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revues les articles qui, à nos yeux, ont le plus de valeur et méritent le mieux un examen sérieux, sont une appréciation de Lamennais dans la Revue des Deux-Mondes et un travail de M. de Pontmartin, dans le Correspondant, sur M. Sainte-Beuve.

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M. Sainte-Beuve a publié récemment deux gros volumes sur Chateaubriand, et son groupe littéraire sous l'Empire. Après avoir longtemps glorifié sur tous les tons l'auteur du Génie du Christianisme, quand la société dont il était le centre avait voix prépondérante à l'Académie française, après avoir même trouvé le moyen de louer la très-faible Vie de Rancé, M. Sainte-Beuve fait brusquement volte-face et rapetisse Chateaubriand pour se punir de l'avoir grandi. Nous sommes trèsimpartiaux dans le débat et il peut se faire que toutes les accusations, tous les reproches formulés par le Critique du lundi soient parfaitement fondés; mais nous trouvons, avec M. de Pontmartin, que cette palinodie est trop violente. Tout le monde peut dire ce que croit M. SainteBeuve, lui seul devrait se borner à le penser. S'il a voulu prouver qu'il avait l'indépendance du cœur, il est tombé dans l'excès.

M. de Pontmartin indique finement toutes les nuances des variations de M. Sainte-Beuve. Il est modéré, et ses conclusions n'en ont que plus de force. A ses yeux, et il a raison, — M. de Chateaubriand a, du reste, jusqu'à un certain point, autorisé la malveillance à fouiller dans sa vie en livrant lui-même ses secrets les plus intimes à la publicité. Il y a telle page du livre de M. Sainte-Beuve qui eût été impossible, si telle autre page des Mémoires d'outre-tombe n'existait pas. » Le souvenir de ces noms littéraires qui ont pris soin de faire eux-mêmes tant de bruit autour de leur gloire, nous amène à parler, à titre de contraste, de ces poëtes modestes qui s'éteignent dans l'ombre, comme Maurice de Guérin, dont M. Caro apprécie les œuvres posthumes dans la Revue européenne. C'est un jeune homme mort il y a vingt-deux ans, et maintenant bien inconnu il avait lu à quelques amis les vers qu'on vient de publier enfin, et qui avaient naguère excité l'admiration de Lamennais et de George Sand. M. Caro les met successivement en lumière, et, pour notre part, nous comptons revenir sur l'œuvre si éminemment remarquable de ce poëte si digne d'avoir

un nom.

Quand on voit combien il est difficile, non pas seulement de vivre par les lettres, mais de conquérir dans les lettres une place, même la plus humble de toutes, il faut admirer le courage de ceux qui essayent la voie, et nous signalons à ce titre l'heureuse tentative faite à

Liége par les rédacteurs de la Belgique contemporaine. Dans ce recueil tout nouvellement créé, il y a de bons travaux, entre autres une sérieuse étude sur l'autonomie des Pays-Bas au seizième siècle, signée : Haussens. En France aussi, à côté des anciennes publications déjà si nombreuses, il s'en crée chaque jour de nouvelles, et nous avons trouvé dans la première livraison des Archives de la Théologie un examen critique du système de M. Renan sur Job, qui a de la valeur même pour ceux qui ne sont rien moins que théologiens.

Nous ne saurions terminer cette chronique sans remercier la Revue germanique des termes bienveillants dans lesquels elle nous a souhaité la bienvenue au grand jour de la publicité. Il est bien à ceux qui ont réussi de tendre la main à ceux qui commencent.

T. CAMPENON.

LES LIVRES.

Les bons livres, ces grands ouvrages compactes, sérieux, qui se font en plusieurs années et qui se lisent lentement, sont aujourd'hui comme toujours une précieuse exception. Les romans, même en plus d'un volume, deviennent rares. On ne les connaîtra bientôt que par ouï dire, comme quelque chose d'antédiluvien. En revanche, les productions légères, les petits volumes formés avec des articles de journaux et gonflés de feuilles blanches, les brochures qui sont des articles mis en pages abondent. Le roman fait place à la nouvelle, l'histoire complète à l'épisode historique, l'étude d'une époque aux monographies.

