Page images
PDF
EPUB

l'Aral, la Caspienne, les lacs Érié et Ontario, demeurent comme témoins d'une ancienne inondation, et comme restes des eaux qui se sont retirées. De plus, lorsqu'on descend vers le Sud, le rapport de la terre à la mer, sur chaque parallèle, suit une progression régulièrement décroissante l'eau devient de plus en plus abondante à mesure que l'on approche du pôle austral. Enfin, les blocs erratiques, qu'on suppose avoir été emportés sur des glaces flottantes dans cet immense déplacement des eaux, sont tous dirigés du nord au sud. Or depuis l'année 1248 de notre ère, le fait inverse est produit par la continuation du déplacement de la ligne des équinoxes. Notre hémisphère se refroidit: chaque hiver fait tomber en Suisse plus de neige que les étés n'en peuvent fondre; les glaciers s'agrandissent; au pôle boréal, les glaces s'accumulent; on découvre des traces de culture et d'habitations dans des lieux couverts aujourd'hui de neiges perpétuelles. Les expéditions arctiques deviennent chaque année plus pénibles. Au seizième siècle on parlait de vastes terres qui reliaient le Groënland à la Russie, et qui ont disparu aujourd'hui sous les neiges; au pôle austral, au contraire, les glaces semblent fondre, et nos vaisseaux dépassent de cinq degrés la limite que Cook avait indiquée comme infranchissable. Ainsi se prépare une nouvelle révolution en sens inverse : le centre de gravité de la terre va remonter vers le pôle nord dans quelques milliers d'années, et les eaux de l'hémisphère austral vont se précipiter de nouveau sur nos vieux continents qu'ils changeront en mers, tandis que de nouvelles terres surgiront dans l'hémisphère inondé aujourd'hui. Ces révolutions sont périodiques et se renouvellent tous les onze mille cinq cents ans. On croit voir dans les amas de mastodontes et de mammouths accumulés vers le pôle nord, la trace de l'avant-dernière de ces oscillations du sud au nord, comme les blocs erratiques indiquent la dernière du nord au sud.

Plus la position scientifique de l'auteur qui nous raconte ces merveilles parait commander la confiance, plus sa responsabilité est grande; on ajoute foi sans crainte à tout ce que rapporte le savant, c'est à lui de ne pas s'écarter des voies de la certitude. Peut-être M. Julien acceptet-il certains témoignages que leur origine peu scientifique aurait pu lui faire repousser; peut-être cède-t-il parfois à une tendance mystique de son esprit, mais on ne saurait la lui reprocher : c'est proprement le caractère même de l'homme de mer. Comme il raconte avec amour les révolutions de la mer, il les fait lire avec intérêt. Le style précis et clair, qui n'exclut pas un certain charme poétique, traduit avec netteté une pensée toujours hardie. H. F.

Questions d'art et de morale, par VICTOR DE LAPRADE (1). - Nous faisons grand cas de M. de Laprade : c'est un poëte, c'est un caractère honorable. Il a dignement suivi une carrière laborieuse, et chaque livre de lui porte toujours la trace d'un travail consciencieux et d'une inspiration élevée. Cependant M. de Laprade est aujourd'hui très-peu connu; il n'est pas populaire, et sa manière ne lui permettra jamais d'espérer autre chose que des succès limités et une réputation locale. Le nouvel ouvrage que nous annonçons dépassera moins que tout autre ce cercle restreint ; il y a dans ce livre, il y a dans toute l'œuvre de cet écrivain des développements trop étendus, des idées exposées en trop de mots et retournées sous trop de formes pour nos habitudes littéraires; cela tient à une cause fort respectable: M. de Laprade, qui est né à Lyon, n'a jamais voulu quitter sa ville natale.

Il faut bien que les capitales servent à quelque chose, elles donnent le ton du jour. On y apprend sinon à bien vivre et à bien penser, du moins à vivre et à penser vite. La province a plus de lenteur, de réflexion; les occupations y étant moins nombreuses et les distractions moins fréquentes, on peut y garder longtemps sur le chantier le même travail. Mais ce procédé conviendrait mieux aux travaux d'érudition qu'à ceux d'imagination pure, et ce qui le prouve, c'est qu'à Lyon, à Rouen, à Toulouse, partout en France, on trouve beaucoup plus d'historiens, de savants, de critiques d'une grande valeur, que de littérateurs et de poëtes. Pour la poésie, il faut un milieu changeant et des contacts souvent renouvelés. Nous ne doutons pas que M. de Laprade ne se fût élevé plus haut s'il eût plus fréquemment varié ses horizons; sa forme eût été plus vive, son vers plus resserré, ses idées se seraient jetées dans un moule plus net. Mais il eût perdu cette individualité si parfaitement loyale, cette allure indifférente au monde, et nous devons l'aimer d'autant mieux.

