Page images
PDF
EPUB

recherchés, eût été ainsi atténué; et l'élément vraiment original de toute cette histoire n'en ressortirait qu'avec plus de force.

La précipitation inséparable de la publication d'un premier numéro ne nous permet pas de donner aujourd'hui à l'examen des livres étrangers la place que cet examen occupera dorénavant dans ce recueil. Il ne s'agit donc pour le moment que d'échantillonner notre chronique. Nous le ferons en parlant de deux livres anglais.

Le premier a pour auteur M. Bohn, grand éditeur de Londres, que quelques-uns de nos collaborateurs ont rencontré au meeting de Glasgow. M. Bohn a eu l'idée de réunir dans un volume et sous le titre de Polyglot of foreign proverbs, les principaux proverbes de plusieurs pays de l'Europe. Cette tour de Babel ne compte pas moins de sept idiomes français, italiens, espagnols, allemands, hollandais, danois, portugais, avec traduction anglaise. Plus heureux que ses prédécesseurs de l'antiquité, M. Bohn a réussi à achever son édifice. Grâce à un Index ingénieux et complet, il est même facile de se mouvoir dans les diverses parties de cet édifice. On a dit que les proverbes étaient la sagesse des nations. Si cet aphorisme est vrai, toute la sagesse de l'Europe ou à peu près est contenue dans le livre de M. Bohn. Sans lui donner cette importance, nous avons cru pouvoir mettre en tête de notre Chronique étrangère ce manuel de communication internationale.

Le second ouvrage auquel nous faisions allusion est un roman qui a pour titre Le pour et le contre (For and again) (1), et est dù à la plume de miss F. Willbraham.

La littérature anglaise a, depuis Walter Scott, beaucoup modifié ses procédés : elle a renoncé aux romans historiques et créé les romans de mœurs, qui développent une thèse sociale ou peignent des caractères contemporains. Dickens a dans ce genre fait une école qui a ses imitateurs et ses disciples fervents; mais l'Angleterre, tout en innovant, conserve de culte des ancêtres, et tout en se lançant dans des voies nouvelles, n'abandonne jamais complétement les procédés anciens. L'œuvre dont nous parlons est à ce titre et par sa propre valeur digne d'une sérieuse étude : c'est un retour vers la manière de Walter Scott, c'est un roman historique grave, sérieux; intéressant, qui suppose des recherches consciencieuses et une étude approfondie des sources histoun'b s !

་་།

(1) London, John Parker.

1

riques. En Angleterre les femmes écrivent plus qu'en France, et mademoiselle Willbraham, en se proposant de peindre les passions politiques développées par la guerre des deux Roses, a montré une fois de plus qu'une donnée historique scrupuleusement suivie peut offrir les situations les plus touchantes et les péripéties les plus dramatiques. On traduit depuis quelque temps beaucoup de romans anglais; nous recommandons ce livre à l'attention des traducteurs, non-seulement pour sa valeur propre, mais encore pour les tendances littéraires qu'il indique, pour ce retour vers l'école classique du roman que l'auteur effectue. On demande du nouveau, mais les nouveautés d'hier sont vieilles aujourd'hui; et comme on tourne toujours dans le même cercle, ce qui paraissait classique la veille peut, par l'effet des réactions littéraires, devenir une nouveauté.

Mademoiselle Willbraham appartient à une des plus anciennes familles du Staffordshire, où elle a placé la scène de son livre. Elle n'est pas la seule à soutenir dignement l'honneur du nom qu'elle porte. Elle a des frères qui sont des hommes distingués : l'un qui est ministre d'une paroisse, et dont nous risquerions de blesser la modestie en racontant la vie dévouée à son troupeau évangélique, est le plus déterminé et le plus spirituel voyageur que nous connaissions. Il a parcouru le monde entier et a écrit de ses pérégrinations des relations très-intéressantes. Un autre est un militaire distingué, et il y a un trait de sa vie qui peut être donné comme exemple de l'union affectueuse qui devient chaque jour plus intime entre la France et l'Angleterre. Le colonel Willbraham est officier de notre Légion d'honneur, et il a reçu la croix de la main de nos généraux dans la guerre de Crimée, sur le plateau d'Inkermann. T. C.

