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humaine à carapace, une race sexdigitaire. La race nègre serait donc issue du mariage de deux êtres exceptionnels, et se serait développée sous des influences tenant au climat : les esclaves en Amérique subissent d'immenses modifications par l'effet seul des changements de climat : dans un espace de cent cinquante ans, ils ont sous le rapport de l'apparence extérieure franchi un bon quart de la distance qui les séparait des blancs, tandis que par les mêmes causes, l'Anglo-Saxon américain présente au bout de deux générations les traits du type indien qui se rapprochent de l'Iroquois. En appliquant à l'espèce humaine toutes les règles reconnues invariables pour les végétaux et les animaux, l'auteur arrive, par des déductions serrées comme dans une démonstration mathématique, à cette conclusion: L'humanité tout entière ne forme qu'une seule espèce; les groupes qu'on y reconnaît ne sont que des races de cette espèce.

En partant de ce principe, on peut entrevoir l'époque où la face nègre s'effacera absolument en se fusionnant avec la race blanche : que de races déjà ont disparu du monde! Sans aller en chercher des exemples jusque chez les Indiens de l'Amérique, nous en trouvons la preuve dans une savante étude sur les races qui ont peuplé l'Italie (M. Ern. Boltain, Revue contemporaine). Où retrouver les Pélasges, les Ombriens, les Ligures, les Étrusques, les Osques, qui tous avaient des caractères si tranchés, des types si opposés?

Mais où sont les neiges d'antan?

Si toutes les nations qui ont contribué à peupler l'Italie ont fini, après plusieurs siècles d'isolement et de lutte, par passer sous le même niveau, c'est qu'il y a au monde quelque chose de plus fort, de plus énergique ou de plus actif que les qualités naturelles d'un sol, d'un climat, d'un individu, d'une race, par exemple, ce génie politique dont Rome a été douée au suprême degré, et qui ne manque pas aux Italiens de nos jours.

Comme on le voit par ces courtes analyses, les principaux articles des Revues ont été depuis un mois consacrés à des questions politiques ou scientifiques: si l'on n'y prend garde, les discussions pratiques et les intérêts engagés partout arrivant à absorber toutes les intelligences, ne laisseront plus assez de place aux travaux de la philosophie, de l'histoire et de la littérature.

T. CAMPENON.

P. S. Nous ne pouvons qu'indiquer dans le Correspondant, la Diplomatie française en 1860, les Derniers voyages au cap Nord, et, dans

la Gazette des Beaux-Arts, deux excellents articles, illustrés de gravures fines et précieuses, sur les dessins de M. Ingres et la gravure à l'eau forte; c'est de la critique d'art sous la forme la plus agréable et en même temps la plus savante.

LES LIVRES.

LITTÉRATURE FRANÇAISE.

Une Encyclopédie au dix-neuvième siècle. En commençant ce mois-ci notre revue des livres, nous avons une grande nouvelle à annoncer à nos lecteurs, c'est qu'on prépare une encyclopédie.

Une encyclopédie! dira-t-on, c'est une entreprise bien hardie. Il parait cependant qu'il s'est rencontré un éditeur, des hommes de lettres, et ce qui est plus extraordinaire un banquier, que cette entreprise n'a point effrayés. Nous les en félicitons.

L'éditeur serait M. Gide. Parmi les littérateurs, on nous a cité tout le monde, et entre autres M. Charles Duveyrier. Les banquiers, à qui cette initiative fait grand honneur, seraient les frères Pereire.

Personne ne contestera qu'une encyclopédie ne soit dans le goût et les idées de ce temps. Elle arriverait d'ailleurs on ne peut plus à propos.

Malgré l'éclat qu'a jeté sur l'Encyclopédie du dix-huitième siècle la collaboration de Voltaire, de Diderot, de d'Alembert, on ne peut se dissimuler que cette Encyclopédie n'est plus au niveau des sciences qui ont fait des progrès, des idées qui se sont élancées vers des horizons plus larges.

