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compétiteur le plus dangereux. Or la Ligue ne lui offrait plus d'armée après l'exaspération qu'on avait montrée pendant le siége de Paris, le zèle religieux commençait à s'assoupir. Comme Henri IV ne trouvait plus de protestants pour combattre sous ses ordres, Mayenne n'avait plus de ligueurs telle était la lassitude générale et tel l'épuisement causé par les guerres locales, que la France ne fournissait plus de soldats aux chefs de partis. La passion religieuse qui avait alimenté si longtemps la guerre civile ne pouvait plus mettre les armes dans les mains du peuple. Ce sont des étrangers qui combattent pour le choix du maître. Et Mayenne aussi a recours à l'étranger. On cherche la France et on ne la trouve plus voici des villes françaises défendues par des garnisons espagnoles en voici d'autres assiégées par des Anglais. Ces interventions étaient humiliantes: Mayenne ne reçut l'armée et les subsides du duc de Parme qu'en s'engageant à faire nommer la sérénissime infante, Isabelle-Claire-Eugénie, royne souveraine et royne propriétaire du royaume de France.

Alors commença la campagne de Normandie, où ces deux habiles généraux, Henri IV et Farnèse, épuisèrent leurs armées l'une contre l'autre. Le duc de Parme s'enfuit mourant et vaincu aux Pays-Bas, mais le roi sembla plus maltraité encore par sa victoire même. Cette armée, qu'il avait levée avec tant de peine comme une dernière ressource, était presque détruite par l'insuccès du siége de Rouen et les combats à Caudebec et à Yvetot.

En cet instant, il semble vraiment perdu. Incapable de continuer la guerre, voyant les Espagnols maîtres de Paris et des plus fortes places, de toute la Bretagne, de l'Anjou et de la Provence, tandis que d'Épernon en Languedoc, la Chastre dans le Berri, d'Elbeuf dans le Poitou, Nemours dans le Lyonnais, Balagny à Cambrai, s'étaient érigés en souverains indépendants avec des subsides de Philippe II ou du duc de Savoie, Henri semblait ne devoir plus être que le spectateur de la lutte entre Mayenne et le roi d'Espagne. Il fit un effort pour se rattacher au premier, et essaya de traiter avec les seigneurs de la Ligue. Leurs propositions furent naïves ils demandèrent qu'on leur partageât la France et

que chacun restat souverain héréditaire dans son fief. - Du peuple il ne fut pas question : c'était à lui d'attendre que ses maîtres choisissent entre la féodalité ou la conquête espagnole. Les gentilshommes trouvaient leur compte dans les deux cas ils étaient sùrs d'avoir des terres, des pensions et des honneurs. Il faut rendre cette justice au roi qu'il refusa ces scandaleuses conditions. Mayenne résolut alors de transiger avec l'Espagne, et convoqua les états généraux à Paris (janvier 1593).

IV.

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Philippe II parut en ce moment si sûr de sa conquête, qu'il sembla la marchander, et refusa une partie des sommes que demandaient le duc de Feria et l'ambassadeur Mendoza pour corrompre les députés ligueurs aussi, après avoir cherché à détruire l'influence de Mayenne, le parti espagnol dut bientôt se rallier à lui. Le duc de Feria fit successivement trois propositions: la première, celle de l'ancien traité avec Mayenne, de reconnaître l'infante Isabelle reine propriétaire de la France: la seconde, qu'il offrit aux parlementaires, pour éluder la loi salique, de désigner l'archiduc Ernest et l'infante Isabelle souverains du royaume. Enfin, il fit adopter par les états (le 20 juin), sa troisième proposition du mariage de l'infante avec un prince français, et les états émirent ce vou, qui fut récompensé le lendemain par une distribution de doublons : « S'il plaisoit à Vostre Majesté Catholique » avoir pour agréable le choix qui sera faict de l'ung de nos prin» ces pour estre roy, et l'honorer de tant pour le bien de la chres» tienté et de ce royaume que de lui donner en mariage la » sérénissime infante sa fille. »

C'était son fils que Mayenne voulait faire élire: mais le Parlement de Paris, quoique l'on eût exilé ou fait périr les plus honnêtes de ses membres, déclara nul tout acte fait ou à faire pour l'établissement de prince ou princesse étrangers; en même temps Henri IV, dans son camp de Saint-Denis, se déclarait prêt à entrer dans l'orthodoxie catholique.

Ces deux coups frappaient vivement Mayenne néanmoins il

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disposait de la presque totalité des 130 membres des États : les partisans protestants du roi s'irritaient de le voir quitter la religion réformée, et se séparaient de lui, tandis que les catholiques de son armée paraissaient se rattacher à la Ligue, où l'on s'efforçait de les attirer dans les conférences de Suresnes. Cependant on était las de la guerre partout, et les armées espagnoles restaient seules en état de tenir la campagne. A grand'peine, et avec un emprunt fait au duc de Toscane, Henri IV conservait 4,000 hommes autour de lui. Il était plus délaissé que le roi de Bourges pendant le siége d'Orléans.

Le duc de Feria cependant ne voyait pas sans inquiétude l'influence de Mayenne, et voulait lui opposer la candidature du jeune duc de Guise, le fils du martyr. A travers toutes ces intrigues, Mayenne conclut une trêve avec le roi, et congédie les états généraux. Henri choisit ce moment pour prononcer son abjuration.

V.

