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sés, pourquoi avortes-tu si souvent dans le nôtre et ne produis-tu que des monstres dans le régime moral, semblables à ces phénomènes effrayants du règne animal, que l'on conserve dans l'esprit-de-vin pour la terreur des siècles à venir? »

Ces diatribes de mauvais goût, qu'elles viennent de Rome ou de Séville, nous paraissent singulièrement déplacées. A ceux qui nient le mouvement, on ne peut faire qu'une seule réponse, c'est de marcher toujours. Que Fernan Caballero regrette tout à son aise l'Espagne de Philippe II et de Ferdinand VII: cela ne changera rien au cours des événements. Les principes libéraux ne périront pas plus dans la Péninsule que dans le reste de l'Europe. L'humanité ne recule jamais.

Passons du Midi au Nord, du catholicisme sensuel de l'Andalousie au spiritualisme protestant de l'Angleterre et des États-Unis. Nous acceptons toutes les variétés de la grande communion chrétienne et nous les regardons comme saintes, parce qu'elles découlent d'une même source, et que nous les jugeons avec une entière impartialité. Nous n'avons pas de préjugés contre la secte des quakers, dont l'austérité ne manque ni de grandeur ni de poésie. Nous ne croyons point que la poésie et la sainteté soient l'apanage exclusif d'une seule Église. C'est pourquoi nous avons lu avec intérêt les Secrets du foyer domestique de Mistress Ellis, une prêcheuse en renom, un des apôtres éloquents de l'émancipation morale et intellectuelle de la femme. En traduisant, ou plutôt en imitant cet ouvrage, mademoiselle Ulliac-Trémadeure a rendu un véritable service à la morale. Les pures maximes de la vertu chrétienne ont inspiré cette histoire touchante, qui joint au mérite littéraire l'avantage de ne contenir aucune déclamation contre les sociétés modernes.

ALFRED BLOT.

LES THEATRES.

Nous avons aujourd'hui en premier lieu à constater un acte de haute justice qui a été accompli par le public le 13 mars dernier. En cette soirée mémorable, l'opéra de M. Wagner a fait son apparition, entouré de tout ce que l'art moderne peut ajouter de charme et de prestige à une œuvre lyrique, et, malgré une exécution irréprochable, malgré des splendeurs de mise en scène inaccoutumées, Tannhauser, et avec lui les théories étranges de son auteur, ont essuyé un de ces échecs dont il est impossible de se relever. Cet échec est-il mérité? C'est ce que nous nous proposons d'examiner rapidement.

La musique que M. Wagner a composée sur le poëme fort incolore de Tannhaüser se divise en deux parties distinctes, et dont l'une est la condamnation de l'autre ; dans la première il faut ranger tout ce qui se comprend, dans la seconde tout ce qui est inintelligible. Cette dernière est de beaucoup la plus considérable et en même temps la plus digne d'attention, puisque c'est par elle que l'auteur veut opérer une révolution dans le drame chanté. Quelles sont donc en réalité les modifications qu'il s'est proposé d'y apporter? Les voici M. Wagner a la prétention de bannir du théâtre tout ce qui n'existe que par convention; il oublie en cela que le théâtre, et surtout le théâtre lyrique, n'est lui-même qu'une convention, et que le jour où l'on cherchera avant tout le naturel, il faudra renoncer à faire parler en musique les personnages d'une action dramatique. Partant de cette idée, l'auteur du Tannhauser s'indigne de voir que les opéras modernes, et particulièrement ceux de l'école italienne, se composent d'airs et de morceaux d'ensemble séparés par des récitatifs pleins de sécheresse qui interrompent brusquement la mélodie et rompent le courant musical. Cette critique est juste en ce qui concerne l'ancien opéra italien, mais M. Wagner aurait dû remarquer que les maîtres de l'école contemporaine ont su triompher complétement de cet inconvénient en donnant au récitatif une valeur mélodique et en le reliant par des transitions insensibles aux morceaux proprements dits. Quant à lui, que fait-il pour donner à ses ouvrages une unité complète ? Désespérant de combiner jamais d'une manière assez intime ces deux éléments opposés, l'air et le récitatif, il prend le parti héroïque de supprimer l'air, afin de donner au récitatif plus d'importance et de vigueur. Un tel moyen rappelle le remède violent du médecin de Molière : « Que » diantre faites-vous de ce bras-là?» dit-il à son malade; « ne voyez» vous pas qu'il tire à soi toute la nourriture, et empêche l'autre de » profiter? Il faut vous le faire couper; son partenaire se portera » mieux. » C'est par un raisonnement analogue que M. Wagner est conduit à abandonner le thème musical. Telle est sa première et sa plus grande réforme. Les autres ne sont que la conséquence de celle-là. Elles consistent à astreindre le musicien à éviter toute répétition de paroles, et à lui défendre de composer aucun motif qui puisse se graver dans la mémoire des auditeurs : l'auteur veut que l'œuvre lyrique forme un tout complet dont il soit impossible de détacher aucun fragment. Singulière chose que le parti pris! M. Wagner est convaincu que, grâce à ces innovations, il a ramené l'opéra aux véritables conditions de l'art, en faisant de la musique l'expression exacte du sens des paroles. Or il a d'un seul coup tué l'inspiration, car il n'a laissé au compositeur que la

