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reuse, mais cette idée est à la fois une idée gracieuse et une idée juste. Elle consiste à avoir fait remplir le personnage d'un papillon par mademoiselle Emma Livry. Si jamais rôle a été bien choisi pour l'individualité d'une artiste et fait à sa taille, c'est assurément le rôle de Farfalla pour la charmante danseuse. Ce n'est pas une femme, c'est un sylphe, c'est un feu follet, c'est enfin un papillon. M. Offenbach a voulu sans doute que la musique fût la contre-partie exacte du poëme; il a composé une partition presque aussi fade et aussi décolorée que le livret, et dans laquelle cependant, pour rendre le parallélisme complet, se rencontre une jolie inspiration : c'est la valse qui forme le motif principal de l'ouverture, et que danse mademoiselle Livry à la fin du premier acte. Le motif de cette valse est doux et entraînant, et le compositeur a su profiter habilement du timbre des instruments pour lui donner une nuance vaporeuse qui rappelle les sons de la harpe éolienne. Le théâtre de l'Opéra répète activement, et non sans peine, le fameux Tannhauser, de M. Wagner, qui nous est promis depuis six mois. Le maestro, qui est en même temps poëte, ne paraît pas exempt d'inquiétude sur la manière dont sa musique et ses paroles seront accueillies par le public parisien. Aussi vient-il de lancer, en guise de ballon d'essai, un petit volume très-curieux contenant la traduction de quatre de ses poemes d'opéra. Une sorte de préface nous initie aux idées de l'auteur sur la manière dont le drame lyrique doit être traité, et justifie l'audace avec laquelle il est sorti des sentiers battus. Ceci nous fait penser involontairement aux précautions oratoires que prend Oronte dans le Misanthrope, avant de lire son sonnet à Alceste:

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Sonnet. C'est un sonnet...

Ce ne sont point de ces grands vers pompeux,
Mais de petits vers doux, tendres et langoureux.

Le public n'a, quant à présent, à faire à M, Wagner que la réponse d'Alceste: Nous verrons bien.

L'Opéra-Comique, après nous avoir fait espérer un opéra en trois actes de M. Offenbach, a été forcé d'en différer la première représentation, et nous a donné en attendant un petit acte intitulé l'Éventail. Le poëme n'a guère d'autre mérite que d'avoir une assez jolie teinte moyen âge; il est vrai que la couleur est déjà beaucoup pour un libretto d'opéra-comique. L'auteur de la musique, M. E. Boulanger, est un jeune compositeur de talent et d'avenir; sa phrase mélodique a presque toujours de la grâce et de la fraîcheur, pourtant elle laisse quelquefois un peu à désirer sous le rapport de la distinction. Les morceaux qui nous

ont frappé davantage dans cette nouvelle partition, sont une sérénade bouffe pour voix de baryton, et un duo de ténor et de soprano dont Ponchard et mademoiselle Cordier font bien ressortir le tour gracieux et le rhythme élégant.

