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Gains des hommes de lettres.

à quelque riche personnage étaient à peu près la seule source de revenu d'un auteur, et le grand Corneille eut souvent à s'abaisser et à donner des louanges extravagantes à des personnes de qui il comptait recevoir quelque argent en retour de ses compliments. Corneille ne retira que peu de profit de ses œuvres, mais Racine gagna davantage et Molière encore plus, parce qu'il recevait une part comme auteur et une comme acteur.

Il n'y avait pas, à cette époque, de privilège d'auteur, et dès qu'un drame était publié il tombait dans le domaine public. On lisait peu au temps de Louis XIV et un auteur trouvait difficilement à faire publier ses ouvrages. Ce ne fut que grâce à l'intercession de Boileau que La Fontaine trouva quelqu'un pour publier ses admirables fables. Les bibliothèques étaient très petites, et Molière, à sa mort, ne laissa que quatre cents volumes. Le grand siècle littéraire de la France ne fut donc pas favorable aux hommes de lettres, et ne patronna pas la littérature autant que nous pourrions le croire. Néanmoins, le roi fit ce qu'il put pour les grands hommes de son règne, et son bon goût et celui du public en général furent la cause du grand succès littéraire de Corneille, de Racine et de Molière.

La protection de Louis XIV.

CHAPITRE IV

LES PHILOSOPHES ET LES MORALISTES

DESCARTES, PASCAL, LA ROCHEFOUCAUld,
LA BRUYÈRE ET MALEBRANCHE

RENÉ DESCARTES naquit à la Haye (Indre-et-Loire) en 1596. Il reçut une bonne éducation chez les jésuites de la Flèche, mais il ne fut pas Descartes. satisfait de ce qu'il avait appris et se mit

à courir le monde pour tâcher de le connaître. Il fut voyageur, puis soldat, pendant la guerre de Trente ans et le siège de la Rochelle; enfin il se décida à vivre dans la retraite pour pouvoir étudier la philosophie sans être dérangé. Il passa en Hollande en 1629 et produisit divers ouvrages scientifiques et philosophiques. En 1649 la reine Christine de Suède l'attira à Stockholm pour l'entendre disserter sur la philosophie, mais le climat du Nord ne convint pas à Descartes et il mourut le 11 février 1650.

Nous ne parlerons pas ici de Descartes comme géomètre et comme savant et nous ne dirons rien de ses "Méditations Philosophiques." Le seul de ses ouvrages qui concerne la littérature française est le fameux "Discours de la Méthode," publié en 1637. Il trouve que le bon sens ou la raison

"Discours

appartient à tous les hommes, et que la de la diversité d'opinions provient des diffé- Méthode." rentes manières de conduire les pensées. Il faut donc suivre une méthode pour arriver à se servir de la raison, qui est le seul guide. Il base sa philosophie sur cette vérité: je pense, donc je suis; et dit: "Puis,

examinant avec attention ce que j'étais, et voyant que je pouvais feindre que je n'avais aucun corps et qu'il n'y avait aucun monde ni aucun lieu où je fusse, mais que je ne pouvais pas feindre pour cela que je n'étais point, et qu'au contraire, de cela même que je pensais à douter de la vérité des autres choses, il suivait très évidemment et très certainement que j'étais; au lieu que, si j'eusse seulement cessé de penser, encore que tout le reste de ce que j'avais imaginé eût été vrai, je n'avais aucune raison de croire que j'eusse été, je connus de là que j'étais une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser, et qui, pour être n'a besoin d'aucun lieu ni ne dépend d'aucune chose matérielle; en sorte que ce moi, c'est-à-dire l'âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu'elle est plus aisée à connaître que lui, et qu'encore qu'elle ne fût point, elle ne lairrait (laisserait) pas d'être tout ce qu'elle est."