L'ouvrage que M. de Laprade publie se compose de leçons qu'il fit à la faculté des lettres de Lyon; il établit d'abord que l'art est un, que l'histoire de l'art est l'histoire du sentiment de la nature, et que l'art débuta dans l'hymne, dans les temps primitifs, en édifiant par la parole; - le temple ne fut plus tard que la réalisation extérieure de l'hymne. -M. de Laprade développe cette assimilation très-juste mais nullement nouvelle, puisqu'il l'avait tracée dans la préface de ses Idylles héroïques, sans l'appuyer par aucun exemple. Il est impossible, dans ce volume de 450 pages, de trouver une description, une citation qui, à son tour, édifie la théorie. Aussi, voulant plus loin étudier ce que sont les pré(1) 1 vol., Didier.

ceptes en matière d'art, ou les hiérarchies dans les œuvres de l'esprit (titres de chapitres qui ont tout au moins l'inconvénient d'être obscurs), M. de Laprade a le tort, à nos yeux, de rester toujours dans la sphère d'un enseignement transcendant et de ne se préoccuper en aucune façon de l'application de ses idées. Nous sommes tous plus ou moins des enfants qui avons besoin qu'on nous matérialise l'enseignement. M. de Laprade le sait bien certainement, mais il affecte en plusieurs endroits et il professe un dédain absolu pour tout ce qui pourrait passer pour une concession aux goûts modernes. Cette fierté est respectable, mais elle égare l'auteur. Ce qu'il nomme la popularité, c'est le sentiment public; au lieu de le heurter de front, ce qui n'est permis qu'aux génies novateurs, les hommes d'un sens droit, d'un jugement sain, d'un cœur honnête, doivent étudier le goût de leurs contemporains pour le moraliser. M. de Laprade se vante d'une prédilection pour les genres et les œuvres impopulaires; - soit, c'est là une prédilection parfaitement discutable, tous les genres sont bons, mais ce qu'il ne faut jamais aimer avec prédilection, c'est le genre ennuyeux. A qui donc M. de Laprade s'adresse-t-il? Il nous vante l'antique, et ne parle en détail ni des monuments, ni des arts, ni des chefs-d'œuvre de l'antiquité; il réclame contre le goût du jour qui confond les distinctions naturelles, les genres littéraires, et ne montre pas le mal qui résulte de cet abus; il attaque le caractère industriel de nos arts et de notre poésie, et sa plume recule devant toute citation ou tout nom propre; il préconise le respect comme élément d'inspiration, et quand on lui demande ce qu'il faut respecter, il se tait. Ce n'est plus ainsi qu'on écrit, ce n'est pas ainsi qu'on peut répandre de saines théories. Nous aimons trop la cause spiritualiste que soutient M. de Laprade pour ne pas lui demander de descendre de ces hauteurs où l'on ne voit plus ni les hommes ni les œuvres humaines. Nous soutenons que pour faire de la critique il faut avoir pour mot d'ordre: Homo sum, et nous ne pouvons admettre ce dédain si absolu pour toutes les formes reçues, Hélas! oui, on ne lit pas assez maintenant, et les livres sérieux trouvent peu de lecteurs, mais ce n'est pas en s'acharnant à donner de gros in-8° très-pesants et très-arides qu'on détournera le courant. Quelque honorable que soit la conviction de M. de Laprade, elle l'égare, et son livre, qui contient d'excellentes idées et de beaux élans, ne pourra résister au flot même qu'il a voulu braver.

Variétés littéraires, par M. S. de SACY (1). Un autre académicien, M. de Sacy, vient de publier, sous ce titre, Variétés littéraires, deux (1) 2 vol. Didier.