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Les théâtres purement dramatiques nous offrent peut-être encore moins de ressources pour le moment que les scènes de musique. Le Théâtre-Français, occupé à exploiter le succès de la comédie de M. Doucet, attend sans impatience les émotions promises à la nouvelle œuvre de M. Émile Augier. La Considération a été très-diversement appréciée; le mérite incontestable de la pièce a fait que l'on a dit sur elle tout ce qu'il était possible d'en dire en bien comme en mal. Qu'il nous soit permis cependant d'ajouter un mot à cette discussion déjà close; l'un des points qui ont encouru le blâme est, suivant nous, la base même de la donnée, et sert à montrer le côté moral de la pièce sous son véritable jour. « Ce qui ôte de l'intérêt à cette comédie,» a-t-on dit, « c'est que » le caractère du principal personnage n'est pas suffisamment défini et » éclairé. Ce négociant est-il un honnête homme ou un fripon? S'il est » honnête, les reproches qu'on lui adresse sont injustes, et c'est à tort » que la considération l'abandonne; si c'est un misérable, le mépris qui » l'accable est mérité, et il n'est plus digne de notre intérêt. Cette indė– » cision où l'on nous laisse à son égard tient en suspens les sympathies du spectateur. » Non, M. Dubreuil n'est pas un homme sans honneur, c'est seulement un homme déconsidéré. L'auteur s'est attaché autant que possible à l'innocenter et à rejeter ses torts sur son aveuglement, car c'est à cette condition seulement que la pièce est un grand enseignement moral. Ce caractère est tracé comme il devait l'être pour servir à la démonstration de l'idée première. Si M. Dubreuil était un fripon, les millions qu'il rendrait ne pourraient racheter son honneur perdu, et le dénoùment, en venant le réhabiliter, serait un véritable scandale. Mais cet homme innocent au point de vue de la loi, innocent même à celui de la morale, car ce n'est pas en ruinant les autres qu'il s'est enrichi, cet homme au faîte de la fortune, se voit sur le point d'être écrasé par l'opinion, qui ne lui pardonne pas de n'avoir pas soldé intégralement les dettes de son passé. Là est l'enseignement, là est l'idée, qui, sans être nouvelle, est grande, et ne saurait être trop répétée dans le temps où nous vivons, à savoir que l'estime de tous est un bien plus précieux que la fortune; que l'argent ne peut venir à bout de tout, et que, Dieu merci! la conscience publique n'est pas encore à vendre. Tel est, suivant nous, ce côté de la comédie que l'on n'a pas assez fait ressortir dans les divers jugements qui ont été portés sur

elle. Lå est la réponse à plusieurs des critiques dont elle a été l'objet.

De la Comédie française à son voisin le théâtre du Palais-Royal, la distance est moins grande qu'on pourrait le croire au premier abord, surtout lorsque ce dernier nous fait entendre ce franc rire gaulois que la comédie paraît avoir désappris depuis Molière. Il est vrai que de pareilles occasions sont rares; cependant cette bonne fortune nous est arrivée l'autre soir, à la première représentation d'une petite pièce de M. Henri Murger, intitulée le Serment d'Horace. On a dit que le vaudeville aspirait à s'élever et à remplacer la comédie, qui se meurt de vieillesse ; cette tendance est vraie en thèse générale, mais si tous les vaudevilles ont la prétention d'approcher de la comédie, il y en a un grand nombre qui restent en route et sont loin d'arriver au but qu'ils se proposent; ce but, la pièce de M. Murger est bien près de l'avoir atteint. Esprit, gaieté, finesse, invention, tout s'y trouve réuni. La donnée en est des plus originales, et elle conduit sans effort à des détails aussi amusants qu'inattendus. On sent dans tout le cours de ce petit acte un souffle de vraie inspiration, on y trouve enfin un atome de verve comique, de cette vis comica qui devient si rare aujourd'hui. Ceci vient confirmer l'opinion que nous émettions en commençant : En fait d'œuvre scénique, il ne faut rien dédaigner à l'avance, car l'ouvrage qui promet le moins est souvent celui qui tient le plus.

S'il est quelques pièces qui dépassent notre attente, celles qui ne la trompent pas sont encore assez rares; de ce nombre est la Dame de Monsoreau; le nouveau drame tient tout ce que promettait l'ancien roman. Le roman et le drame historique sont positivement le vrai terrain de M. Alexandre Dumas; c'est là seulement qu'il trouve à faire usage de cette puissance d'assimilation qui lui permet de résumer en lui toute une époque. Les faits historiques sortent souvent singulièrement travestis de ce cerveau prodigieux; mais si M. Alexandre Dumas prend la liberté d'arranger l'histoire, il sait du moins conserver fidèlement au temps et aux hommes leur aspect, leur couleur et jusqu'à leur langage. C'est là un don bien rare, et nous ne connaissons que Shakespeare qui l'ait possédé à ce degré avant l'écrivain français.

EUGENE DESMAREST.

