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Sans prétendre l'effacer entièrement de nos codes, M. Castelnau- la voudrait voir bien plus rarement appliquée aux simples maniaques, ou aux gens d'intelligence peu développée, et réservée presque exclusivement aux idiots et aux furieux. Surtout, il la voudrait intermittente et suspendue de droit dans les intervalles lucides.

L'interdiction, que la lei qualifie « une protection pour l'aliéné », elle l'appelle une peine accessoire pour le condamné aux travaux forcés ou à la réclusion. Or, ce dernier recouvre l'intégralité de sa fortune et de ses droits, quand la grâce du souverain vient abréger sa peine. Pourquoi en serait-il autrement du maniaque dans les intervalles lucides, qui sont autant de grâces que Dieu lui envoie ?

C'est dans ces moments lucides que ce malheureux souffre le plus, parce qu'alors et seulement alors, il comprend les causes et les conséquences de la mesure judiciaire dont il a été l'objet. L'interdiction pèse sur lui d'une manière aussi fâcheuse que pesaient autrefois les fers dont l'immortel Pinel l'a délivré; elle l'humilie, elle l'irrite, le rend rebelle à toute médication, et pour ainsi dire incapable de tout amendement, de toute cure.

En veut-on la preuve? Le docteur Castelnau la donne sous forme de chiffres d'une effroyable éloquence. Sur 7 aliénés trop pauvres pour que personne ait songé à solliciter leur interdiction, la médecine en rend deux à la société ; elle ne guérit qu'un interdit sur 29.

L'interdiction n'est presque jamais demandée par les enfants ou les ascendants en ligne directe; neuf fois sur dix elle est prononcée à la requête de collatéraux. C'est pourquoi les magistrats devraient s'en montrer plus avares; une foule d'originaux font de leur fortune en Angleterre tel usage qu'il leur plaît, et arrivent à un âge avancé sans avoir mis l'ordre social en un péril sérieux, qui renfermés en France chez certains logeurs et nourrisseurs spéciaux, lesquels s'intitulent aliénistes, devenus idiots ou furieux, seraient morts à trente ans.

Législateurs et magistrats trouveront beaucoup à réfléchir dans le livre de M. de Castelnau. B. MAURICE.

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Histoire de la musique en France, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, par CHARLES POISOT (1). « Peuple français, peuple de braves, tu n'auras donc jamais d'oreilles que pour goûter la Marseillaise? etc.,» s'écrie quelque part un critique célèbre, homme de goût fin et de science profonde, que pourtant son purisme sévère entraîne quelquefois un peu trop loin. Or voici un jeune compositeur, (1) Paris, Dentu, éditeur.

l'auteur applaudi du Paysan, qui vient sinon répondre à l'exclamation irritée de M. Scudo, tout au moins tenter d'en détruire la cause.

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M. Charles Poisot entreprend, sous une forme agréable et sans prétentions pédantesques, d'apprendre à ce « peuple français son histoire musicale. Il démontre que si, comme les Italiens ou les Allemands, nous n'avons pas l'instinct musical, tout au moins avons-nous eu, presque toutes les époques de notre histoire, de bonne musique com→ posée chez nous, et il en arrive à cette conclusion, qu'aujourd'hui l'école française tend à prendre, si ce n'est déjà fait, la tête du mouvement musical européen. « Pourquoi, s'écrie l'auteur dès son début, pourquoi les étrangers illustres briguent-ils à l'envi les succès parisiens? C'est que.... et de même que notre langue, si claire, si nette, si précise, tend, par son usage dans la diplomatie européenne, à conquérir la place du latin au moyen âge, de même notre école de musique se substitue à toutes les autres, en fondant dans son sein les mérites opposés des pays les plus divers. »

Le livre de M. Poisot est d'un format facile à la main et d'une forme faite pour plaire à l'esprit; il est plein à la fois d'agrément et d'enseignements, d'anecdotes et de vues nouvelles autant qu'élevées, de faits et de pensées; de plus, il est, croyons-nous, le premier qui embrasse dans son ensemble l'histoire de la musique en France. L'auteur s'en va chercher les origines de l'art qu'il aime jusqu'aux chants des druides; il en suit les transformations successives à travers les âges, notant et analysant, ici les Hymnes de Chilpéric et de Sedulius, le Vexilla Regis de l'évêque de Poitiers Fortunat (huitième siècle), la Complainte sur la mort de Charlemagne et le Chant de la sibylle (neuvième siècle); là, les Chansons du comte de Béthune et de Thibaut IV, comte de Champagne et roi de Navarre (douzième siècle); plus loin, les motets et le De profundis composés par Louis XIII, ou les livrets d'opéras dus à la plume du pape Clément XIV, pour arriver, en s'arrêtant à toutes les sommités de l'école moderne, contemporaine même, jusqu'aux spirituels sourires de M. Auber, jusqu'aux mélodies attendries de M. Massé et aux gaietés notées de M. Grisar. On le voit, la revue est complète, la course longue, et pourtant point fatigante, bien au contraire.

