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Le génie de

Molière.

est vrai que ce grand écrivain emprunta quelquefois ses sujets et quelques caractères de Plaute et de Térence, des Espagnols et des Italiens, mais c'est à Dieu seul qu'il doit cette sage et profonde philosophie, ces yeux qui voient tous les mobiles qui font agir l'homme, qui aperçoivent toutes les pulsations du cœur humain. Il apprit à connaître l'homme, et quoiqu'il fût bon et généreux toute sa vie, sur ses traits intelligents et expressifs se voit un sourire mélancolique et ironique. Le grand philosophe ne connaissait que trop bien les vices de l'humanité. Il avait souffert: trompé par sa femme, conspué par les hommes à l'esprit petit et étroit et dont le seule mérite était de posséder un vain titre, attaqué par les hypocrites, calomnié par ses rivaux et envié, il continua hardiment sa tâche. Ce ne fut ni Plaute, ni Térence, ni la comédie italienne, qui lui enseignèrent à flageller impitoyablement le marquis ridicule et les hommes vicieux, à enlever d'une main intrépide le masque de piété du visage du faux dévot, et aussi à placer devant nous sur la scène les caractères les plus charmants. L'" Étourdi" et le " Dépit Amoureux sont imités de l'italien, mais on y voit déjà le génie de Molière, et il n'y a rien de plus tendre et de plus comique que les querelles de Lucie et d'Éraste et de Marinette et de Gros-René dans le "Dépit Amoureux."

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C'est réellement en 1659 que Molière commença sa glorieuse carrière, lorsque parurent les "Précieuses Ridicules." Ayant appelé l'attention, Les "Précomme nous l'avons fait, sur les préci- cieuses euses de l'Hôtel de Rambouillet, il est bon de donner une idée de la pièce de Molière.

Ridicules."

Cathos et Madelon, la nièce et la fille d'un bon bourgeois appelé Gorgibus, ont pris les noms de Polixène et d'Aminthe, et ont repoussé leurs prétendants, La Grange et Du Croisy, parce qu'ils ne sont suffisamment beaux-esprits et sont assez peu poétiques pour vouloir se marier avant d'avoir exploré pendant plusieurs mois le pays de "Tendre." La Grange et Du Croisy veulent se venger et envoient leurs valets habillés en gentilshommes faire la cour aux deux pédantes. La conversation du marquis de Mascarille et du vicomte de Jodelet est des plus amusantes et correspond à celle de Polixène et d'Aminthe, qui appellent un valet, un nécessaire, un miroir, le conseiller des grâces, et un fauteuil les commodités de la conversation. Pendant que le marquis et le vicomte font les galants près de Cathos et de Madelon leurs maîtres arrivent et les chassent à grands coups de bâton, laissant les deux précieuses ébahies et confuses.

Molière, encouragé par le succès des "Précieuses Ridicules," donna en 1660 "Sganarelle," pièce d'un comique amusant, mais grossier. En 1661 il écrivit "Don Garcie de Navarre," ouvrage inférieur, et la même année, il produisit les "Fâcheux," comédie à tiroirs, où les différentes espèces de fâcheux défilent devant nous sur la scène. Faisons remarquer ici que les "Fâcheux" furent joués au château de Vaux, où Fouquet, le surintendant, ne se doutant pas de sa chute prochaine, recevait Louis XIV avec une splendeur vraiment royale.

En 1661 parut aussi l'École des Maris," la première comédie de caractère en vers de Molière, et en 1662 l'École des Femmes." Arnolphe ressemble beaucoup à Sganarelle, de l'École des Maris," et

a gardé loin du monde et dans l'ignorance de toutes les choses du monde, une jeune fille

L'"'École qu'il veut épouser. Le caractère d'Agnès des est charmant; elle est d'une parfaite Femmes." innocence et écoute avec une amusante docilité les ridicules maximes de son tuteur sur le mariage. Néanmoins, ayant aperçu Éraste, en l'absence d'Arnolphe, elle le reçoit chez elle, et quoiqu'elle raconte toute l'histoire à son tuteur, son innocence ne l'empêche pas de correspondre avec Horace en prétendant lui lancer des pierres. Horace raconte à Arnolphe son amour pour Agnès, ne le reconnaissant pas sous son nom de la Souche, et celui-ci tâche en vain de déjouer les projets de son rival. L'" École des Femmes" créa à Molière une foule d'ennemis, et comme il avait parlé des flammes de l'enfer, il fut accusé, dès ce moment, d'attaquer la religion. L'indignation des superstitieux et des hypocrites fut très grande et augmenta encore quand parurent le "Tartuffe" et le "Festin de Pierre." Molière, soutenu par le roi, répondit de la manière la plus efficace aux critiques de ses ennemis. Il joua devant la cour la Critique de l'École des Femmes" et l'" Impromptu de Versailles." Dans la première pièce il réfuta toutes les critiques, et dans la seconde il parut sur la scène sous son propre nom et se moqua sans pitié de quelques comédiens de l'Hôtel de Bourgogne et de quelques misérables écrivains.

