Page images
PDF
EPUB
[graphic][merged small]

exécutions, même les femmes, mais y entendait parfois d'effrayantes paroles. Un jour, un gentilhomme, M. de Villemongis, réservé le dernier pour le supplice, trempa ses mains dans le sang de ses compagnons, et les élevant vers le ciel : << Seigneur, s'écria-t-il, voici le sang de tes enfants, et tu le vengeras. »

« Le chef muet,>» Condé, que personne n'avait vu, mais dont tout le monde parlait, fut compromis par les aveux de plusieurs prisonniers. Il avait beau dire « Tous ces pendus-là en ont menti!»> nul ne doutait qu'il ne fût l'auteur du mouvement. Comme il n'avait rien écrit et ne s'était montré à personne, si ce n'est à La Renaudie, qui était mort, il demanda avec hauteur une réunion solennelle des princes, et défia en combat singulier quiconque oserait l'accuser. Le duc de Guise n'avait point de preuves suffisantes; ne pouvant le perdre, voulut se donner l'air de le sauver : il s'offrit à lui pour second; ce que voyant, personne n'osa relever le gant. Guise attendait Condé à quelque nouvelle imprudence.

il

Le chancelier L'Hôpital; édit de Romorantin (1560). Les Guises avaient remporté une de ces victoires qui affaiblissent. Tant d'exécutions pour un complot qu'il eût été facile d'étouffer, firent horreur. Le chancelier Olivier en était mort en criant aux Guises dans son agonie: « Cardinal, par toi, nous voilà damnés! » La duchesse de Guise s'était enfuie épouvantée : « Ah, madame! disait-elle à la reine, comment douter après cela qu'un grand malheur ne frappe bientôt notre maison! » Marie Stuart n'avait rien empêché. Sa précoce intelligence faisait déjà tort à son cœur1. Mais le jeune roi avait pleuré et fait cette remarque, que le nom qu'on entendait partout, dans les malédictions des suppliciés, n'était pas le sien, mais celui de ses oncles. La reine mère avait encore mieux compris ce qu'on lui répétait tout bas : « qu'il y avait dans tout cela plus de malcontentement que de huguenoterie. »> Elle fit donner les sceaux à Michel L'Hôpital. C'était « une de ces belles âmes frappées à l'antique marque, un autre Caton le Censeur; il en avait du tout l'apparence, avec sa grande barbe blanche, son visage pâle, sa façon grave. » Le nouveau

1. Lettres de Marie Stuart, publiées par le prince Labanoff, t. I, p. 6. Elle avait écrit à sa mère après les exécutions faites par celle-ci en Écosse: «< Vous avez très-bien fait de ce que vous voulez faire justice; ils en ont bien besoin. >> Voir aussi les documents récemment publiés par M. Teulet (Lettres de Marie Stuart, etc., 1859), qui complètent le recueil Labanoff et sont une déposition terrible contre la reine.

chancelier rendit un premier service à la France. Les Guises, exaltés par le succès, demandaient l'introduction pure et simple de l'inquisition. « Qu'est-il besoin, disait L'Hôpital, de tant de bûchers et de tortures? Garnis de vertus et munis de bonnes mœurs, résistez à l'hérésie. » Cependant il fit rendre (mai 1560) l'édit de Romorantin, qui attribuait la connaissance du crime d'hérésie aux tribunaux des évêques, grave concession au clergé, mais préférable à l'établissement du terrible tribunal qui couvrait en ce temps-là l'Espagne de bûchers, et soulevait même l'horreur des catholiques italiens.

Préparatifs de guerre civile. Pour lutter contre les Guises, il fallait à L'Hôpital un point d'appui. Il convoqua les notables à Fontainebleau. Coligny s'y rendit, mit un genou en terre devant le roi, et lui présenta la pétition des huguenots de Normandie qui demandaient la liberté de conscience. Le cardinal de Lorraine s'opposa à cette concession. Mais Montluc, évêque de Valence, et Marillac, archevêque de Vienne, firent décider la suspension de toutes les poursuites, jusqu'à la convocation des états généraux. On convint que ces états se réuniraient le 10 décembre 1560. Il était urgent que la voix de la nation s'élevât au-dessus du tumulte des ambitions rivales et des croyances contraires. Les Guises se liaient à la politique impitoyable du roi d'Espagne qui leur écrivait : « Si vous voulez châtier les rebelles, je suis à votre disposition; » et ils rassemblaient une armée. Les deux Bourbons et les Châtillons levaient des troupes de gentilshommes, et, à l'aide des émissaires de Calvin, organisaient la résistance dans les provinces du midi. On se battait déjà sur plusieurs points.

