il avait de la familiarité avec lui. Il était joli mon père!" La veuve du baron de Chantal, Marie de Coulanges, ne survécut pas longtemps à son mari, et la petite orpheline fut confiée à son grandpère et à sa grand'mère de Coulanges. moururent aussi bientôt et un conseil de famille donna la tutelle de l'enfant, alors âgée de dix ans, à son oncle Christophe de Coulanges, abbé de Livry. C'est le Bien Bon dont le dévouement à sa pupille fut constant pendant cinquante ans et qui lui donna ces habitudes d'ordre qui lui permirent plus tard de conserver sa fortune pour ses enfants. Mlle de Chantal, comme son amie, Mile de La Vergne, eut Ménage pour maître, et celui-ci ne fit pas d'exception pour elle, à la règle qu'il semblait s'être imposée, d'être amoureux de toutes ses élèves. La jeune fille reçut aussi des leçons du lourd et docte Chapelain et apprit bien le latin, l'espagnol et l'italien. Nous avons déjà dit qu'elle fréquenta l'Hôtel de Rambouillet, et Somaize lui donne le nom de Sophronie dans son Dictionnaire des Précieuses.

Portrait par
Mme. de La
Fayette.

Voici ce que dit Mme de La Fayette de sa beauté dans son portrait, sous le nom d'un inconnu : "Sachez donc, madame, si par hasard vous ne le savez pas, que votre esprit pare et embellit si fort votre personne, qu'il n'y en a point sur la terre d'aussi charmante, lorsque vous êtes animée dans une conversation d'où la contrainte est bannie. Tout ce que vous dites a un tel charme et vous sied si bien, que vos paroles attirent les ris et les grâces autour de vous; et le brillant de votre esprit donne un si grand éclat à votre teint et à vos yeux,

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