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Ce fut en 1662, l'année de l'" École des Femmes," que Molière épousa Armande Béjart, qui n'avait que dix-sept ans. La postérité ne pardonne Mariage de pas à cette femme les chagrins qu'elle Molière. causa au grand comique. comique. Le " Le "Mariage Forcé"

Le

Forcé."

(1664) est une amusante comédie, où Sganarelle, qui a cinquante-deux ans, est fiancé "Mariage à Dorimène, jeune coquette. Il est, cependant, comme Panurge et se demande s'il devrait se marier. Il consulte d'abord son ami Geronimo, ensuite les deux philosophes, Pancrace et Marphurius, et l'auteur critique avec beaucoup d'esprit les écoles de philosophie de son temps. Marphurius prétend que rien n'est certain en ce monde et que nous devons dire: "il semble, il paraît." Sganarelle, impatienté, le bâtonne et dit au philosophe: "Il faut douter de toutes choses, et vous ne devez pas dire que je vous ai battu, mais qu'il vous semble que je vous ai battu."

On dit que l'original de Sganarelle fut le chevalier de Grammont, à qui il arriva une aventure du même genre que dans le "Mariage Forcé."

La faveur dont jouissait Molière près de Louis XIV était très grande. Ne lui reprochons donc pas ses pièces légères et bouffonnes, ses pièces écrites par ordre du roi; en plaisant au maître il recevait son appui lorsqu'il

Anecdote

de l'en cas de nuit.

voulait faire jouer une pièce comme "Tartuffe." Il ne faut pas, cependant, exagérer l'intimité de Molière avec Louis XIV et croire à l'histoire de l'en cas de nuit, de ce poulet que le roi aurait invité le comédien à manger avec lui. M. Despois, dans son livre, le “Théâtre sous Louis XIV,” a prouvé que l'anecdote de l'en cas de nuit n'est qu'une "Don Juan, légende. Nous ne dirons rien de la ou le Festin "Princesse d'Élide" (1664), comédie de Pierre." ballet, et nous nommerons seulement "Don Juan, ou le Festin de Pierre" (1665), œuvre

forte et pleine d'indépendance d'esprit, mais dont le sujet, tiré du "Combibado de Pietra" de Tirso de Molina, est assez grossier, et la fin trop fantastique. Don Juan, son valet, et M. Dimanche sont des caractères bien vivants.

"Mélicerte" (1666), et la "Pastorale-Comique" (1666) sont deux pièces inachevées, écrites pour les plaisirs de la cour, et le "Sicilien, ou l'Amour Peintre," est une gracieuse petite pièce en un acte.

"Tartuffe."

Lorsqu'en 1664 Molière écrivit "Tartuffe" et fit jouer les trois premiers actes dans les fêtes de Versailles, tous les hypocrites en France s'élevèrent contre l'homme qui avait osé les démasquer et montrer l'odieux de leur fausse piété. Quelques vrais dévots se joignirent aux tartuffes et le scandale fut si grand que la pièce fut interdite. Bourdaloue, le grand orateur de la chaire, fulmina contre l'ouvrage, ainsi que l'archevêque de Paris, et le roi, malgré son amitié pour Molière, ne put résister à une telle opposition. Quoique "Tartuffe" fût joué une fois en public, en 1667, l'interdiction ne fut levée qu'en 1669 et le chef-d'œuvre de l'art comique put être joué librement après quatre ans d'efforts constants de la part de Molière. La pièce, cependant, avait été représentée plusieurs fois dans l'intervalle chez les particuliers, entre autres chez le grand Condé. Louis XIV mérite les remerciements de la postérité pour avoir permis de jouer Tartuffe;" il n'était pas encore l'homme de la Révocation de l'Édit de Nantes.

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Le "Tartuffe" est l'histoire d'un misérable qui, sous le manteau de la religion, s'est glissé dans la famille d'Orgon, et par sa piété feinte a captivé son

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