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Iroit la tête en-bas rimer dans la riviere.

Voilà comme on vous traite; & le monde effrayé
Vous regarde déja comme un homme noyé.
En vain quelque rieur, prenant votre défense,
Veut faire au moins de grace adoucir la sentence.
Rien n'appaise un lecteur toujours tremblant d'ef
froi,

Qui voit peindre en autrui ce qu'il remarque en soi.
Vous ferez-vous toujours des affaires nouvelles ?
Et faudra-t-il fans ceffe effuyer des querelles?
N'entendrai-je qu'auteurs fe plaindre & murmurer?
Jufqu'à quand vos fureurs doivent-elles durer ?
Répondez, mon efprit, ce n'eft plus raillerie :
Dites.... Mais, direz-vous, pourquoi cette furie ?
Quoi? pour un maigre auteur que je glofe en paf-

fant,

Eft-ce un crime, après tout, & fi noir & fi grand?
Et qui, voyant un fat s'applaudir d'un ouvrage
Où la droite raison trébuche à chaque page,
Ne s'écrie auffi-tôt ? L'impertinent auteur !
L'ennuyeux écrivain! le maudit traduceur !
A quoi bon mettre au jour tous ces difcours frivoles,
Et ces riens enfermés dans de grandes paroles !

Eft-ce donc-là médire, ou parler franchement ?
Non, non, la médifance y va plus doucement.
Si l'on vient à chercher, pour quel fecret mystere
Alidor à fes frais bâtit un monaftere :
Alidor, dit un Fourbe, il eft de mes amis :
Je l'ai connu laquais avant qu'il fût commis.
C'est un homme d'honneur, de piété profonde,
Et qui veut rendre à Dieu ce qu'il a pris au monde.

Voilà jouer d'adresse, & médire avec art ; Et c'eft avec refpect enfoncer le poignard. Un efprit né fans fard, sans basse complaisance, Fuit ce ton radouci que prend la médisance. Mais de blâmer des vers ou durs ou languiffans, De choquer un auteur qui choque le bon fens, De railler un plaifant, qui ne fait pas nous plaire; C'eft ce que tout lecteur eut toujours droit de faire. Tous les jours à la cour un fot de qualité

Peut juger de travers avec impunité :

A Malherbe, à Racan, préférer Théophile,
Et le clinquant du Tafse, à tout l'or de Virgile.
Un clerc, pour quinze fous, fans craindre le holà,
Peut aller au parterre attaquer Attila ;

Et fi le Roi des Huns ne lui charme l'oreille,
Traiter de Vifigots tous les vers de Corneille.
Il n'eft valet d'auteur, ni copiste à Paris,
Qui la balance en main, ne pese les écrits.
Dès que l'impreffion fait éclorre un poëte,
Il est esclave né de quiconque l'achete:
Il se foumet lui-même aux caprices d'autrui,
Et fes écrits tous feuls doivent parler pour lui.
Un auteur à genoux, dans une humble préface;
Au le&eur qu'il ennuie a beau demander grace;
Il ne gagnera rien fur ce juge irrité,

Qui lui fait fon procès de pleine autorité.

Et je ferai le feul qui ne pourrai rien dire ?
On fera ridicule, & je n'oferai rire ?
Et qu'ont produit mes vers de fi pernicieux,
Pour armer contre moi tant d'auteurs furieux?
Loin de les décrier, je les ai fait paroître

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Et fouvent fans ces vers, qui les ont fait connoître;
Leur talent dans l'oubli demeureroit caché.

Et qui fauroit fans moi que Cotin a prêché?
La fatire ne fert qu'à rendre un fat illuftre.
C'est une ombre au tableau qui lui donne du luftre.
En les blâmant enfin, j'ai dit ce que j'en croi:
Et tel, qui m'en reprend, en pense autant que moi.
Il a tort, dira l'un, pourquoi faut-il qu'il nomme?
Attaquer Chapelain ! ah! c'eft un fi bon homme.
Balzac en fait l'éloge en cent endroits divers,
Il est vrai, s'il m'eût cru, qu'il n'eût point fait de

vers :

Il fe tue à rimer : que n'écrit-il en profe?

Voilà ce que l'on dit. Et que dis-je autre chofe?
En blâmant fes écrits, ai-je d'un ftyle affreux
Diftillé fur fa vie un venin dangereux ?

