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Histoire de la Révolution de 1848, par M. GARNIER-PAGÈS (1). Encore un livre dont nous pouvons parler avant qu'il paraisse, pour avoir eu le privilège de le lire, non-seulement sur les feuilles encore fraîches de l'impression, mais sur le manuscrit même de l'auteur. Le premier volume de cet important ouvrage, impatiemment attendu en France, en Angleterre et en Italie, sera publié dans quelques jours.

En entreprenant d'écrire l'histoire de 1848, l'auteur s'est proposé de remplir un cadre bien vaste, et s'est donné une tâche bien difficile. C'est toujours une épreuve énormément délicate que de parler des drames contemporains en face des témoins et des acteurs de ces drames. Aux qualités indispensables à l'historien, il faut pour faire une œuvre durable dans ces conditions, joindre beaucoup de discernement à une grande générosité de cœur et à une grande élévation d'esprit. L'homme qui raconte les événements auxquels il a pris part, dans lesquels sont engagés ses souvenirs, ses principes et ses espérances, doit, tout en restant fidèle à ses convictions, éviter de faire une œuvre de parti. Il doit, par un effort de courage, s'élever à la véritable équité de l'histoire; être juste envers ses adversaires, impartial en appréciant ses amis, et servir sa cause en respectant les droits imprescriptibles de la vérité historique. M. Garnier-Pagès a mis de son côté toutes les bonnes chances que donnent l'étude et la méditation. Nous qui l'avons vu à l'œuvre, nous savons avec quel soin il a interrogé tous les hommes, contrôlé tous les témoignages, vérifié tous les faits. Jamais enquête ne fut faite plus consciencieusement. Sa participation au gouvernement du pays l'a mis à même de connaître bien des ressorts cachés; son infatigable persévérance a placé dans ses mains bien des documents précieux. Avec de pareils éléments, et sa nature ardente et sympathique pour les mettre en œuvre, il était impossible que M. Pagès ne fit pas un ouvrage digne au plus haut point de l'attention et de l'intérêt du public. La vérité de l'adage « Le style c'est l'homme » se vérifie pour lui plus que pour personne, ainsi que nos lecteurs ont pu en juger par les extraits que nous avons publiés dans la Critique française. Ceux qui connaissent M. GarnierPagès, l'élévation de ses idées, la verve entraînante de ses convictions, la parfaite honnêteté de ses vues, le retrouveront tout entier en lisant son livre.

Le premier volume, qui sera la semaine prochaine sous les yeux du public, est consacré à la révolution d'Italie. Jamais ouvrage ne parut plus à propos. C'est la chaîne des temps renouée. C'est la puissance des

(1) Pagnerre, éditeur.

souvenirs ajoutée aux impressions du moment. Le livre de M. Pagès paraîtra à tous la meilleure préface et le plus éloquent commentaire des événements qui s'accomplissent, et nous ne croyons pas être illusionnés par nos sentiments pour l'auteur en disant qu'à ce titre, aussi bien que pour sa valeur propre, il fera en Europe une grande sensation.

La Rome des Papes, par AUGUSTIN HÉLIE (1). Au-dessus de l'arène brûlante où s'agitent les problèmes du temps, arène qui nous est interdite, voulez-vous lire un livre de haute philosophie et d'histoire sérieuse, parcourez le volume que M. Augustin Hélie a consacré à l'examen rétrospectif de cette grande question de l'union de l'autorité spirituelle avec le pouvoir temporel des Papes. M. Augustin Hélie est placé, par la nature de ses convictions, au point de vue de l'idée religieuse, et c'est dans l'intérêt de cette idée que, chrétien sincère, il signale les dangers d'une alliance contre laquelle l'Église primitive a longtemps lutté. II montre toutes les difficultés, tous les périls que la Rome papale s'est suscités par son immixtion dans les questions politiques; il prouve enfin, l'histoire à la main, que jamais la propagande chrétienne n'a été plus féconde et plus puissante que dans les temps où elle était dégagée de toute influence empruntée au pouvoir temporel.

Le temps nous manque pour insister autant que nous voudrions sur l'ouvrage de M. Hélie. Nous chercherons l'occasion de retrouver sur notre route les développements de sa thèse historique.

En attendant, nous recommandons son livre aux penseurs.