tâche ingrate de noter avec plus ou moins de justesse d'inflexion les phrases du livret, comme un professeur de déclamation règle les intonations d'un rôle. En supprimant les morceaux et en s'affranchissant de leur coupe régulière, il a enlevé à la musique tout plan et toute forme, quand c'est la beauté de la forme qui fait le charme de tous les arts. Enfin en s'opposant à ce que les mêmes paroles puissent être répétées plusieurs fois, il a étouffé l'idée musicale dans son germe et lui a interdit tout développement. En vain M. Wagner a mis au service de ce système chimérique son talent de symphoniste, qui est incontestable, en vain il a cherché à reporter sur l'orchestre l'intérêt qu'il retirait aux voix, en vain il a forcé les accompagnements et les a chargés de modulations, il n'est arrivé à produire dans Tannhauser qu'une œuvre indigeste, sans ensemble et sans détails, un opéra qui ne commence ni ne finit, et dont les scènes démesurément longues et toujours uniformes lassent forcément l'attention la plus robuste. Toutes les personnes qui ont quelques notions d'harmonie comprendront à quel point il est désagréable et même pénible d'entendre pendant toute une soiréc des motifs tronqués et des accords sans résolution qui s'enchevêtrent sans cesse les uns dans les autres et ne sont liés ensemble que par des dissonances intolérables. Tel est l'effet produit par cette interminable mélopée que M. Wagner décore du nom de mélodie infinie. Cependant, au milieu de ce chaos, nous voyons se dessiner nettement trois ou quatre morceaux conçus dans le style ordinaire, et que l'on peut vraiment appeler de la musique. L'auteur a pris soin de nous avertir dans ses brochures que ces passages, les plus faibles de la partition à son avis, n'avaient été placés dans son opéra que pour satisfaire au faux goût du public, et qu'il ne fallait leur prêter aucune attention. Quant à nous, ces morceaux nous ont au contraire semblé fort remarquables, car nous avons ce fâcheux privilége d'être toujours en désaccord avec M. Wagner, même lorsque nous louons sa musique; cependant, si nous n'avons pu lui rien céder de notre opinion quand nous avons critiqué sa mélodie infinie, nous sommes plus disposé à faire ici quelques concessions à ses idées et à lui accorder par exemple qu'il aurait pu trouver pour sa marche du second acte un motif plus distingué, et que le féroce trait de violons dont il accompagne son chœur de pèlerins nuit au caractère religieux de ce morceau. Mais, en dépit de son jugement, nous persistons à croire que l'ouverture est très-originale comme effet d'instrumentation et que le septuor qui termine le premier acte a beaucoup d'ampleur et de sonorité. Malheureusement le mérite même de ces morceaux nous fait regretter davantage de voir leur auteur donner à son

talent une si fâcheuse direction. En somme, dans le système que M. Wagner voudrait faire prévaloir, le beau idéal, c'est le néant, c'est le vide en fait de musique, il abandonne le thème, il renonce à la mélodie rhythmée et complète, en un mot il supprime le chant; en fait de chorégraphie, il réprouve la danse et permet tout au plus quelques poses plastiques; en fait de littérature lyrique, il néglige de faire naître l'intérêt, il bannit les situations émouvantes et se contente d'une certaine mise en scène dramatique qui parle aux yeux sans rien dire à l'esprit. Aussi, le public a-t-il fait à notre avis preuve de goût et de sens en proscrivant une telle œuvre, et nous avons la conviction que son jugement ne sera pas cassé par la postérité.

