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elle accuse Hippolyte. Thésée voit la lettre dans la main de Phèdre, la lit et maudit son fils, dont Neptune cause la mort. Avant qu'Hippolyte expire

Diane raconte à Thésée la cause de la mort de Phèdre et nous assistons à une touchante conversation entre la déesse, Thésée et Hippolyte. Le malheureux jeune homme se plaint de son triste sort, et Diane le console; il pardonne alors à son père et meurt. Il règne dans la tragédie grecque une charmante simplicité. Dans Sénèque, Phèdre est entièrement livrée à son amour et perd toute modestie. Racine rend Phèdre moins coupable que dans Euripide et dans Sénèque, car lorsqu'elle fait l'aveu de son amour elle croit Thésée mort, et c'est Œnone qui dénonce Hippolyte à son père. Racine ne nous montre pas Hippolyte insensible à l'amour et il a créé la gracieuse Aricie. Le poète français doit beaucoup au grand tragique grec, mais il écrivit une œuvre que n'eût pas désavouée Euripide lui-même et qui nous charme autant par l'harmonie du style que par la grandeur des personnages. Les ennemis de Racine, cependant, montèrent contre lui une cabale à laquelle prirent part Mme Deshoulières, le poète des Bergeries, la duchesse de Bouillon et son frère, le duc de Nevers. Les deux derniers engagèrent l'obscur Pradon à écrire une "Phèdre," louèrent pendant six jours les deux salles de spectacle où l'on jouait la pièce de Racine et celle de Pradon, et firent tomber le chefd'œuvre du rival de Corneille.

Racine, attristé par cette injustice et tourmenté par les scrupules religieux, abandonna le théâtre, dans la plénitude de son génie, malgré les encouragements de Boileau, et ne revint à scène qu'après douze

ans d'absence.

Il se maria pendant ce temps, revint à ses amis, les jansénistes, et Racine s'occupa avec zèle de sa charge d'historio- abandonne graphe. le théâtre.

Ce fut Mme de Maintenon qui le ramena au théâtre en lui demandant d'écrire une tragédie pour les jeunes filles de l'école de Saint-Cyr.

L'école de

Le poète obéit et écrivit "Esther " en Saint-Cyr. 1689 et "Athalie" en 1691. Dans ces deux ouvrages le poète a abandonné l'antiquité classique, et inspiré par sa piété, a emprunté ses sujets à l'histoire sainte. Il semble que le génie de Racine ait grandi pendant ces douze ans d'inaction; ses vers sont réellement admirables d'harmonie et de simplicité et ses choeurs le placent bien au-dessus de tous les poètes lyriques de son siècle et du suivant.

"Esther" est en trois actes, et eut le plus grand succès. Par les vers qui suivent nous

pouvons avoir une idée de la nouvelle

Esther."

manière de Racine après son retour au théâtre:

"Ce Dieu, maître absolu de la terre et des cieux,
N'est point tel que l'erreur le figure à vos yeux.
L'Éternel est son nom; le monde est son ouvrage:
Il entend les soupirs de l'humble qu'on outrage,
Juge tous les mortels avec d'égales lois,

Et du haut de son trône interroge les rois:

Des plus fermes États la chute épouvantable,

Quand il veut, n'est qu'un jeu de sa main redoutable."

"Athalie" ne fut pas jouée en public et passa inaperçue; c'est cependant une des plus belles tragédies qu'il y ait en français. Les caractères sont si naturels, les vers si coulants qu'on n'appré

cie pas immédiatement l'art du poète. Qu'y a-t-il de plus sublime que le rêve d'Athalie,

66 "Athalie." de plus touchant que l'innocence de

Joas et sa confiance en Dieu, quand il dit:

"Dieu laissa-t-il jamais ses enfants au besoin?

Aux petits des oiseaux il donne leur pâture,
Et sa bonté s'étend sur toute la nature."

Dans "Athalie" nous ne trouvons point un mot d'amour; Racine s'était inspiré de quelque chose de plus grand, de la religion, et le sort de la cruelle reine nous impressionne plus que le malheur des plus parfaits amants. Racine avait été reçu à l'Académie en 1673, et sa gloire était grande, même après la chute de "Phèdre." Il eut le malheur d'offenser le roi par un mémoire politique qui tomba sous les yeux de Louis XIV, et fut très malheureux de sa demi-disgrâce. Il mourut le 21 avril 1699, laissant un nom qu'on ne peut comparer qu'à celui de Corneille.