Le secrétaire de la rédaction,

C. BERNEL.

Paris. Typographie HENRI PLON, imprimeur de l'Empereur, rue Garancière, 8.

FRAGMENTS INÉDITS

DE L'HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848 EN EUROPE.

PAR M. GARNIER-PAGÈS (1).

I

LA DÉLIVRANCE DE VENISE.

X.

L'insurrection victorieuse de la Sicile, la constitution de Naples, avaient été accueillies comme un présage de délivrance et comme une joie publique dans les villes de la Lombardie et de la Vénétie. A Milan, le 5 février, une démonstration avait eu lieu à la Scala; et, le lendemain, 30000 personnes venaient pieusement, dans la cathédrale et sur la place, assister à une messe en l'honneur des habitants de Palerme morts pour la liberté. Le 5 février, à Venise, la population en habits de fête et les dames en grande toilette, ornées de rubans tricolores, étaient également accourues au théâtre de la Fenice jeter des bouquets dont la réunion formait les couleurs italiennes à la Cerrito, qui dansait la Siciliana. Se parant de ces emblèmes patriotiques, elle devenait l'objet d'une triple ovation adressée à des sentiments dont son beau talent la rendait en ce moment l'expression heureuse. L'église et le théâtre se transformaient ainsi, pour ces opprimés privés de tout moyen de presse, en organes de l'opinion, de la joie ou de la douleur publique.

A Bergame, à Pavie, à Padone, à Trévise, des scènes sanglantes avaient attristé et envenimé la situation de plus en plus tendue. La loi stataire avait été promulguée partout. Partout des armes,

(1) Ces fragments sont extraits de l'Histoire de la Révolution de 1848 en Europe, par M. Garnier - Pagès, dont le premier volume paraîtra en février prochain chez Pagnerre, éditeur.

des sentinelles prêtes à faire feu, des canons braqués, les rues désertes, les boutiques fermées, les affaires suspendues, la rage et la haine dans le cœur des habitants, la soif de compression et de vengeance dans l'âme des officiers et des soldats! Tel était le malheureux et fatal état de choses qui ne pouvait durer, lorsqu'on apprit successivement la proclamation des constitutions toscane et piémontaise, le triomphe du peuple dans les rues de Paris, le renversement du trône de Louis-Philippe, et la fondation de la République.

Malgré les efforts du gouvernement pour dissimuler les faits ou en atténuer la gravité, la révolution française fut rapidement connue et fit une sensation profonde. Elle était donc sonnée enfin, l'heure de la régénération des peuples, de leurs droits, de leur souveraineté! Les traités qui les tenaient enserrés étaient déchirés. L'Italie menacée, la Lombardie, la Vénétie captives, auraient donc un appui, si elles parvenaient à briser leurs fers! Il n'y avait plus qu'à oser! Mais les Autrichiens avaient 70000 soldats aguerris, commandés par des chefs résolus. Ils possédaient l'artillerie, les forts, les citadelles, les positions militaires, les arsenaux, la discipline, l'ordre régulier, le gouvernement, l'argent, les munitions de toutes sortes. Les populations, au contraire, étaient sans poudre, sans fusils, sans canons, sans armes, sans autres abris que leurs fragiles toits, sans autre organisation qu'une commune haine et un égal amour de la patrie, sans aucun moyen d'attaque et de résistance. Et cependant elles s'écriaient : Et nous aussi nous aurons nos glorieuses journées!

Dans la Lombardo-Vénétie, il est vrai, ce n'était pas comme ailleurs le soulèvement d'une partie plus ou moins grande de la nation contre une autre partie plus ou moins puissante. C'était la nation entière contre l'étranger. Ce n'était pas seulement une question de liberté, c'était aussi une question, d'indépendance! Aux yeux de toutes les opinions, la cause était sainte et le but sacré !

A cette nation ainsi inspirée, ainsi décidée à mourir ou à vaincre, il ne fallait qu'une occasion, un jour, une heure, un cri, pour se

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