M. J. Cohen, qui vient de donner à l'Opéra-Comique un petit acte assez frais et assez pimpant sous le titre de Maître Claude, n'a aucune prétention à écrire la musique de l'avenir, et nous l'en félicitons sincèrement; nous lui reprocherions plutôt de s'inspirer quelquefois de la musique du passé, mais si M. Cohen a fait preuve d'une mémoire un peu trop fidèle, il a su rencontrer aussi des motifs pleins de grâce et de sentiment, et il a surtout orchestré son petit opéra d'une manière brillante et colorée. Comme poëme, Maitre Claude est une assez gentille petite bluette qui n'affiche aucune prétention, pas même celle de la vérité chronologique. En effet, nous y voyons un certain duc d'Aiguillon, colonel du régiment de Royal-Cravate, honorer de sa protection maître Claude Lorrain et le décider à abandonner l'art culinaire pour la peinture, qui est sa véritable vocation. Or, Claude Lorrain a exécuté la plupart de ses chefs-d'œuvre sous le règne de Louis XIII et est mort en 1682; le duc d'Aiguillon, premier du nom et père du célèbre ministre, est né en 1683 sous Louis XIV, et le Royal-Cravate est un régiment du roi Louis XV; on le voit, ce petit opéra-comique est très-original, en ce sens qu'il est le rendez-vous de toutes les époques; ses auteurs, MM. de Saint-Georges et de Leuven, ont l'esprit très-indépendant; ce sont des libres penseurs en fait d'histoire. Du reste, le public a parfaitement accueilli ces aperçus nouveaux, et nous aurions tort de nous montrer plus difficile que lui. Le véritable intérêt que présentait la première représentation de Maître Claude consistait dans le début d'un jeune élève du Conservatoire qui voit s'ouvrir devant lui la plus brillante carrière. M. Gourdin possède une voix de baryton d'une douceur et d'un charme indéfinissables. Il pose la voix d'une manière magistrale et phrase la musique avec une grande largeur de style.

Pour analyser le mouvement qui s'est produit depuis un mois sur nos grandes scènes dramatiques, il nous suffira de rendre compte des nou

velles œuvres que vient de produire M. Ern. Legouvé. Cet auteur vient de donner coup sur coup deux comédies: Un jeune homme qui ne fait rien au Théâtre-Français; Béatrix ou la Madone de l'Art à l'Odéon, avec madame Ristori pour interprète.

Nous ne voulons pas chercher dans Un Jeune homme qui ne fait rien autre chose que ce que l'auteur a prétendu y mettre; le sujet de cette petite comédie n'a été pour lui qu'un prétexte pour écrire de très-jolis vers. Cependant, en examinant le fond de la pièce, nous nous étonnons d'y voir tourner en ridicule un père qui a l'intention, fort sensée à notre avis, de ne marier sa fille qu'à un homme occupé. M. Legouvé soutient cette thèse un peu paradoxale, que les gens les plus utiles à la société sont ceux qui n'ont pas de profession. Pour preuve de ce qu'il avance, il nous montre M. Maurice ***, qui, bien que sans profession, est loin d'être un désœuvré ni un homme inutile, car, pour rendre service à ses amis, nous le voyons exécuter dans l'espace d'une heure les exercices les plus nombreux et les plus variés. Un tel exemple sort de la règle : M. Maurice n'est pas un jeune homme qui ne fait rien, c'est un jeune homme qui se met en quatre pour faire de bonnes actions. Il en est récompensé en obtenant, au dénoùment, la main de celle qu'il aime.

En composant le drame de Beatrix, M. Legouvé n'a eu qu'une préoccupation, qu'un but, celui de s'effacer complétement et de se faire oublier pour concentrer toute l'attention des spectateurs sur la grande artiste qui devait en remplir le principal rôle. C'était faire acte d'une abnégation assez peu commune parmi les auteurs dramatiques; mais en montrant ainsi son humilité, M. Legouvé aurait dû éviter de mettre la modestie de son illustre interprète à une aussi rude épreuve. Béatrix nous présente exactement la personnalité de madame Ristori; l'actrice et le personnage ne font qu'un même patrie, même talent, même vocation, mêmes triomphes; le nom seul est différent. Or, Béatrix n'est pas seulement une grande tragédienne, une artiste inspirée et en même temps une femme vertueuse; elle est une sainte, une madone, une consolatrice des affligés, une bienfaitrice de l'humanité. Partout où elle se présente, elle est l'objet de l'adoration des peuples et de la vénération des souverains; dans la petite cour d'Allemagne, où nous la voyons arriver, les princes du sang se disputent un de ses regards, et les grandes-duchesses lui adressent des hommages; au milieu de cette noblesse allemande, d'ordinaire si jalouse de son rang et de ses prérogatives, la véritable souveraine, c'est la reine de théâtre. Certes, on avait déjà entendu prononcer sur la scène l'éloge des grands acteurs, on

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