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et la combla de faveurs. L'Académie fut vivement critiquée au XVIIe siècle: on l'accusait de vouloir agir en despote sur les écrivains du temps et de s'occuper de discussions oiseuses, et Balzac, nommé un des premiers académiciens, n'accepta jamais l'honneur qu'on lui avait fait. Il y eut aussi des membres nommés à cause de leur rang ou de leur position officielle, mais en général les plus grands écrivains firent partie de l'Académie. Il est vrai que Molière n'en fut pas membre et que l'histoire du quarante et unième fauteuil est intéressante; on ne peut nier, cependant, l'influence qu'exerça l'Académie sur la langue française. Elle comptait Vaugelas parmi ses membres, et elle publia la première édition de son Dictionnaire en 1694, et l'on put voir dès lors que si elle appauvrissait la langue, elle contribuait à lui conserver son cachet de clarté, de force et de concision. De nos jours Alphonse Daudet a pu écrire 1'"Immortel," mais tous les grands écrivains considèrent que devenir membre de l'Académie Française est la consécration de leur génie. Rappelons ici que l'Institut de France est composé de la réunion des cinq académies, l'Académie Française, l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, l'Académie des Sciences, l'Académie des Beaux-Arts et l'Académie des Sciences Morales et Politiques.

CHAPITRE II

CORNEILLE ET RACINE

LA tragédie classique était née avec "Cléopâtre" en 1552, mais pendant bien des années elle ne produisit

cesseurs de

aucune œuvre de génie, quoiqu'il y eût la plus grande diversité dans les genres et que les règles Prédéfussent à peine connues. Nous avons déjà mentionné Garnier et Montchrestien; Corneille. entre eux et Corneille se trouvent une quantité d'auteurs inférieurs, et nous ne nommerons que ceux qui ont encore un nom, bien que leurs œuvres ne soient plus lues.

Hardy.

Il a

Alexandre Hardy imita le drame espagnol et Lope de Vega; il avait "l'instinct dramatique" mais écrivait très mal. Il est vrai qu'il ne prenait pas grand temps pour composer une pièce, puisqu'il en produisit, dit-on, huit cents. de l'action dans ses drames, supprime le chœur et eût pu être le poète national de la France, s'il eût eu du génie. Il écrivit des tragédies, des tragi-comédies et des pastorales.

Théophile est poète, quoique Boileau ait attaqué avec raison son mauvais goût, ses maniérismes, qui ne sont cependant que l'euphuisme de Lyly, Théophile. le cultisme de Gongora, les concetti de

Marino. "Pyrame et Thisbé," œuvre plutôt lyrique que dramatique, oubliée aujourd'hui, fut très populaire du temps de Théophile.

Schélandre.

Jean de Schélandre écrivit une œuvre étrange, "Tyr et Sidon," où il ne suit aucune des règles et tâche de ne pas imiter les anciens. Son drame est en deux journées, dix actes et cinq mille vers et il s'y trouve le mélange du sérieux et du comique que devait préconiser plus tard l'école romantique.

Jean de Mairet donna sa première pièce à l'âge de dix-sept ans, et à vingt-cinq ans il produisait "Sopho

Mairet.

nisbe," dont la date, 1629, est importante par le fait que l'œuvre de Mairet est intéressante et réunit tous les traits essentiels de la tragédie classique. Ces traits, comme M. de Julleville l'exprime si bien, sont: "la noblesse du style, l'exclusion absolue dur comique, le raffinement dans l'analyse et l'expression des sentiments, la tendance oratoire dans le langage; la simplification et l'arrangement logique de l'intrigue, la conception abstraite et puissante des caractères." Mairet établit aussi d'une manière permanente les règles des trois unités.

Corneille.

Pierre Corneille naquit à Rouen le 6 juin 1606; son père était maître des eaux et forêts et d'une bonne famille de robe. It fut élevé au collège des Jésuites à Rouen et étudia plus tard le droit. Il débuta au théâtre en 1629 par Mélite," une comédie agréable et décente qui eut beaucoup de succès.

'Mélite."

