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pour Hippolyte, et Athalie, racontant son songe ou entrant dans le temple, ne nous impressionne-t-elle pas par son caractère fatal? Nous pourrions donner bien d'autres exemples de la force dramatique de Racine, mais voyons quelle fut sa vie.

Jean Racine naquit à la Ferté-Milon le 21 décembre 1639, et fut orphelin de bonne heure. Il suivit d'abord les cours du collège de la ville de Vie de Beauvais, puis en 1655 il alla à la célèbre Racine. école de Port-Royal des Champs, où il fut traité avec tendresse. Il y fit de fortes études classiques et lut avec délices les tragiques grecs. Un de ses livres de prédilection était "Theagène et Chariclée," qu'il apprit par cœur. Il fit son cours de rhétorique au collège d'Harcourt à Paris, et composa en 1660 son épithalame, la "Nymphe de la Seine," à l'occasion du. mariage du roi, et Chapelain, l'oracle littéraire de l'époque, lui fit obtenir une bourse de cent louis. Il alla ensuite pendant quelque temps à Uzès, chez un de ses oncles, avec l'espoir d'obtenir un bénéfice, qu'il eut, en effet, plus tard.

Il

Nous avons vu que Corneille écrivit plusieurs comédies et une tragédie avant de produire le "Cid," · Racine écrivit deux tragédies inférieures avant "Andromaque." En 1664, il fit jouer la "Thébaïde, ou les Frères Ennemis," et en 1665 "Alexandre." avait donné cette dernière pièce à la troupe de Molière, mais la porta aussi à l'Hôtel de Bourgogne, ce qui blessa beaucoup Molière. Ses amis, les jansénistes de Port-Royal, ayant attaqué le spectacle, il leur répondit avec une vivacité qu'il regretta dans la suite.

"Les Frères Ennemis" et " Alexandre" n'ont pas

grand mérite, et l'auteur tâche d'imiter Corneille. Racine, cependant, eut bientôt Boileau pour guide et "Andromaque" parut en 1667. Cette date est mémorable dans l'histoire littéraire car, à partir de ce moment, Racine ne produira rien d'inférieur. La pièce fut attaquée avec violence et l'auteur répondit de même à ses critiques. Les amis de Corneille eurent de la peine à reconnaître le génie de son rival, ainsi que le témoigne la remarque de Saint-Évremond: "Il ne s'en faut presque rien qu'il n'y ait du grand."

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Les pièces

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Nous pouvons diviser les pièces de Racine en trois classes sujets grecs, "Andromaque," "Iphigénie" et "Phèdre;" sujets historiques, "Britande Racine nicus," "Bérénice," "Bajazet" et "Midivisées en thridate;" sujets religieux, "Esther" et trois classes. « Athalie." Pour bien comprendre les pièces tirées des sujets grecs il faut les comparer aux tragédies grecques qui y correspondent. Racine étudia de préférence Euripide, dont le génie plus humain, plus simple, plus tendre que celui d'Eschyle et de Sophocle se rapprochait davantage du sien. Il n'emprunta cependant à Euripide dans "Andromaque" que le titre de la tragédie; l'intrigue des deux maque. pièces est toute différente; dans celle d'Euripide, c'est Molossus, fils de Pyrrhus et d'Andromaque captive, qu'Hermione veut mettre à mort, et qu'en l'absence de Pyrrhus, sauve Pélée, père d'Achille. Dans la pièce de Racine, c'est Pyrrhus, qui menace Astyanax, fils d'Hector, pour forcer sa mère Andromaque à l'épouser. La jalousie d'Hermione n'est plus, comme dans Euripide, celle d'une reine offensée, mais elle est celle d'une femme qui

"Andro

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aime. Tous les personnages dans l'" Andromaque française nous intéressent, même Pyrrhus, malgré ses hésitations, et l'harmonie enchanteresse du style n'exclut pas l'énergie. On a comparé au "qu'il mourût" du vieil Horace l'exclamation d'Hermione:

"Pourquoi l'assassiner? qu'a-t-il fait? à quel titre?
Qui te l'a dit? "

Admirons aussi les paroles d'Oreste désespéré:

"Eh bien! filles d'enfer, vos maius sont-elles prêtes ? Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes?"

"Les Plaideurs" (1668) est une spirituelle comédie, imitée des "Guêpes" d'Aristophane. Racine, prieur d'Épinay, avait voulu se venger "Les des juges qui venaient de lui faire per- Plaideurs." dre son bénéfice ecclésiastique. Ce que dit Petit Jean: "Ce que je sais le mieux, c'est mon commencement," et le "passons au déluge," sont devenus des proverbes.