Tout le

Le Mandarin. Mon Village, par JULIETTE LAMBERT (2). monde se rappelle la sensation produite par le livre de M. Proudhon : De la justice dans la Révolution. Une double convenance doit être gardée en parlant de ce livre, qui a été frappé d'une condamnation, mais nous n'avons besoin pour le moment que d'y faire une seule allusion. Dans ce livre, où était préconisée la pensée de l'égalité dans les relations que la vie sociale amène entre les hommes, l'auteur, infidèle à son propre système, plaçait les femmes dans un état de flagrante infériorité. L'injure fut vivement ressentie par une jeune femme, qui se révéla écrivain sous l'émotion des coups portés à son sexe par les lanières du puissant logicien :

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cette jeune femme écrivit une réfutation éloquente, et ajoutons parfaite

(1) Dentu.

(2) Michel Lévy, édition Hetzel.

ment fondée à notre sens. Tout le monde admira la verve énergique, la désinvolture magistrale avec laquelle la fière amazone littéraire défendait les droits des femmes et maniait les abstractions de la langue philosophique.

Depuis elle est rentrée dans l'arène, mais cette fois sans y être provoquée, et pour obéir à une inspiration purement littéraire.

Sous le nom de Juliette Lambert, elle nous a donné deux compositions, le Mandarin et Mon Village.

Mon Village est une série d'histoires picardes, racontées à la veillée, en langage paysanesque. C'est une suite d'entretiens entre de jeunes garçons et de jeunes filles. Le livre a l'attrait de ces sortes de livres, un charme de naïveté ; il en a l'inconvénient, l'absence d'un intérêt sérieux.

Le second ouvrage a plus de prétentions. Le Mandarin dont Juliette Lambert nous raconte l'histoire, est un jeune Chinois qui vient à Paris, avec la permission du Fils du Ciel, étudier les mœurs de l'Occident. On voit la donnée du livre.

Madame Juliette Lambert y a-t-elle bien pensé ?

C'est une concurrence aux Lettres persanes.

Comme critique du temps actuel, il y a dans le Mandarin des choses fines, des aperçus spirituels. Mais le titre et le souvenir de Montesquieu jettent une ombre sur le tableau.

Ces appréciations sembleraient à bon droit sévères, si nous ne nous hâtions d'ajouter que dans ces deux ouvrages on retrouve cette maîtrise de style, cette hauteur élégante de pensée que nous avions signalées dans le premier ouvrage de Juliette Lambert.

C'est un esprit distingué qui cherche sa voie; quand elle l'aura rencontrée, la phalange féminine à la tête de laquelle marche glorieusement George Sand aura fait une précieuse conquête. Nous ne croyons pas nous tromper en voyant de grandes espérances dans ce talent qui s'ignore encore comme direction définitive. ERNEST DESMAREST.

LA CONSOLATION PHILOSOPHIQUE DE BOÈCE, traduction nouvelle avec le texte en regard, et accompagnée d'une introduction, par LOUIS JUDICIS DE MIRANDOL (1). Le traité célèbre de Boèce De la consolation de la philosophie (car c'est là son vrai titre), fait partie de ce petit nombre de livres qui forment le patrimoine intellectuel du genre humain. Le temps, qui fait justice de tous les ouvrages qui ont usurpé l'attention publique, sait respecter ces impérissables chefs-d'œuvre. Une minorité d'élite les lit et les relit pour y puiser, aux heures d'épreuves, les mâles

(1) Hachette, 1861. 1 vol. in-8°.

enseignements de la philosophie. Pendant tout le moyen âge, Boèce, tour à tour revendiqué par toutes les écoles, a été salué du nom de maître par Roscelin, saint Anselme, Guillaume de Champeaux et Abailard. Pour ne parler que de la France, l'ouvrage du philosophe latin compte douze traducteurs. Le dernier paru remonte à 1771, et sa traduction, bien qu'incomplète et inexacte, a été réimprimée il y a une vingtaine d'années dans le Panthéon littéraire.

Boèce est né à Rome ou à Milan en 470 ou 475, car on en est réduit à des conjectures sur ces deux points. C'était un homme du plus rare mérite, et comme orateur il ne connut pas de rival. Appelé à la cour du roi Théodoric, il fut élevé en 510 aux honneurs du consulat. I gouverna avec la plus rigide probité. Aussi, du faîte de la puissance et de la grandeur, il fut tout à coup, par ordre du souverain, précipité au fond d'un cachot. De quel crime s'était-il donc rendu coupable? Boèce nous apprend qu'il fut accusé d'avoir conspiré le renversement de la domination des Goths et le rétablissement de la liberté romaine. Condamné à mort, il fut relégué à Pavie, et pour prison on lui fixa l'enceinte de la ville. C'est là que fut composé le livre célèbre : De la consolation de la philosophie. Quelques mois après, l'empereur Théodoric donna l'ordre de décapiter l'illustre philosophe, qui subit la terrible sentence (525).