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Quoiqu'il y eût eu grand progrès dans le style de la comédie au XVIe siècle, l'intrigue était très compliquée, et en général, très indécente. Corneille, un jeune avocat de vingt-trois ans, demeurant à Rouen, ne connaissant, pour ainsi dire, aucune des règles du drame et guidé uniquement par son génie, écrivit une comédie qui fait époque dans l'histoire de la littérature française. L'œuvre est loin d'être parfaite et le style est parfois ampoulé, mais elle présageait à l'auteur un brillant avenir. Nous donnerons une analyse complète de "Mélite," parce que la pièce est peu lue et mérite d'être connue. L'intrigue est amusante, mais pas très naturelle: Éraste est amoureux de Mélite et demande à son ami Tircis d'écrire pour lui un sonnet d'amour. Tircis

ne croit pas à la beauté merveilleuse de Mélite, et Éraste le présente à sa belle. Ce qui était écrit au livre du Destin devait arriver: Tircis se fait aimer de Mélite et se console de sa perfidie en disant qu'en amour les meilleurs amis ne sont pas obligés de tenir leurs promesses. Éraste, pour se venger, écrit de

fausses lettres sous le nom de Mélite à Philandre, l'amoureux de Chloris. Philandre, agréablement flatté, montre les lettres à Tircis, qui croit que Mélite l'a trompé. Ensuite paraît Cliton qui annonce à Éraste que Tircis s'est tué et que Mélite est morte de chagrin. Éraste, accablé de remords, devient fou et s'imagine que le vieux Caron l'attend pour le livrer aux Furies. Dans sa folie il rencontre Philandre et lui dit que c'est lui qui a écrit les lettres, et non Mélite. On découvre alors que Tircis et Mélite ne sont pas morts, et tous se réconcilient, grâce à la vieille nourrice, un personnage indispensable à cette époque, mais que les soubrettes et les valets devaient bientôt remplacer. Tircis épouse Mélite, Éraste, guéri de sa folie, épouse Chloris, et afin que le flambeau de l'hyménée s'allume pour tous, on donne à entendre à Philandre que, s'il veut une femme, il peut épouser la vieille nourrice. A propos de tous ces mariages Corneille dit qu'on ne pouvait les éviter, car la coutume était de marier, à la fin de la pièce, tous les personnages qui avaient paru sur la scène.

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Corneille donna ensuite "Clitandre" (1632), dont l'intrigue est un imbroglio, la "Veuve" (1633), la “Galerie du Palais" (1633), la “ Suivante” (1634), et la "Place Royale" (1634). De ces cinq pièces la "Veuve" est celle qui a le plus de mérite. Richelieu avait remarqué Corneille dès 1633 et se l'était attaché

"Médée."

comme collaborateur. On sait qu'il donnait des plans à ses poètes et que ceux-ci travaillaient sous sa direction. Cette prétention du grand ministre d'être auteur dramatique et d'écrire en collaboration avec Corneille est réellement étrange, et le joug sembla lourd au jeune poète de Rouen. Aussi saisit-il un prétexte pour s'affranchir et retourna à Rouen en 1635. La même année parut " Médée," où jaillit la première étincelle du génie tragique de Corneille. Le merveilleux qui se trouve dans la pièce ne convient point au drame, et cette tragédie n'est pas d'une lecture agréable. Corneille étudia vers cette époque le théâtre espagnol et y emprunta en 1636 "l'Illusion Comique" et le "Cid." La première pièce est originale; c'est un mélange du surnaturel, du comique et du tragique, mais elle plaît, grâce au caractère du matamore, le faux chevalier. Le vrai sentiment chevaleresque paraît avec éclat dans le 'Cid," qui fut accueilli avec un enthousiasme extraordinaire. Le succès de cette tragédie Corneille et fut si grand que l'ancien collaborateur Richelieu. de Corneille, le grand Cardinal, en fut jaloux et qu'il ordonna à l'Académie Française de faire la critique du drame. Georges de Scudéry, ce bretteur prétentieux, auteur de tragédies absurdes, attaqua Corneille avec violence, et nous regrettons de voir Mairet s'associer aux sentiments de Scudéry. L'Académie rendit justice aux beautés du "Cid," mais critiqua la hardiesse du poète, qui n'avait point observé strictement les règles de l'art dramatique. Richelieu, l'auteur, avait poursuivi le "Cid"; Richelieu, le ministre, anoblit le père de Corneille et donna une pension au poète.

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