volumes qui embrassent la littérature française dans ses œuvres les plus variées et les plus remarquables. Cet ouvrage ne ressemble en rien à celui de M. de Laprade, ni par la forme, qui est simple, ni par le style, qui est d'une transparence toute classique, ni par le but même que s'est proposé l'auteur, car M. de Sacy, en recueillant ainsi les principaux articles qu'il a donnés depuis plus de trente ans au Journal des Débats, a bien compris que le journaliste aussi bien que l'homme de lettres doit toujours se préoccuper des instincts du public. Il est extrêmement curieux de retrouver des appréciations sur M. Cousin, datées du 8 août 1829, sur Benjamin Constant, datées du 9 janvier 1830, à côté d'études sur tous les livres qui ont paru hier ou l'an dernier, et s'il fallait prouver combien les critiques modestes et toujours bienveillantes, l'honnêteté de jugement et la science facile quoique profonde d'un écrivain, assurent à ses ouvrages un succès constant, il suffirait de lire l'ouvrage de M. de Sacy. Dans chacun de ces articles il y a une simplicité, j'allais dire une bonhomie, qui fait aimer l'auteur et une élévation de pensée qui le fait respecter. Qu'il nous permette de lui adresser un seul reproche. Dans un article sur les prosateurs français, il dit avec raison : Saint-Simon est le plus grand peintre des temps modernes ; c'est le seul qui puisse soutenir la comparaison avec Tacite et qui efface quelquefois, par la vérité et l'énergie de ses tableaux, le plus grand peintre de l'antiquité. Et dans un autre article sur M. Augustin Thierry, il s'écrie : S'il fallait mettre au feu les dix-huit volumes de la Collection des Historiens de France, ou les Mémoires de Saint-Simon, je condamnerais bien volontiers Frédégaire et tous ses pareils au bicher, surtout lorsque quelques hommes d'un talent rare comme M. Thierry auront tiré de ce fatras le peu qui mérite d'être transmis à la postérité !

M. de Sacy est trop bon juge pour ne pas regretter cette phrase. Mais peut-être a-t-il été trop scrupuleux pour la retrancher. Il a voulu donner ses articles dans leur pureté primitive, et montrer modestement que les meilleurs esprits peuvent un instant se tromper.

ANDRÉ VINCENT.

[ocr errors]

Le réalisme et la fantaisie dans la littérature, par GUSTAVE MERLET (1). Alceste, tragédie d'Euripide, essai de traduction en vers français, par ROMTAIN, professeur au lycée impérial Bonaparte (2). - Des deux hérésies littéraires, dont l'une consiste à copier servilement la nature, l'autre à n'en tenir nul compte, c'est la première que combat M. Gustave Merlet. Il distingue avec finesse plusieurs variétés de réa(1) 1 vol. in-18. Didier.

(2) Imprimé chez Adrien Leclère.

[ocr errors]

lisme dans la littérature contemporaine : le réalisme bourgeois de M. Champfleury, le réalisme imaginaire du regrettable auteur de la Vie de Bohème, le réalisme physiologique de M. Flaubert, le réalisme byronien de M. Feydeau. Ces titres piquants ne sont-ils pas bien trouvés, et pouvait-on mieux caractériser la manière des quatre individualités qui, de nos jours, représentent avec le plus d'éclat l'école dite réaliste?

M. Champfleury est un écrivain de juste milieu intellectuel; observateur sans être profond, rencontrant plus d'aperçus ingénieux que de grandes idées, plus capable d'amuser que de passionner le lecteur. Je suis loin de le regarder comme un esprit médiocre. Mais, par système, il se condamne à demeurer toujours dans une région moyenne et quelque peu vulgaire. C'est un véritable bourgeois de lettres.

Tout autre était le pauvre Henry Murger. De noble race, puisqu'il était poëte, il n'eut garde de prendre pour horizon les tristes réalités d'une vie de désordre et de misère. Sa mansarde de bohème eut toujours une lucarne ouverte sur le ciel étoilé. Murger est mort avant d'avoir donné la mesure complète de son talent poétique, et des plus gracieux talents de la jeune génération.

un des plus frais

On a tout dit de MM. Flaubert et Feydeau. Attaques violentes, admiration enthousiaste, rien ne leur a manqué dès leur début de ce qui assure la fortune d'un écrivain. M. Flaubert, le romancier physiologiste, me semble doué d'une puissance plus grande que le chantre byronien de Fanny. Quoi qu'il en soit, on ne peut leur refuser à tous deux une incontestable valeur. Je regrette leurs excès, je reconnais la justesse des critiques sévères qu'ils ont encourues. Mais, après tout, la force qui s'égare est encore de la force.

Après avoir assez maltraité les réalistes, M. Gustave Merlet prend à partie des adversaires d'un autre genre, les fantaisistes dans la littérature et la morale. Il cite à son tribunal MM. Arsène Houssaye, Capefigue, Enfantin, Michelet, et les enveloppe dans une même condamnation, sans admettre de circonstances atténuantes. Heureusement le droit d'appel n'est pas interdit, et nous nous permettons d'en user en faveur de l'auteur de tant de charmantes fantaisies, M. Arsène Houssaye, d'une physionomie diversement appréciée, M. Enfantin, et d'un génie inégal mais puissant, notre illustre et cher historien, M. Michelet.

La phrénologie n'est pas plus épargnée que la fantaisie par le rigoureux critique, qui ne reconnaît à aucun titre la légitimité de cette science.

En finissant, il jette un regard en arrière et se retourne contre

« PreviousContinue »