La consolation de la philosophie est divisée en cinq livres. C'est presque un poëme en cinq chants, car les vers alternent avec la prose. Si cette dernière se ressent de la décadence qui régnait à l'époque où écrivait Boèce, les vers du moins, bien souvent inspirés d'Horace, sont dignes du siècle d'Auguste. Ce traité est un dialogue entre l'auteur et la Philosophie, à l'imitation des dialogues de Platon. Aussi a-t-on pu écrire avec justesse que la Consolation de la philosophie a été pour le moyen âge » ce que le Phédon fut pour l'antiquité ».

La traduction de M. Judicis de Mirandol est à la fois élégante et fidèle. Parfois seulement la version des poésies en vers français est une longue paraphrase du texte. Je ne pense pas qu'il soit possible de rendre en vers, d'une façon complète, des vers d'une langue étrangère, sans rien retrancher ou ajouter à l'original. La mesure des vers, la nécessité de la rime, sont autant d'écueils contre lesquels viennent se briser l'habileté et le courage du traducteur. Dans une introduction fort étendue et qui témoigne d'un esprit judicieux, M. de Mirandol a, par des recherches savantes, exposé les théories philosophiques de Boèce. Nous y renvoyons les lecteurs désireux de faire plus ample connaissance avec le philosophe latin. Disons toutefois que si Boèce n'est pas

un de ces esprits originaux qui révèlent un génie créateur, il a du moins admirablement résumé les doctrines de ceux qui l'ont précédé. Son livre est un excellent memento des problèmes philosophiques que l'auteur a voulu se retracer à lui-même. A la veille de sa mort, interrogeant tous ses souvenirs, Boèce cherche à résoudre les formidables problèmes que l'esprit humain agite, et qui forment le plus glorieux de ses priviléges.

Franchissons par la pensée bien des siècles à travers l'histoire. Comme du temps de Boèce, un monde ancien va périr le monde de la féodalité et des priviléges. Un des grands esprits du dix-huitième siècle, Condorcet, proscrit et qui se tuera demain, va rêvant à son impérissable Esquisse des progrès de l'esprit humain. Ce sont là de nobles exemples que donne la philosophie. La raison, la froide raison, peut nous inspirer d'héroïques résolutions. Elle nous apprend à ne pas désespérer de nous-mêmes, et à braver les insolences de la fortune ennemie. E. LA RIGAUDIÈRE.

De l'interdiction des aliénés, par M. le docteur H. DE CASTELNAU, dacteur en chef du Moniteur des Hôpitaux. Dire que ceux qui édictent les lois, que ceux qui les appliquent, devraient être, tous et chacun d'eux, docteurs en médecine, ce serait peut-être aller au delà de la pensée de M. de Castelnau; dire qu'ils devraient au moins posséder les éléments de la physiologie, serait certainement ne la rendre que d'une manière incomplète.

Je n'aime point les gens qui médisent de leur profession ou en font peu de cas. Bien qu'il ait renoncé à la pratique de son art, M. de Castelnau n'a pas cessé de lui consacrer tous les efforts de son intelligence et de sa plume élégante et diserte.

Il me semble aller un peu loin quand il proclame la médecine une science positive; il est vrai que par contre il nie énergiquement que le droit en soit une ! Savez-vous pourquoi? C'est que le droit a été créé par des philosophes, au lieu de l'être par des savants; c'est que les lois ont été rendues, modifiées, abrogées d'après les progrès, en avant ou en arrière, de chaque société, au lieu de les devancer, de les dominer, en prenant pour point de départ l'étude de l'homme physique et moral, qui reste le même à toutes les époques et sous toutes les latitudes.

Comme thèse générale, cette doctrine de l'excellent docteur nous paraît singulièrement sujette à la controverse. Mais ce qui est incontestable, ce qui est digne de l'approbation de tous les gens de cœur, ce sont les conclusions qu'il en déduit, quant au point particulier qui fait le sujet de son livre: De l'interdiction des aliénés.

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