"Britannicus" (1669) est un beau tableau historique. Claude est mort et Néron règne, quoique Britannicus, le fils de l'empereur, soit vivant.

"Britanni

Nous cus. Néron entrant dans la carvoyons rière du crime et se préparant à être le monstre qu'il sera plus tard. Narcisse, l'affranchi, le conduit graduellement à l'abîme, et Burrhus tâche de le retenir. Agrippine, elle-même, sent qu'elle est abandonnée par son fils et elle parle à l'empereur; elle lui dit tout ce qu'elle a fait pour lui et, cependant, qu'il la traite en ennemie. Le perfide Néron paraît regretter sa conduite et promet à Agrippine de se réconcilier avec Britannicus et de lui rendre sa fiancée, Junie.

Il a, cependant, résolu la mort de Britannicus. Celui-ci se rend à un festin donné par Néron; il croit à la générosité de son frère et il quitte Junie avec l'espoir de l'épouser bientôt. Un moment après Burrhus raconte à Agrippine et à Junie la mort de Britannicus:

'Cependant sur son lit il (Néron) demeure penché ;
D'aucun étonnement il ne paraît touché :

Ce mal dont vous craignez, dit-il, la violence,
A souvent sans péril attaqué son enfance.
Narcisse veut en vain affecter quelque ennui,
Et sa perfide joie éclate malgré lui."

En 1670, à la cour de France, la vraie reine n'était pas la timide et douce Marie-Thérèse d'Autriche, mais la brillante Henriette d'Angleterre, "Bérénice." duchesse d'Orléans. Elle donna le sujet d'une tragédie aux deux rivaux, Corneille et Racine, et choisit l'histoire de Titus, qui, tout en aimant Bérénice, la renvoya pour obéir aux lois de Rome. Titus "reginam Berenicem," dit Suétone, "statim ab Urbe dimisit invitus invitam." Le sujet ne convenait pas au génie de Corneille, mais Racine sut en tirer une pièce charmante et pathétique. Il lui fallut presque tout inventer, car la Bérénice de l'histoire, veuve déjà de trois maris et âgée de cinquante ans, n'était guère un personnage poétique.

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Bajazet" (1672) est la plus faible des tragédies de Racine, quoique Roxane soit un caractère noble et "Bajazet" fier. Dans "Mithridate" (1673), nous et "Mithri- admirons la grandeur, la haine du célèbre date." roi de Pont, et surtout Monime, une des plus gracieuses, des plus pures, des plus touchantes créations de Racine.

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Iphigénie."

"Iphigénie" (1674) nous ramène aux sujets grecs et nous éprouvons pour la fille d'Agamemnon la même sympathie que pour la veuve d'Hector; nous admirons le courage et la passion d'Achille et nous plaignons le roi des rois qui, malgré sa puissance, ne peut sauver la douce. Iphigénie. Dans la pièce d'Euripide Achille n'aime pas Iphigénie, et ce n'est que par pitié qu'il veut la défendre. Dans la tragédie grecque la fille d'Agamemnon, après avoir exprimé quelques regrets de quitter la vię, se soumet par patriotisme, tandis que dans la tragédie française elle est une victime obéissante et ne veut survivre, puisqu'elle a perdu l'amour d'Achille. Racine n'adopta pas le dénouement de la légende grecque et il lui fallut créer le personnage d'Eriphile pour que Calchas pût sacrifier une fille du sang des Atrides. "Iphigénie" est un chef-d'œuvre, mais la plupart des critiques trouvent que le génie de Racine s'éleva encore plus haut dans "Phèdre,” en 1677.

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'Phèdre."

Racine imita l'" Hippolyte" d'Euripide et un peu celle de Sénèque. Voyons en quoi la pièce française diffère de la pièce grecque. Dans Euripide nous voyons Hippolyte négliger complètement Vénus et se consacrer entièrement à Diane. Vénus jalouse inspire à Phèdre un amour coupable pour le fils de Thésée, amour qu'elle ne peut cacher à sa nourrice. Celle-ci fait jurer à Hippolyte qu'il ne révélera jamais ce qu'elle va lui dire et elle lui annonce la passion de Phèdre. Hippolyte est indigné, mais lorsque son père revient il ne lui parle pas de Phèdre. La reine craignant, cependant, d'être déshonorée se tue, après avoir écrit une lettre où

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