Ma mufe, en l'attaquant, charitable & difcrete,
Sait de l'homme d'honneur diftinguer le poëte.
Qu'on vante en lui la foi, l'honneur, la probité ;
Qu'on prife fa candeur & fa civilité :
Qu'il foit doux, complaifant, officieux, fincere:
On le veut, j'y foufcris, & fuis prêt à me taire.
Mais que pour un modele on montre les écrits,
Qu'il foit le mieux renté de tous les beaux efprits;
Comme roi des auteurs, qu'on l'éleve à l'empire;
Ma bile alors s'échauffe, & je brûle d'écrire :
Et s'il ne m'eft permis de le dire au papier;
J'irai creufer la terre, & comme ce barbier,
Faire dire aux rofeaux par un nouvel organe,
Midas, le roi Midas a des oreilles d'âne.
Quel tort lui fais-je enfin ? ai-je par un écrit

Pétrifié fa veine, & glacé fon efprit ?
Quand un livre au Palais fe vend & fe débite,
Que chacun par fes yeux juge de fon mérite;
Que Billaine l'étale au deuxième pilier;
Le dégoût du cenfeur peut-il le, décrier?
En vain contre le Cid un miniftre se ligue,
Tout Paris pour Chimene a les yeux de Rodrigue.
L'Académie en corps a beau le cenfurer:
Le public révolté s'obstine à l'admirer.

Mais lorsque Chapelain met une œuvre en lumiere,
Chaque lecteur d'abord lui devient un Liniere :
En vain il a reçu l'encens de mille auteurs,
Son livre en paroiffant dément tous les flatteurs.
Ainfi fans m'accufer, quand tout Paris le joue,
Qu'il s'en prenne à fes vers que Phébus défavoue :
Qu'il s'en prenne à fa mufe Allemande en François.
Mais laiffons Chapelain pour la derniere fois.
La fatire, dit-on, eft un métier funefte,

Qui plaît à quelques gens, & choque tout le refte.
La fuite en eft à craindre. En ce hardi métier
La peur plus d'une fois fit repentir Regnier.
Quittez ces vains plaisirs dont l'appas vous abuse :
A de plus doux emplois occupez votre muse:
Et laiffez à Feuillet réformer l'univers.

Et fur quoi donc faut-il que s'exercent mes vers?
Irai-je dans une ode, en phrases de Malherbe,
Troubler dans fes rofeaux le Danube superbe :
Délivrer de Sion le peuple gémissant :
Faire trembler Memphis, ou pâlir le Croissant:
Et paffant du Jourdain les ondes allarmées,
Cueillir, mal-à-propos, les palmes Idumées ?

Viendrai-je, en une églogue, entouré de troupeaux,
Au milieu de Paris enfler mes chalumeaux;

Et dans mon cabinet, affis au pied des hêtres,
Faire dire aux échos des fottifes champêtres ?
Faudra-t-il de fang-froid, & fans être amoureux,
Pour quelque Iris en l'air faire le langoureux;
Lui prodiguer les noms de foleil & d'aurore;
Et toujours bien mangeant mourir par métaphore?
Je laiffe aux doucereux ce langage affété,
Où s'endort un efprit de molleffe hébêté.

La fatire, en leçons, en nouveautés fertile,
Sait feule affaifonner le plaifant & l'utile,

Et d'un vers qu'elle épure aux rayons du bon fens,
Détromper les efprits des erreurs de leur tems.
Elle feule bravant l'orgueil & l'injustice,

Va jufques fous le dais faire pâlir le vice;
Et fouvent fans rien craindre, à l'aide d'un bon mot,
Va venger la raifon des attentats d'un fot.
C'est ainsi que Lucile, appuyé de Lélie,
Fit juftice en fon tems des Cotins d'Italie,
Et qu'Horace, jettant le fel à pleines mains,
Se jouoit aux dépens des Pelletiers Romains.
C'eft elle, qui m'ouvrant le chemin qu'il faut suivre,
M'inspira dès quinze ans la haine d'un for livre;
Et fur ce mont fameux où j'ofai la chercher,
Fortifia mes pas, & m'apprit à marcher.

C'est pour elle en un mot, que j'ai fait vœu d'écrire.
Toutefois, s'il le faut, je veux bien m'en dédire,
Et pour calmer enfin tous ces flots d'ennemis,
Réparer en mes vers les maux qu'ils ont commis.
Puifque vous le voulez, je vais changer de style.

Je

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