Nous voyons par ce long extrait du "Discours de la Méthode" que Descartes écrit avec force et clarté, quoique ses propositions soient très longues et ressemblent plutôt à la période latine qu'à la phrase française, généralement si concise et si brève. Il fit faire, cependant, des progrès à la prose française, et son influence fut grande sur les écrivains du XVII siècle. Quant à sa philosophie, on peut dire qu'elle détrôna celle d'Aristote et qu'elle fit faire un grand pas en avant à l'esprit humain. Descartes fut grand comme savant et comme écrivain, et l'on peut, à bon droit, le comparer à Pascal.

Blaise Pascal, cet effrayant génie, selon l'expression de Chateaubriand, naquit à Clermont-Ferrand en

Pascal.

1623. Il perdit sa mère à l'âge de trois ans, et son père, homme éminent, président de la cour des aides, s'établit à Paris à cause de la santé de son fils et pour l'éducation de ses enfants. Il avait deux filles, Gilberte, qui devint Mme Périer et qui fut biographe de son frère, et Jacqueline, religieuse à Port-Royal, caractère ferme et dévoué. La santé de Pascal n'étant pas bonne, son père lui fit étudier le grec et le latin avant de lui enseigner les mathématiques, mais un jour il surprit l'enfant, âgé de douze ans, qui, à l'aide de barres et de ronds, comme il le disait, faisait des figures de géométrie. Il avait découvert de nouveau les principes d'Euclide jusqu'à la trente-deuxième proposition. On ne contraria plus un génie si précoce, et les dispositions étonnantes de Pascal furent encore démontrées par son traité, "Sur les coniques," qu'il écrivit à l'âge de seize ans. Il inventa ensuite une machine arithmétique et s'occupa des sciences physiques, lorsqu'il eut appris les théories de Torricelli concernant le vide et la pesanteur de l'air. On sait qu'il prouva ce que Torricelli avait avancé; il fit faire des expériences sur le Puyde-Dôme par son beau-frère Périer, et acquit un grand renom comme savant. A la fin de sa vie, en 1659, il revint aux mathématiques et écrivit un traité lumineux et profond sur la cycloïde ou roulette. Pascal avait autant de génie pour les sciences que Descartes, mais les circonstances de sa vie et son propre caractère l'engagèrent dans une autre voie. Sa santé étant très faible les médecins lui conseillèrent des distractions, et pendant six ou sept ans, il suivit le monde et eut même l'idée de se marier. En 1655, cependant, il se retira brusquement du monde, l'imagination

frappée, dit-on, par un accident qui lui arriva au pont de Neuilly, lorsque sa voiture, emportée par les chevaux, s'arrêta au-dessus de l'abîme. On parle aussi d'une vision qu'il eut, mais il est probable que sa piété seule fut cause de sa décision. Sa sœur Jacqueline était devenue religieuse à Port-Royal et il dut être frappé par l'enthousiasme religieux des solitaires de Port-Royal-des-Champs.

Cette célèbre institution, à laquelle se rattachent les noms de Pascal et de Racine, était d'abord un monastère de religieuses à sept ou huit Port-Royal. milles de Versailles, fondé au XIIIe siècle.

Il dut sa célébrité aux différents membres de la famille Arnauld, dont le chef, Antoine Arnauld, seigneur de la Mothe, s'établit à Paris au commencement du XVIe siècle. Son fils Antoine fut célèbre comme procureur-général et par le nombre et la distinction de ses enfants. Il en eut vingt parmi lesquels on peut citer Arnauld d'Andilly, homme du monde influent, Antoine Arnauld, connu sous le nom de grand Arnauld, la mère Angélique et la mère Agnès. Sous l'influence de St. Cyran les Arnauld et leurs neveux, le Maître, de Sercourt et de Saci, formèrent une société religieuse. En 1639 ils s'établirent à Port-Royal-des-Champs que venaient de quitter les religieuses, et au retour de celles-ci de Paris en 1648, ils allèrent à une ferme nommée les Granges. Outre les Arnauld se trouvaient parmi les solitaires, Nicole, Lancelot, Fontaine et Singlin, et ces hommes savants et sincères écrivirent des traités de grammaire et de logique, et enseignèrent avec grand succès. Ce fut la mère Angélique qui réforma le couvent de Port-Royal et en fit un lieu de sainteté. Voyons maintenant quelle fut la cause de la persécu

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