A l'histoire anecdotique de l'Opéra et de l'Opéra-Comique, M. Poisot a joint la liste des principaux ouvrages joués sur ces deux scènes depuis leur fondation jusqu'à ce jour, avec les noms des compositeurs et des auteurs du livret, et la date de la première représentation.

L'Histoire de la musique en France se termine par un dernier chapitre intitulé Résumé, Conclusions, Vues d'avenir, où, si l'on écarte

tout d'abord quelques idées spéculatives rares d'ailleurs, plus séduisantes à concevoir que faciles à réaliser, on rencontrera d'excellentes pensées fort pratiques, et qu'il serait bien utile de voir gagner le domaine des faits. Avis à qui de droit.

Pour conclure, à notre tour, sur le livre de M. Poisot, nous nous contenterons de le recommander aux musiciens, dont il doit devenir le vade-mecum, et aux gens du monde qui aiment la musique par goût, par habitude ou par ton; à ces derniers il apprendra, tout en les distrayant, beaucoup de choses bonnes à savoir, et fort généralement ignorées. LEON GODARD.

Les Misères d'un millionnaire, par M. AMÉDÉE ACHARD (1). Le rêve de Jacques Bernard, élevé au milieu des privations de la vie de province, a été de devenir millionnaire. Cette volonté fixe d'arriver à la fortune tout en restant honnête homme, a doublé les forces de son intelligence; son ambition lui donne du courage, et il sait lutter avec énergie contre les premiers revers de la vie. Mais son cœur s'est desséché, tandis que son esprit se berçait de ces projets avides, et le jour où, jeune encore, il a eu à se prononcer entre le bonheur calme d'un amour obscur et les triomphes des grandes spéculations, il a sacrifié, sans hésitation, sans remords, la tendresse d'une femme qui s'était fiée à sa loyauté. Dès lors tous ses projets réussissent, il acquiert rapidement des richesses auxquelles il eût à peine songé dans ses espérances les plus hardies; sa probité a fondé son crédit; mais au même moment commence le châtiment : dans ces sentiments du cœur qu'il a dédaignés, il va trouver son supplice plus son avidité est satisfaite, plus il souffre de ne pouvoir aimer. Sa femme, qui n'a vu comme lui dans leur mariage qu'une association pour des entreprises industrielles, vit à côté de lui dans les vanités d'un monde prétentieux, tandis que toutes les journées du millionnaire s'écoulent au milieu des agitations des grandes affaires. Leurs enfants, abandonnés à eux-mêmes, sans jeunesse et sans candeur, élevés dans l'unique souci des préoccupations positives de la vie matérielle, sont prêts à les abandonner au moindre revers. Le millionnaire a une famille, mais il a surtout un bureau qui l'absorbe tout entier. Ce n'est pas lui qui possède sa fortune, c'est sa fortune qui le possède. Comme il a repoussé l'amour, il est condamné à ne le point rencontrer. S'il se trouve en présence de quelque noble idée ou de quelque généreux élan dont sont incapables ses enfants, habitués à mépriser les sentiments désintéressés, il sent le vide de la vie qu'il s'est

(1) Hachette, éditeur. Paris, 1861.

faite, sans cependant regretter son choix. Quand arrivent les désastres, sa femme n'a pour lui qu'un mot : « Vous m'avez ruinée; » et il se trouve seul dans la disgrâce, comme il sera seul encore lorsqu'il aura recouvré sa fortune. Néanmoins, la fidélité de deux ou trois amis le console parfois, et tempère cet abandon.

Ce caractère est sérieusement étudié et peint avec talent. On finit par s'intéresser aux émotions de cette âme égoïste, punie au milieu des satisfactions mêmes de ses désirs étroits. Il est fâcheux que l'unité et la suite des idées soient interrompues fréquemment par des épisodes mélodramatiques peu propres à satisfaire le goût de lecteurs délicats. Tout en regrettant que ce roman ne soit pas réduit à un seul volume par la suppression de certains chapitres, tels que « Les Campagnes d'un roué » ou le « Profil de femme », nous devons le signaler comme une consciencieuse étude de caractère.