Nous venons de recevoir un volume de 300 pages très-espacées, qui avoue franchement ce qu'il est, en disant ce qu'il n'est pas. Ceci n'est pas un livre, tel est le titre choisi par M. Alcide Dusolier (chez Poulet-Malassis). Ce n'est pas un livre, en effet, ce sont de petites nouvelles à la main, des lettres de polémique à M. About ou à M. Sarcey, et des articles sur le réalisme, déjà publiés dans le Figaro, qui portent bien le cachet spirituel de leur provenance, mais qui sont dépaysés sous leur enveloppe jaune. L'auteur, qui pouvait prétendre à mieux, professe une vive admiration pour M. Vacquerie, et appartient à l'école du regrettable Henri Murger, école qu'il appelle un peu sévèrement un hôtel de Rambouillet.

M. Hector Malot, qui vient de publier les Amours de Jacques (1), déjà édités dans l'Opinion nationale, n'est pas de cet hôtel de Ram(1) Michel Lévy, éditeur.

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bouillet i peint franchement et complétement la réalité, mais sans chercher de préférence la peinture de ce qui est trivial. Il analyse surtout les sentiments secrets, la marche progressive d'une passion. Son livre est une étude psychologique, pleine de poésie et de charme, pleine de détails intimes d'une exactitude saisissante. Il appartient à ce que j'appellerais volontiers en littérature l'école de Rouen, dont M. Gustave Flaubert, son compatriote, est le chef, mais il a son genre à lui. Il décrit moins minutieusement les lieux, les choses, les personnages, et fait plutôt l'étude des pensées, des mouvements de l'âme. C'est un romancier spiritualiste, et quoiqu'il ne soit point arrivé à une reproduction de la réalité aussi admirablement exacte que celle qui donne tant de valeur à Madame Bovary, il a pris dans l'homme le bon côté, et parmi les romanciers modernes une place importante.

Quant à madame Sand, elle a certainement la plus haute place, et chaque nouveau roman d'elle est mieux frappé au coin d'une imagination vive et éternellement jeune. Ce ne sont plus de ces longs récits où la philosophie avait tant de place, où se développaient des théories sociales; ce sont de courtes et charmantes nouvelles dont on suit la trame spirituelle avec un inépuisable plaisir. Nous venons de relire le Marquis de Villemer (1), déjà imprimé dans la Revue des Deux-Mondes, et nous y avons retrouvé tous les caractères du genre que madame Sand a adopté depuis quelque temps, et qui a tant d'analogie avec celui de Walter Scott, par la franchise des physionomies, par la fraîcheur des peintures, par la robuste honnêteté des conceptions. Nous ne regrettons qu'une chose, c'est le prix trop élevé de ces livres, que tant de personnes voudraient avoir et ne peuvent acheter.

Il y a vingt ans que la librairie a essayé avec succès des publications à bon marché : les livraisons à 20 centimes, les livres à 1 franc ont fait la fortune de bien des éditeurs; on a reconnu qu'il valait mieux tirer un roman à 5,000 exemplaires et le vendre à 20 sous, que de le tirer à 1,500 et le vendre à 3 francs. Grâce à cette réforme, les livres sont devenus une nécessité pour bien des gens qui ne les avaient presque considérés pendant longtemps que comme des objets de luxe. Nous croyons que la voie nouvelle était bonne, que c'était un progrès, et que toute tentative faite pour revenir aux publications plus chères ne peut être que momentanée et malheureuse.

On vient de publier dans la Bibliothèque des chemins de fer les Conférences de l'Association polytechnique, et nous adressons le même re(1) Michel Lévy, éditeur.

proche à ce petit volume de 170 pages, rédigé et publié par M. E. Thévenin il coûte 1 franc. C'est bien peu, sans doute, pour les gens du monde, qui apprendront d'excellentes choses en lisant des leçons de M. Babinet sur la matière, l'espace et le temps tels que la science et l'observation nous les montrent,— un cours de M. Ph. Chasles sur tous les prodiges réalisés par l'homme à l'aide de sa seule volonté ; — une étude de M. Barral sur les progrès de l'agriculture, un excellent résumé de M. Perdonnet, embrassant toute l'économie des chemins de fer; mais un tel livre comme de telles leçons doivent s'adresser surtout aux ouvriers, à ceux qui ont le plus besoin d'acquérir des notions exactes et simples sur toutes les grandes questions que soulève l'industrie ou que résout la science, et pour un public semblable, aussi nombreux et aussi intéressant, il faut atteindre la limite extrême du bon marché.

