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"Si on juge de l'amour par la plupart de ses effets, il ressemble plus à la haine qu'à l'amitié.”

"Il n'y a que d'une sorte d'amour, mais il y en a mille différentes copies."

"Il est du véritable amour comme de l'apparition des esprits: tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu."

"Les hommes ne vivraient pas longtemps en société, s'ils n'étaient les dupes les uns des autres." "On ne donne rien si libéralement que ses conseils." "On aime mieux dire du mal de soi-même que de n'en point parler."

"On ne loue, d'ordinaire, que pour être loué."

"Le monde récompense plus souvent les apparences du mérite que le mérite même."

“La parfaite valeur est de faire sans témoins ce qu'on serait capable de faire devant tout le monde." "L'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu."

"Le mérite des hommes a sa saison aussi bien que les fruits."

"L'extrême plaisir que nous prenons à parler de nous-mêmes nous doit faire craindre de n'en donner guère à ceux qui nous écoutent."

"On ne devrait s'étonner que de pouvoir encore s'étonner."

La

Jean de La Bruyère naquit à Paris en 1645. Après avoir fini ses études il étudia le droit, puis fut trésorier de la circonscription de Caen, mais Bruyère. des revers de fortune l'engagèrent à accepter la place de professeur d'histoire du duc de Bourbon, petit-fils du grand Condé. Là, il put bien

étudier les hommes et aussi se faire des protecteurs. Il publia en 1688 "les Caractères de Les Théophraste, traduits du grec, avec les Caractères." caractères ou les mœurs de ce siècle." L'ouvrage était bien loin, cependant, d'être une traduction; c'était une œuvre originale et forte, et les portes de l'Académie s'ouvrirent pour lui, malgré l'inimitié des petits esprits. Dans son discours de réception il fit l'éloge des vrais immortels vivant de son temps, La Fontaine, Boileau, Racine, Fénelon et Bossuet, et négligea complètement les autres membres de l'Académie. C'était un homme d'un caractère fier et sensible, et entièrement désintéressé. On sait qu'il donna le manuscrit de ses 66 Caractères" à la fille de son libraire, et que l'ouvrage rapporta à celle-ci deux ou trois cent mille francs. La Bruyère est un grand écrivain et un grand moraliste. On prétendit qu'il avait pris pour modèles des caractères contemporains, et on nomma les personnes dont il voulait parler. II n'accepta pas ces clefs, et l'on peut dire que, si les personnages dépeints par lui ont vécu de son temps, ils vivent encore du nôtre. Sa langue est énergique et exacte, et on lira toujours avec plaisir certains de ses tableaux, qui, comme de petits drames, nous montrent l'homme bien vivant, avec ses défauts et ses vices. Son portrait du paysan est d'un réalisme saisissant et celui du riche et du pauvre d'une vérité frappante. La Bruyère mourut en 1696, justement estimé de ses contemporains.

Nicolas Malebranche, oratorien, né en 1638, mort en 1715, est aussi un moraliste célèbre. Son Maletraité, la "Recherche de la Vérité," est branche. une œuvre profonde et bien écrite.

Vie de
Boileau.

CHAPITRE V

LES POÈTES

BOILEAU ET LA FONTAINE

NICOLAS BOILEAU DESPRÉAUX naquit à Paris en 1636 et mourut en 1711. Il perdit sa mère à l'âge de deux ans, et son enfance fut triste et maladive. Il suivit les cours du collège d'Harcourt et du collège de Beauvais, et un de ses maîtres, M. Sévin, devina son talent poétique et l'encouragea. Son père, greffier au parlement de Paris, voulut qu'il étudiât le droit, ce qu'il fit à contre-cœur, et plus tard on le destina à l'église. Il suivit, cependant, sa vocation de poète, et en 1660 fit paraître en manuscrit une satire, et en 1666 publia son 66 Discours au Roi" et sept "Satires." L'esprit satirique était dans la famille de Boileau: son frère Gilles était poète et académicien, et son frère Jacques, abbé et chanoine, était renommé aussi pour ses saillies. Sainte-Beuve dit à ce sujet: "Quand la nature créa Gilles, elle essaya un premier crayon de Nicolas; elle resta en deça et se repentit, elle prit le crayon et appuya quand elle fit Jacques, mais cette fois elle avait trop marqué. Elle se remit à l'œuvre une troisième fois, et ce fut la bonne. Gilles était l'ébauche, Jacques la charge, Nicolas est le portrait."