LE PALAIS.

A bien des titres, le Palais a droit à une place importante dans cette Revue; nous lui consacrerons souvent plus d'une page. Nous chercherons quelle influence y exerce encore la tradition littéraire, et pour retrouver les traditions de l'éloquence française, c'est là que nous irons. Le Palais est plus littéraire qu'on ne croit; pour le prouver il suffirait de citer les discours qui inaugurent nos années judiciaires. Cette année, à la rentrée de la Cour impériale, M. Sapey, substitut du procureur

général, a raconté la vie de la famille Séguier, souche parlementaire où la science et les traditions de la magistrature ont passé de génération en génération. Tout le monde en a connu le dernier représentant, le premier président Séguier, qui égayait l'audience de sa verdeur gauloise et soutenait la dignité de son rang avec une bonhomie si digne. M. Sapey a été simple, élégant, disert; il a touché l'ensemble de cette biographie judiciaire d'une main fine et avec un tact exquis. Il a su se concilier toutes les sympathies, et sa modestie a rehaussé la valeur très-distinguée de son œuvre mérite rare que cette modestie, mérite également rare que cette modération, compos mentis, qui devrait toujours être la compagne fidèle de l'autorité du magistrat.

L'ordre des avocats a eu également sa solennité de famille : le nouveau bâtonnier, M. Jules Favre, a une juste réputation d'élégance attique. Ses discours sont toujours inspirés par des passions si habilement conduites, sa diction est si savamment contenue, son style est si châtié et si régulièrement harmonieux, qu'on est habitué à trouver à toutes ses improvisations la valeur d'une œuvre travaillée de main de maître. Il a le double mérite de charmer ceux qui l'écoutent et ceux qui le lisent. Son discours a roulé sur le rôle, sur la mission, sur les devoirs de la profession d'avocat, sujet antique et traditionnel où il a su trouver des côtés nouveaux, et auquel il a naturellement rattaché l'éloge des avocats que l'ordre regrette, M. Bethmont et M. Liouville. Nous voudrions pouvoir rapporter ici le portrait qu'il a tracé de ces deux anciens bâtonniers, et leur rendre à notre tour un dernier hommage. Dans ces sortes de fêtes judiciaires, le souvenir de ceux qui ne sont plus plane sur ceux qui arrivent, qui débutent, et dont le bâtonnier a pour mission de guider les premiers efforts. A côté de lui, après lui, devant l'ordre entier, la tradition veut que deux jeunes avocats stagiaires prononcent un discours, et qu'à la voix du maître arrivé aux honneurs suprêmes se mêle celle des jeunes gens qui entrent dans la carrière. M. Aymé a fait cette année un discours savant et d'une érudition nourrie aux sources; M. Bellay une revue toute littéraire des différentes formes adoptées en France dans la plaidoirie. C'est un petit chef-d'œuvre de finesse et d'esprit. En voyant ce que promet le jeune barreau, ce qu'il annonce par des œuvres semblables, chacun pensait à celui qui a formé par ses leçons ces jeunes gens, qui leur a donné par sa vie et ses habitudes de travail l'exemple du labeur consciencieux, de la vie active, des habitudes sacrées de la profession. C'était là l'éloge vivant et le meilleur de M. Liouville, et si la trace durable qu'il a laissée revivait dans le discours du bâtonnier, on la retrouvait non moins forte et non

moins vive dans le discours de ces deux jeunes gens, dont ses conseils ont pu guider les débuts.

Le souvenir de ces morts regrettés, M. Bethmont, M. Liouville, nous ramène naturellement à la pensée du double deuil qui vient de frapper la magistrature. A quelques jours d'intervalle, elle a perdu deux de ses membres, M. Roussigné et M. Poinsot. L'un s'est éteint dans les souffrances d'une longue maladie; l'autre a péri d'une mort violente, victime d'un execrable attentat. Tous deux laissent dans les cœurs de leurs collègues et au sein du monde judiciaire des regrets profondément sentis.

T. C.

LES THEATRES.