Arrestation de Condé ; mort de François II (1460). - Les députés des états arrivèrent à Orléans au milieu de cette effervescence. Le roi de Navarre et le prince de Condé s'y étaient rendus, malgré les instances de tous leurs amis. Les Guises, qui avaient cette fois des preuves contre Condé, le firent arrêter, dès qu'il fut entré dans la ville, et, pour se débarrasser de son frère contre lequel on ne pouvait rien prouver, ils voulurent le faire tuer dans l'antichambre du roi. Le cœur manqua au jeune prince; il n'osa donner le signal. Cette pensée d'assassinat devait être retournée un jour contre ceux qui l'avaient conçue : les deux Guises tomberont ainsi. Cependant une commission fut nommée pour instruire rapidement le procès de Condé; le sort du prince était fixé d'avance: il fut condamné à mort, et il eût péri sans L'Hôpital qui refusa de

signer la sentence et gagna ainsi du temps. Gagner du temps, c'était gagner la vie de Condé, car le jeune roi se mourait. Il expira le 5 décembre. Il avait régné dix-sept mois.

La France eût vite oublié ce malheureux jeune homme, si à son règne ne se rattachaient deux souvenirs: l'un terrible, le pouvoir des Guises et le commencement des guerres de religion; l'autre gracieux, celui de la jeune Marie Stuart. Contrainte, après la mort de son époux, de renoncer à sa patrie d'adoption pour retourner dans sa sauvage Écosse, elle pleura longtemps en quittant le pays où « la mâle fortune l'avait laissée, et la bonne l'avait prise par la main. » Appuyée sur la poupe de la galère qui l'emportait, les yeux attachés au rivage et pleins de larmes, elle demeura, dit Brantôme, cinq heures entières dans cette attitude, répétant sans cesse : << Adieu, France! adieu France! » La nuit venue, elle fit étendre un tapis à la même place et s'y coucha, refusant toute nourriture. Au jour naissant elle aperçut encore un point à l'horizon, et s'écria: « Adieu, chère France! je ne vous verrai jamais plus'!» Elle allait pourtant trouver une couronne, mais aussi des chaînes, une capitivité de dix-huit ans, et, au lieu d'un trône, un échafaud2.

CHAPITRE XLIV.

CHARLES IX (1560-1574).

Régence de Catherine de Médicis; les états d'Orléans (1560).

- La mort venait d'enlever à la reine mère un de ses enfants, mais elle lui donnait le pouvoir. Son second

[blocks in formation]

qui fut faite par le journaliste Meunier de Querlon, et imprimée par lui dans l'Anthologie. (Voy. les preuves dans Ed. Fournier, l'Esprit dans l'histoire, p. 109-114.)

2. FAITS DIVERS.

Jean Nicot apporte en France, en 1560, la nicotiane, ou pelun, ou herbe à la reine, (le tabac).

fils, Charles IX, n'était âgé que de dix ans et demi. Elle se saisit de la régence, et, répudiant la politique à outrance, qui naguère triomphait, tout en confirmant les Guises dans leurs charges, elle nomma Antoine de Bourbon lieutenant général du royaume, et elle délivra Condé. Son principal conseiller fut L'Hôpital. Celui-ci se proposait de contenir les ambitieux et d'affaiblir les factions par une sage tolérance religieuse et par des réformes civiles. Catherine adopta ce programme d'un honnête homme; elle vit un moyen d'opposer les partis les uns aux autres, là où le chancelier rêvait la fin de tous les partis.

Les Guises, craignant de n'avoir pas une majorité assez forte dans les états qui allaient s'assembler, voulaient qu'on renvoyât les députés sous prétexte que la mort du roi invalidait leurs pouvoirs, et que c'était là, d'ailleurs, une institution nuisible. Le chancelier répondit que l'autorité royale ne meurt pas, puisque le mort saisit le vif et « qu'il n'y a acte tant digne d'un roi que de tenir les états, que de donner audience générale à ses sujets et faire justice à chacun. »

Les états ne rendirent pas les services que L'Hôpital en attendait. La dette montait à 43 480'000 livres, qui vaudraient aujourd'hui 350 millions de francs ; les revenus nets n'atteignaient pas 12 260 000 francs. Le roi était bien, comme le représentait L'Hôpital, « l'orphelin le plus engagé, le plus endetté, le plus empêché qu'on pût trouver dans tout état et condition. » La noblesse n'offrit rien; le clergé, qui depuis François Ier accordait presque annuellement des décimes, consentit à fournir un don gratuit de 1 600 000 livres pendant six ans, et à racheter en dix années 630 000 livres de rentes au capital de 7 560 000 livres; le tiers état, qui portait tout le poids des impôts, demanda un dégrèvement, l'abolition de la vénalité des charges et des douanes intérieures, la réunion des états tous les cinq ans. Sur la question religieuse, les trois ordres furent divisés. Le clergé voulait l'extermination de l'hérésie; le tiers était pour la liberté du culte; la noblesse fut partagée.

Mesures de L'Hôpital; ordonnance d'Orléans(1561). - Le chancelier agit alors résolûment, espérant entraîner la nation après lui. Il rétablit l'équilibre entre les dépenses et les recettes par des réformes dans la maison du roi, et le retranchement d'un tiers des pensions. L'édit de Romorantin fut confirmé et des lettres royaux, du 28 janvier 1561, enjoignirent au parlement de surseoir à toute poursuite pour le fait de la religion. Trois jours après parut la célèbre ordonnance d'Or

« PreviousContinue »