Jusqu'en 1660, malgré les chefs-d'œuvre qui avaient déjà paru, la littérature du XVIIe siècle n'avait pas encore atteint sa forme définitive, surtout Boileau. en poésie. Le bon goût, la raison, ne régnait pas encore, et Corneille même présentait

Le rôle de

dans ses sublimes tragédies bien des défauts de goût et de style.

Lorsque parut Boileau en 1660 on admirait Corneille et Molière, et La Fontaine et Racine préparaient leurs chefs-d'œuvre, mais le public avait besoin d'un guide pour l'éclairer, et lui faire comprendre à distinguer nettement le bon du mauvais. Voilà quel devait être le rôle de Boileau; il ne fut pas l'inspirateur, le créateur du génie de son siècle, mais il sut donner d'excellents conseils à ses amis, Molière, La Fontaine et Racine, et il sut surtout anéantir les mauvais poètes qu'on s'était habitué à considérer les égaux des plus grands. Rappelons-nous l'immense influence de M11 de Scudéry, et de ses Samedis, où se réunissaient les rimailleurs de l'époque, rappelons-nous que Chapelain était l'oracle du bon goût, le dispensateur des bénéfices du roi, rappelons-nous que ces auteurs infimes qu'on a appelés les victimes de Boileau, avaient beaucoup d'entre eux une grande réputation, et que c'est le sévère critique qui les fit tomber dans l'oubli, même de leur vivant. La France possédait encore une légion de poètes qui avaient le culte des pointes, des conceptos espagnols et des concetti italiens, et la réforme qu'avait inaugurée Malherbe n'eût pas été efficace sans l'oeuvre de Boileau. Il déploya un jugement presque infaillible dans ses critiques et un grand courage en attaquant tant d'écrivains, dont beaucoup avaient la protection des plus grands seigneurs de la cour. I sut allier l'exemple au précepte, car son vers est toujours correct et sobre, et s'il n'attaqua pas le caractère d'homme de ses victimes, il sut leur donner une leçon en flétrissant la bassesse et en donnant l'exemple d'une vie irréprochable. Boileau fut un

Son

homme honorable, digne des faveurs dont le combla le roi, et quoique courtisan, il ne fut caractère. jamais vil, et parfois sut dire la vérité à Louis XIV lui-même. Excepté à la fin de sa vie, il ne fut pas morose et misanthrope, et l'on peut dire de lui que, s'il ne fut pas un très grand poète, il rendit de grands services à la poésie. Il conseille avant tout d'être vrai et de s'exprimer avec correction et il donne certainement l'exemple dans ses vers. Il n'a pas la vraie inspiration poétique et manque d'enthousiasme et de chaleur, mais ses œuvres sont nobles et pures et il mérite l'immense popularité dont il jouit encore. Il fut reçu à l'Académie, malgré ses satires, mais tardivement.

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Les "Satires" sont peut-être l'œuvre la plus utile de Boileau, mais sont inférieures, au point de vue litLes téraire, aux Épîtres," à 1" Art Poé"Satires." tique" et au "Lutrin." Il y a douze satires, dont les neuf premières sont les meilleures. Parlons des satires les plus importantes: c'est dans la première que nous trouvons ces deux vers si connus:

“Je ne puis rien nommer si ce n'est par son nom;
J'appelle un chat un chat, et Rolet un fripon."

La seconde est réellement belle et est dédiée à Molière; la troisième est le célèbre "Repas Ridicule "; la cinquième, sur la noblesse, est philosophique plutôt que satirique; la sixième, sur les embarras de Paris, est aussi amusante que le "Repas Ridicule"; la huitième commence ainsi :

"De tous les animaux qui s'élèvent dans l'air,

Qui marchent sur la terre, ou nagent dans la mer,
De Paris au Pérou, du Japon jusqu'à Rome,
Le plus sot animal, à mon avis, c'est l'homme."

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