Au moment de prendre la plume pour écrire le premier article de critique musicale et dramatique dans cette nouvelle publication, nous nous apercevons que le moment est assez défavorable pour entreprendre cette tâche. C'est en effet l'époque où la plupart des théâtres de Paris, après avoir épuisé le succès des ouvrages qu'ils ont donnés à la fin de l'automne, songent à renouveler leur affiche, et vivent sur leur répertoire jusqu'au jour où ils seront en mesure de produire les pièces de résistance qui sont l'espoir de leur campagne d'hiver. Puissent leurs préparatifs être couronnés de succès, puissent leur attente et la nôtre n'être pas trompées; mais pendant cet enfantement, qui souvent ne laisse pas que d'être long et laborieux, nous trouvons sur les différentes scènes parisiennes bien peu de nouveautés sur lesquelles nous puissions formuler une opinion. Quand nous disons nouveautés, nous voulons simplement désigner les œuvres nouvellement parues sur lesquelles le public demande à être éclairé par la presse; qu'on n'aille pas se méprendre sur le sens que nous attachons à ce mot, et induire de lå que notre intention est de ne donner notre avis par la suite que sur les ouvrages conçus à un point de vue nouveau, partant d'une idée originale et développés par des incidents imprévus; en un mot, sur les œuvres théâtrales renfermant quelque chose de trouvé. Certes nous ne nous sommes pas fait cette loi, car, avec un pareil programme, il pourrait s'écouler des mois entiers pendant lesquels le métier de critique serait une véritable sinécure. Nous ne prétendons pas cependant passer en revue tout ce qui paraît sur le théâtre; il y a certainement là un

choix à faire. Bien des ouvrages sont représentés dont l'examen n'offrirait aucun intérêt au point de vue de l'art et de la littérature, et dont l'analyse ne fournirait aucun aliment à l'esprit; ceux-là peuvent être l'objet d'un compte rendu, et ne peuvent guère être celui d'une appréciation; ils sortent donc par là même de notre cadre, car nous nous proposons d'examiner et de juger, bien plus que de raconter. Notre étude portera donc principalement sur les compositions musicales ou dramatiques qui nous sembleront être une manifestation de l'art et le résultat d'une tendance du goût, soit qu'il progresse, soit qu'il décline. En un mot, et pour faire ici notre profession de foi, notre intention est de nous occuper de toutes les œuvres auxquelles l'esprit vrai et de bon aloi aura eu quelque part. Ni le rang inférieur d'une scène, ni le caractère modeste d'un ouvrage ne nous arrêteront, et nous irons cherchant partout le talent, quelle que soit la forme sous laquelle il se présente. A notre avis, il n'y a pas de petit genre, il n'y a que de petits ouvrages, et telle composition dramatique bien faite pour son objet et remplissant exactement son cadre, si étroit qu'il puisse être, a plus de mérite à nos yeux qu'une autre qui vise très-haut et qui, inférieure à elle-même, ne peut justifier son titre. Il pourra nous arriver souvent de faire fausse route dans nos recherches; nous en serons quitte alors pour garder le silence sur ce que nous aurons vu. Mais nous serons amplement dédommagé de notre déconvenue le jour où nous trouverons l'occasion de signaler une œuvre consciencieuse là où l'on ne s'attendait pas à la rencontrer. Si le but de la critique est d'opposer un frein au mauvais goût, il consiste aussi et avant tout à mettre en lumière le mérite ignoré.

Pour passer rapidement en revue la situation de nos grandes scènes lyriques, nous dirons que le Théâtre-Italien, sans varier beaucoup son répertoire, exécute toujours les chefs-d'œuvre que tout le monde connaît devant une salle comble; le dilettantisme, doublé de la mode, lui, assure un auditoire toujours fidèle. Du reste, les artistes rassemblés cette année par M. Calzado forment un ensemble très-satisfaisant, et la troupe italienne est assurément la meilleure et la plus complète de Paris. Con las si iq etm

Nous regrettons de n'avoir à parler de l'Opéra que pour faire mention d'un ballet; mais si nous voulons louer les artistes sans réticence, et applaudir à l'exécution sans arrière-pensée, nous croyons prudent de ne pas aborder d'autre sujet. Le scénario du Papillon est assez faible comme invention, assez comniun comme détails, et assez banal comme chorégraphie. Les auteurs, en le composant, n'ont eu qu'une idée heu

« PreviousContinue »