Ce ne sont pas des caractères, ce sont des mœurs que M. DE BRÉHAT a voulu peindre. Un Drame à Calcutta (1) nous décrit, au milieu d'aventures romanesques, la vie des Indes anglaises. On trouve dans ce roman tous les éléments d'un drame des empoisonnements et des crimes cachés, des serviteurs corrompus à prix d'or, des trappes mystérieuses qui engloutissent les méchants, et, comme conclusion, la récompense et le bonheur des gens vertueux. Mais les caractères manquent parfois de vérité, et il est à craindre que les détails de mœurs ne soient pas toujours exacts, comme cela arrive dans le roman du Château de Kermaria (2), où M. de Bréhat a représenté la Bretagne du moyen âge avec ses tournois et l'honneur âpre de ses seigneurs féodaux : la fidélité historique n'est pas scrupuleusement observée. Nous préférons à ce roman, conçu d'après un système littéraire abandonné depuis plusieurs années, la nouvelle qui l'accompagne, Érouann Loctudy, peinture assez fraiche des mœurs des paysans bretons. Enfin M. de Bréhat a raconté la vie des eaux et les plaisirs de Trouville dans René de Gavery (3). Le style. est élégant et facile; il fait accepter avec un certain charme les aventures peu vraisemblables qui compliquent sans cesse le récit. H. F.

Un nouveau Dictionnaire.

Il y a un genre de publications dont tout le monde se sert, sans se rendre compte du temps qu'elles absorbent, de la peine et des dépenses qu'elles entraînent pour ceux qui les

(1) Michel Lévy frères, éditeurs, collection Hetzel. (2) Michel Lévy frères, éditeurs, collection Hetzel. (3) Hachette, éditeur. Paris, 1860.

créent ce sont les Dictionnaires. Nous faisons cette réflexion, qui n'étonnera aucune des personnes initiées aux secrets de la fabrication des livres, à propos de l'excellent Dictionnaire international anglais-français de L. Smith et H. Hamilton, que vient de publier l'éditeur Ch. Hingray, et qui a coûté à ses auteurs dix ans de travail.

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L'Équateur, scènes de la vie sud-américaine, par A. HOLINSKI (1). M. Holinski est un voyageur sans prétention. Il ne se pose ni en savant, ni en économiste, ni en philosophe. Le drame social, dit-il, et les scènes de la vie domestique, sont le seul but de mes études.

J'aime beaucoup cette disposition d'esprit, car elle permet de compter sur la sincérité et la bonne foi de l'observateur. On sent que les réflexions qu'il sèmera au courant de son récit seront les fidèles interprètes de ce qu'il a vu. Le voyage de M. Holinski dans la république de l'Équateur nous a surtout frappé par sa simplicité, son allure facile, un peu trop peut-être. L'auteur n'a pour ainsi dire fait qu'une esquisse. Mais cette esquisse porte en soi une précieuse empreinte de vérité. Voilà pourquoi on se prend à regretter que le voyageur n'ait pas pris la peine d'achever le tableau et de compléter son œuvre. M. Holinski luimême a parfois éprouvé ce regret, notamment après sa rencontre avec un ancien ami et compagnon de Bolivar, Simon Rodriguès. Ce vénérable témoin de la guerre de l'indépendance possédait des lettres du libérateur et des documents importants dont notre voyageur eùt pu tirer bon parti pour ajouter un plus vif intérêt à son voyage. M. Holinski a passé trop légèrement et négligé cette bonne fortune.

Nous sommes d'autant plus portés à blâmer cette insouciance, que M. Holinski est une intelligence nette, un esprit progressif, ami de la vérité et de la lumière. Il a très-bien apprécié les causes qui accélèrent aux États-Unis l'évolution rapide de la société anglo-saxonne et celles qui maintiennent dans l'immobilité ces malheureuses républiques, affranchies par la grande âme et la vaillante épée de Bolivar.

Aux États-Unis, la tolérance en matière religieuse est absolue et complète point de religion de l'État, point de culte exclusif et oppresseur l'instruction populaire est générale, les journaux et les livres sont abondamment répandus jusqu'aux extrémités de l'Union. La cité est ouverte à l'étranger, et il ne tient qu'à lui d'être bientôt élevé au rang de citoyen. Le travail est glorifié, car il est la source de la richesse et fonde l'indépendance de l'individu. Soyez corroyeur, valet de ferme, il n'importe, vos concitoyens feront de vous un sénateur et parfois un président.

(1) 1 vol., chez Amyot, rue de la Paix.

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