Des contemporains de Corneille le meilleur est sans contredit Rotrou (1609-1650). Il est inégal mais il y a du génie dans plusieurs de Rotrou. ses pièces, telles que "Saint Genest" (1646) que l'on peut comparer à "Polyeucte," "Don Bernard de Cabrère" (1647), touchante tragi-comédie, et "Venceslas" (1647), œuvre forte et héroïque. Des contemporains de Racine les meilleurs sont Thomas Corneille (1625-1709) et Quinault (1635-1688). Le frère cadet du grand Corneille ne manquait pas de mérite et il jouit de son vivant d'une grande popularité. On peut citer deux de ses tragédies, "Ariane" (1672) et

Thomas
Corneille.

"le Comte d'Essex" (1678). Il mit aussi en vers, sous le nom de "Festin de Pierre," le "Don Juan" de Molière. Quinault est une des victimes de Boileau, mais on s'accorde aujourd'hui à lui reconnaître beaucoup de talent dans l'opéra. Ses vers sont harmonieux et gracieux.

CHAPITRE III

MOLIÈRE ET LE THÉÂTRE SOUS LOUIS XIV

Nous voici arrivés au plus grand nom dans l'histoire de la littérature française, Molière, l'homme que toutes les nations reconnaissent pour le plus grand comique que le monde ait vu.

Vie de

Molière.

Jean-Baptiste Poquelin naquit à Paris, le 14 janvier 1622. Son père était tapissier valet de chambre du roi, et était un riche bourgeois ainsi que son grand-père maternel, Louis de Cressé. Il ne faut pas attacher à la charge que remplissait le père de Molière l'idée d'infériorité que nous nous en faisons aujourd'hui, car il faut se rappeler que les plus grands seigneurs se considéraient honorés de rendre au roi des services intimes.

Jean-Baptiste Poquelin entra au collège de Clermont dirigé par les jésuites et eut pour condisciples le prince de Conti, Bernier, le voyageur, et Chapelle, le poète. Il étudia ensuite la philosophie sous le célèbre Gassendi et reçut une très bonne éducation. Malgré l'esprit satirique du peuple français, que

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nous voyons dès le commencement de leur littérature, dans les fableaux, le "Roman de Renard," et les farces, il n'y avait eu, avant Molière, aucune comédie de grand mérite, si nous en exceptons "l'Avocat Pathelin" et le "Menteur." Les Français admiraient à l'Hôtel de Bourgogne les chefs-d'œuvre tragiques de Corneille, et se contentaient, quant à la comédie, des farces grossières de Turlupin, de Gautier-Garguille et de Gros Guillaume. C'est Molière qui créa le haut comique et sut mettre à nu le cœur humain. Il semble qu'il ait été poussée vers le théâtre par une force irrésistible: vers l'âge de vingt ans il est valet de chambre de Louis XIII, puis il étudie le droit; enfin nous le voyons mettre de côté son nom de Poquelin, prendre celui de Molière, et se faire acteur. Il devint en 1645 directeur d'une troupe de théâtre appelée l'"Illustre Théâtre," et alla jouer dans les provinces. Pendant douze ans il joua dans les principales villes, et devint le contemplateur. A Pézénas on montre, dit-on, le fauteuil où il s'asseyait dans une boutique de barbier pour observer et étudier les hommes. Ayant eu du succès dans les provinces, la troupe de Molière revint à Paris et eut le grand honneur d'être adoptée par Monsieur, frère du roi, et de devenir ses comédiens. Ils jouèrent devant Louis XIV le "Nicomède" de Corneille et une petite farce de Molière, le "Docteur Amoureux." Ils eurent encore plus de succès avec l'" Étourdi" et le "Dépit Amoureux," deux comédies de leur chef qu'ils avaient déjà représentées, la première à Lyon en 1653, la seconde à Béziers en 1656. L'intrigue de ces deux pièces est très compliquée et nous voyons que Molière doit encore beaucoup à ses modèles italiens et espagnols. Il

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