Refaire l'Encyclopédie est donc à nos yeux une grande idée. Mais à côté de cette idée, il y en a une autre qui paraîtrait plus grande encore. Pourquoi ne pas faire une encyclopédie européenne?

Les patrons de la nouvelle encyclopédie ont l'intention de ne point être exclusifs, de s'élever au-dessus de l'esprit de coterie et des passions de partis. Ils ont l'intention même, nous assure-t-on, de demander des travaux à des correspondants étrangers.

C'est déjà bien, mais ce n'est pas assez.

Quand nous disons qu'il faut faire une encyclopédie européenne, nous n'entendons pas seulement qu'elle embrasse dans son cercle l'examen de toutes les questions qui intéressent l'Europe et qu'elle compte des étrangers au nombre de ses écrivains, nous entendons déposer dans le

berceau même de l'affaire, et au point de vue des moyens d'exécution, le principe d'une action collective et internationale.

Pour préparer une pareille œuvre, il faut une commission. Nous voudrions que cette commission fût composée de Français, d'Anglais, d'Italiens, d'Allemands, d'Espagnols, de Russes, d'hommes enfin appartenant à toutes les nationalités de l'Europe.

La politique tient ses congrès, pourquoi la science ne tiendrait-elle pas les siens?

Pour mener à bien une pareille œuvre, il faut un capital considėrable. Nous voudrions que ce capital fût fourni par des banquiers et des souscripteurs de tous les pays.

Les études morales, littéraires, scientifiques, aujourd'hui ne doivent plus connaître de frontières. Aveugle qui ne voit pas que le grand caractère de ce temps-ci, c'est le rapprochement entre les nations. Avec les chemins de fer, la vapeur et le télégraphe, il n'y a plus de distance. Pourquoi les lettrés n'useraient-ils pas dans l'intérêt de la science de ces facilités dont usent les curieux qui voyagent pour leurs plaisirs et les commerçants qui voyagent pour leur négoce?

L'esprit français a de grandes ressources; il excelle à vulgariser les connaissances; mais pour faire l'Encyclopédie du dix-neuvième siècle, la France a-t-elle l'orgueil de croire qu'elle ne serait pas puissamment aidée par les aptitudes diverses de l'Allemagne, de l'Angleterre, de l'Italie et des autres groupes de la famille européenne?

Si cette idée vous semble une utopie, n'en parlons plus; mais si elle était jugée réalisable, que d'avantages ne présenterait-elle pas!

L'encyclopédie que veulent faire MM. Gide, Duveyrier, Pereire, vaudra mieux, grâce aux progrès accomplis depuis soixante ans, que celle qu'elle est destinée à remplacer.

Je le concède, quoique nous n'ayons plus Voltaire.

Mais enfin ce sera une encyclopédie comme toutes les autres, tandis qu'une encyclopédie européenne dans les conditions que j'indique, nationalisée pour chaque pays par un système de traductions réciproques, serait une œuvre absolument nouvelle.

Ce que vingt personnes peuvent faire pour la France, l'Angleterre, etc., pourquoi deux cents personnes, réunissant leurs efforts, ne le feraientelles pas pour l'Europe tout entière?

L'heure est favorable.

L'œuvre de démolition accomplie en France par la révolution de 1789 et ses développements, est bien avancée en Europe. Il s'agit de reconstruire. Or, comment reconstruire, dans toutes les branches des con

naissances humaines, sans prendre ses matériaux un peu partout? Qu'est-ce, après tout, qu'une encyclopédie? Une grande enquête ouverte dans le monde des faits et des idées.

Au temps où nous vivons, est-il possible de n'étudier les idées et les faits que dans un seul pays? Les nations ne sont-elles pas toutes solidaires les unes des autres?

Si vous généralisez l'enquête (et vous ne pouvez pas songer à faire autrement), quel moyen meilleur que de la confier à des collaborateurs de chaque langue, sauf à centraliser ensuite les résultats?

Prenez deux exemples entre mille les questions industrielles et les questions d'organisation judiciaire.

Quelles lumières n'apporteraient pas des commissions savantes internationales, qui aboutiraient à un travail synthétique sur chacun de ces deux ordres de questions?