Un écrivain qui entre dans la carrière littéraire à l'âge des illusions et des enthousiasmes, M. Louis Depret, vient de publier une touchante nouvelle, Rosine Passmore (2). La donnée est la plus simple du monde. C'est l'histoire d'un jeune Français envoyé chez un pasteur anglais pour terminer ses études, et qui devient éperdument amoureux d'une danseuse de Londres, restée pure au milieu de ce monde de théâtre si facile aux entraînements et aux séductions. Le lendemain même du jour où le roman des deux amoureux est arrivé au dénoûment, qui doit, selon eux, remplir toute leur existence, le tuteur survient et emmène son pupille. La maîtresse, accablée par ce mal que nos voisins, qui sont moins positifs qu'ils n'en ont l'air, appellent un cœur brisé, quitte le théâtre et part pour l'Amérique, où elle devient la proie de la misère et du désordre. Son amant cherche, sans y réussir, à oublier son rêve de bonheur évanoui. Il perd son tuteur, dont la succession le fait riche. C'est alors qu'il apprend les conséquences que son abandon a entraînées pour celle qu'il aimait. Il meurt de chagrin, mais non sans avoir eu la précaution de léguer toute sa fortune à Rosine Passmore.

Sur ce fond presque naïf à force de simplicité, M. Louis Depret a brodé de charmantes arabesques, et ce qui nous impressionne favorablement pour l'avenir du jeune écrivain, c'est que le style de cette petite nouvelle est plein de charme contenu, d'élégance et de fraîcheur.

C'est un plaisir pour nous de signaler les Originaux et beaux esprits de l'Angleterre contemporaine, par M. FORGUES (1). On trouve dans ces deux volumes la peinture exacte de tous les caractères marquants par leur singularité dans la littérature et dans la société an→ (1) Charpentier, éditeur.

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(2) Dentu, éditeur.

glaises Lewis, l'auteur du Moine; Brummel, le dieu des dandies; Théodore Hook, l'ami de George IV et le fondateur de John Bull; O'Connell, avocat d'assises et orateur de meetings; Grimaldi, ce clown classique; Bulwer, le romancier qui introduisit en Angleterre le genre nouveau trouvé en France par Eugène Suë; George Borrow, le plus singulier des humoristes; Tennyson enfin, le plus anglais des poëtes anglais par sa tournure et le plus français peut-être par ses inspirations. Nul ne connait mieux que M. Forgues tout ce qui s'imprime, tout ce qui se passe de l'autre côté du détroit, et dans ce livre il y a une exactitude, une vérité, une science de la vie anglaise qui en font un ouvrage précieux et en même temps amusant. Tous ces humoristes ont les aventures les plus étranges, les plus singulières, les plus romanesques.

Nous devons remercier M. Alexandre Weill, qui vient de publier une seconde édition de son Histoire de la grande guerre des Paysans (1), d'avoir reconnu tout ce qu'il devait à un historien allemand, Zimmermann. Celui qui met en œuvre les matériaux amassés par un autre n'en a pas moins tout le mérite et toute la gloire s'il rend intéressant par la forme, instructif par les déductions, le récit d'un grand fait historique. M. Weil a trouvé dans la Guerre des Paysans tous les principes, tous les germes, toutes les luttes de la Révolution française. On sait qu'au commencement du seizième siècle des révoltes éclatèrent parmi les anabaptistes de l'Alsace, et que Thomas Munzer fut à la fois l'apôtre et le chef des révoltés; mais ce qui jusqu'ici n'avait pas été suffisamment indiqué, c'est le caractère politique de cette insurrection. « Bientôt il ne s'agit plus de Rome, de ses évêques, de ses marchands d'indulgences, mais bien des droits naturels et imprescriptibles des cultivateurs en opposition avec les droits soi-disant seigneuriaux. Ce fut une lutte régulière contre la noblesse, et pendant qu'en France la royauté elle-même frappait sur l'aristocratie, en Allemagne ce fut le peuple qui la terrassa; mais, en véritable Samson, ce peuple s'enterra lui-même sous les ruines de l'édifice. » Sans nous arrêter aux théories religieuses, qui semblent dans ce livre toutes protestantes, et à ses inspirations politiques, qui semblent toutes libérales, nous devons rendre pleinement justice au service qu'il nous a rendu en mettant en lumière cet épisode grandiose de l'histoire moderne.

Les anabaptistes ont trouvé en M. Weill un historien enthousiaste, et ce n'est pas pour une cause éteinte qu'il a écrit, car un livre de M. Alfred Michiels, les Anabaptistes des Vosges (1), nous apprend qu'il existe (1) Poulet-Malassis, éditeur.

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