Ces deux rivaux étaient à bout de ressources. Les garnisons espagnoles se multipliaient en France; la proie s'offrait d'ellemême au vieux Philippe II. Il fallut un miracle, disait plus tard le duc de Rohan, pour sauver la France de la conquête.

Ce miracle, d'où vint-il?—d'où viennent presque tous les miracles en histoire, d'une inspiration populaire.

Le 18 septembre 1593, les bourgeois de Lyon forment des barricades, attaquent les gens d'armes du duc de Nemours, s'emparent du château de Pierre-Encize, et font prisonnier le duc lui-même et ses courtisans. Puis ils s'arrêtent dans leur victoire; administrés par leur archevêque, indépendants eux-mêmes de tous les partis, ils se contentent d'être libres et Français, et attendent sous les armes le moment de se rattacher à l'unité nationale. Cet exemple n'est pas isolé. Toulon, Digne, Tarascon, Aix et toute la Provence repoussent les soldats et les étrangers qui les dominent, et se rattachent franchement et immédiatement à celui qui porte le titre de roi de France: elles proclament Henri IV. Le mois suivant, la ville de Lyon, trahie par son archevêque

d'Espinac, se lève de nouveau en criant : Vive la liberté française! et demande un gouverneur au Roi.

Et Paris?

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« O Paris, qui n'es plus Paris, mais une spelunque de bestes >> farouches, une citadelle d'Espagnols, Wallons et Neapolitains : » un asile et seure retraicte de voleurs, meurtriers et assassina>>teurs, ne veux-tu jamais te ressentir de ta dignité, et te souveque tu as esté au prix de ce que tu es, ne veux-tu jamais te >> guarir de cette frénésie qui pour un légitime roy t'a engendré cinquante roytelets et cinquante tyrans? Te voyla aux fers, te » voyla en l'inquisition d'Espagne, plus intolérable mille fois et plus dure à supporter aux esprits nez libres et francs, comme » sont les François, que les plus cruelles morts dont les Espagnols » se sauroyent adviser... tu endures qu'on pille tes maisons, qu'on te rançonne jusques au sang, qu'on emprisonne tes s na>>teurs, qu'on chasse et bannisse tes bons citoyens et conseil>>lers qu'on pende, qu'on massacre tes principaux magistrats : >> tu le vois et tu l'endures : tu ne l'endures pas seulement, mais » tu l'approuves et le loues, et n'oserois et ne sçaurois faire autre» ment!" (1).

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Paris se réveille aussi. Le 22 mars 1594, le peuple de Paris court aux armes sous la direction du prévôt des marchands Lhuillier, des échevins Langlois et Néret, des conseillers Lemaistre, du Vair, Damours, et il introduit sur trois points à la fois de la rive droite les 4,000 hommes de Henri IV, qui pénètre luimême dans la bonne ville. Le mouvement, dirigé avec précision suivant un plan arrêté quelques jours auparavant, dans une réunion secrète chez le prévôt des marchands, fut achevé en quelques heures, sans effusion de sang. Tel était l'accord universel, que le roi semblait rentrer paisiblement dans sa capitale au milieu des acclamations de ses sujets. La ville de Paris se prononçait avec vigueur et avec unanimité en faveur de l'unité française d'un élan spontané, elle désignait et appelait son roi, lasse enfin des prétentions et des intrigues qui s'agitaient depuis si longtemps (1) Satire Ménippée, Harangue de Daubray.

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dans son sein. Elle tendait la main à ce prince, comme Lyon et la Provence, au moment où son parti semblait ruiné.

A dix heures du matin, le roi avait entendu un Te Deum à Notre-Dame, et il avait occupé le Louvre sous la protection de la garde bourgeoise. Les Wallons étaient bloqués dans leurs quartiers et les Napolitains assiégés dans la porte Bussy. A trois

heures ces étrangers avaient capitulė, et ils défilaient par la porte

Saint-Denis. « Adieu, messieurs, leur dit le roi, qu'ils saluaient, » mais n'y revenez plus.

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Ce coup prodigieux et inespéré rétablit merveilleusement la fortune de Henri IV: sur tous les points de la France le peuple se rallie à cette force centrale si subitement restaurée, et proclame son roi. Partout les Espagnols sont expulsés, on leur court sus, on se dégage d'eux comme par enchantement. Ce fut comme une insurrection générale et un enthousiasme pour l'unité monarchique. La révolte de Marseille acheva ce vaste mouvement national Pierre de Libertat, aidé des colonels et des capitaines de la ville, soulève le peuple, fait mettre bas les armes à Louis d'Aix, qui occupait la ville, et délivre Marseille, malgré la garnison et la flotte espagnoles.

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Henri IV devenait, de fait comme de nom, le roi de la France.

VI.

La conscience de la nationalité, la haine de l'oppression étrangère, le dégoût pour toutes ces tyrannies locales par lesquelles les seigneurs de la Ligue étaient prêts à renouveler la féodalité, le dépit de se voir maintenu dans l'impuissance et dans les souffrances de guerres et de pillages interminables, avaient évidemment produit cette merveilleuse révolution. Ce peuple, penché sur le précipice, se redresse tout à coup et se sauve lui-même en se serrant hardiment autour du représentant de ses traditions : c'est un beau spectacle, et, chose curieuse, après deux cent soixante-six années, il est encore possible aujourd'hui d'assister à cette résurrection, de voir palpiter le cœur de ce peuple. Il y a un témoin vivant de cette époque, qui garde le secret de la passion patriotique qui a déterminé le prodigieux réveil de la na

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