Nous verrions dans une encyclopédie européenne un autre avantage : ce serait d'élever l'œuvre à une hauteur telle que les querelles de partis ne pourraient y atteindre.

Utopie! dira-t-on. C'est possible. Nous ne nous dissimulons aucune des difficultés de l'idée que nous mettons en avant.

Cependant nous avons vu s'accomplir de notre temps des choses si extraordinaires, qu'il ne faut pas se hâter de crier à l'impossible.

On a bien fait des expositions universelles des produits de l'industrie; pourquoi ne ferait-on pas un inventaire universel des produits de la pensée ?

La Province, par M. ÉLIAS REGNAULT (1). Nous devons à la bienveillante communication de l'auteur le plaisir d'avoir lu en épreuves cet ouvrage, destiné, si nous ne nous trompons, à faire une vive impression sur les esprits attentifs à la marche des événements et au progrès des institutions. Ainsi que nous le pressentions dans notre dernier article, la question est posée dans des termes très-nets, mais avec une grande modération de vues. M. Élias Regnault est un adversaire de la centralisation telle qu'elle existe. Mais il ne veut pas la proscrire en principe. Il se contente de la réglementer, en en diminuant dans de larges proportions les excès. « Il y a une grande différence entre décentraliser, dit-il, et imposer des limites à une centralisation excessive. »

La lecture rapide que nous avons faite de ce remarquable ouvrage ne nous permet pas d'en donner une analyse complète, mais elle nous permet d'en apprécier la donnée générale.

(1) Pagnerre, éditeur.

Dans un rapide coup d'œil sur le passé de la question, l'auteur établit que la royauté en France a constamment travaillé à détruire les libertés provinciales. Ce n'est pas la révolution, c'est la monarchie qui a préparé la centralisation administrative. M. Regnault reconnaît que cette centralisation a contribué à fonder l'unité politique. Il se félicite de ce résultat, mais aujourd'hui que cette unité existe, il croit qu'il est possible, sans la détruire, de rendre des garanties à l'indépendance des provinces. La royauté, dit-il, a brisé toutes les résistances, et établi son omnipotence sur une sorte de poussière humaine. Que faut-il aujourd'hui? recueillir cette poussière, pour y chercher des éléments de reconstruction et en composer des corps administratifs non pas hostiles à l'unité, mais régulièrement reliés entre eux de manière à fonder la liberté générale sur les libertés particulières.

La révolution, en détruisant les anciens noms des provinces, a fait une œuvre sage, dont l'utilité est aisément comprise en se reportant aux nécessités du temps; il ne s'agit pas aujourd'hui de refaire la France gothique avec ses priviléges de toutes formes et de toutes mesures: il s'agit de faire une France moderne, où la vie politique équitablement répartie, hiérarchiquement subordonnée sous la surveillance centrale, puisse créer partout des foyers concentriques d'activité intellectuelle. Après cette partie critique, l'auteur entre résolument dans les idées organiques de son système. C'est toujours là pour les novateurs l'œuvre la plus difficile. M. Élias Regnault s'en tire avec autant de bonheur que de hardiesse. Il propose une nouvelle division administrative qui consisterait à diviser la France par communes, par cantons, par départements et par régions. Dans son système, comme on le voit, les arrondissements disparaissent. Sur cette base, qui forme les assises de son édifice, M. Élias Regnault le complète par une vaillante étude du budget, dont il discute successivement tous les chapitres, en déterminant ceux qui doivent être rendus à la vie fractionnaire et ceux qui doivent rester dans le domaine de l'action centrale.

Dans la troisième partie de son livre, l'auteur reprend en détail l'histoire de nos anciennes libertés provinciales. Cette partie n'est ni la moins curieuse ni la moins instructive.

Nous ne nous croyons pas quitte envers ce livre par cette analyse rapide. Nous y reviendrons plus d'une fois, et nous indiquerons comment il pourrait, dans notre pensée, devenir la base d'une élaboration éminemment profitable.

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