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furent les véritables soutiens de l'entreprise. Ce nouvel age durera-t-il dix ans, cent ans, mille ans? Sera-t-il appelé âge de la liberté et de l'indépendance conquises, ou bien seulement (je ne le crois pas, et fasse le Dieu clément qu'il n'en soit pas ainsi!) âge des tentatives inutiles d'indépendance ou de liberté? Je l'ignore, mais ce que je sais... c'est que les révolutions (je ne dis pas les conspirations) qui ont pour but la liberté, peuvent pour un temps revenir sur leurs pas, mais non s'arrêter.... Un âge de servitude serait moins impossible qu'un âge de docile servilité ou de prépondérance. Celle-ci est finie désormais.... » Et jetant un regard sur l'Europe moderne, il dit : « L'Europe est constituée, il est vrai, à l'Occident, mais l'est-elle à l'Orient? Ne sera-t-elle pas remaniée de ce côté d'une manière quelconque ? Par la chute des Turcs, ou par l'envahissement des Slaves, ou par la dissolution des deux empires? Mais tout cela importe peu si nous savons être prêts, c'est-à-dire être unis. »

Le comte Balbo est mort avant d'avoir vu tout ce qu'a fait l'Italie pour conquérir l'unité, et, grâce à lui peut-être, elle s'est trouvée prête. Pour apprécier toute la valeur de ce livre, il faut le lire en entier : il a un attrait puissant. Quand chaque jour apporte un fait de plus à l'histoire, il est bon de rapprocher les événements contemporains des événements passés, et de tenter une synthèse quand le journal du matin nous donne tous les éléments d'une analyse. C'est à cette condition seulement que le temps, dans son cours fécond, réalise, en accumulant les mois et les années, les éléments que chaque jour prépare, avec les solutions que l'avenir tient en réserve.

ANDRÉ VINCENT.

CHRONIQUE GÉNÉRALE.

LES REVUES.

Ce que nous cherchons à signaler dans les revues, ce ne sont pas des articles, mais des idées; nous ne pouvons en quelques lignes analyser de longues pages, tandis qu'en peu de mots il est facile de préciser un but, de résumer un système. La Revue des Deux-Mondes et la Revue germanique ont, à nos yeux, l'immense avantage d'un plan nettement suivi l'une fait connaître la littérature et l'histoire contemporaines, l'autre nous tient au courant de tout ce que la philosophie et la critique allemandes produisent journellement. La Revue contemporaine et la Revue européenne ne nous semblent pas s'être astreintes jusqu'à présent à un programme aussi bien déterminé. Elles se bornent à publier tous les quinze jours une livraison remarquable par le mérite des articles qui y sont contenus et la signification des noms dont ces articles sont signés; mais elles n'attachent pas d'importance à la date de ce qui se passe ou de ce qui s'imprime. Le numéro d'hier aura le même intérêt dans un an. Pour un livre c'est un mérite; mais la différence entre une revue et un livre, consiste justement dans l'actualité à laquelle l'une est astreinte, et qui n'est pour l'autre qu'un avantage secondaire.

Ce caractère si tranché se retrouve surtout dans les littératures étrangères en France, on publie beaucoup plus d'ouvrages sur les questions du moment que de grandes œuvres d'histoire et d'érudition; en Allemagne, les travaux d'un caractère abstrait dominent; en Angleterre, les publications historiques prennent une place de plus en plus grande. Il est intéressant de suivre ce mouvement littéraire, qui, à l'heure où les divisions qui séparaient les peuples disparaissent, conserve encore entre eux les distinctions qui sont essentielles au génie de leur race. Lirait-on en France un travail sur la Renaissance en Italie, comme celui que M. Burckardt vient de publier à Bâle, et dont M. Victor Chauffour (un nom que nous sommes heureux de retrouver) fait apprécier la haute valeur dans la Revue germanique? Ce n'est pas une histoire, ce n'est pas un traité c'est un essai sur les mœurs de

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l'Italie pendant sa plus belle période. M. Burckardt considère les différents gouvernements de Florence et de Venise comme des œuvres d'art, en ce sens que leurs constitutions politiques étaient au quinzième et au seizième siècle une création cherchée, basée sur des fondements calculés, à la différence des autres États européens, dont la constitution était purement traditionnelle. Partant de ce principe, il montre l'importance absolue attribuée dans ces constitutions diverses à l'individualité; pas de préjugés de castes; le condottiere, le politique habile, le commerçant même peuvent diriger l'État. En même temps la civilisation progresse avec une prodigieuse rapidité, et l'auteur montre dès 1423, Venise ayant, comme un État moderne, sa statistique exacte, ses budgets nettement comptés et le génie italien devançant nos mœurs d'aujourd'hui, nos goûts pour les Mémoires, pour la vie rurale, pour le théâtre, pour les collections de toutes sortes. M. V. Chauffour a parfaitement saisi jusqu'où il fallait suivre l'auteur allemand dans son enthousiasme rétrospectif « En Allemagne, dit-il, les historiens instruisent le procès plutôt qu'ils ne le jugent ». On se laisse entraîner à ce que M. Burckardt appelle la virtuosité, ou oublie la vertu, on pardonne trop aux gens d'esprit.

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Il y avait dans l'Italie, sous la Renaissance, une démoralisation précoce qui est analysée dans ses causes par M. Chauffour : la dépravation des gens d'Église, la nature illegitime et les procédés arbitraires de la plupart des gouvernements, et l'enivrement de l'individualité à peine reconquise. Ces théories gouvernementales, qui pouvaient bien être des œuvres d'art, étaient essentiellement vicieuses, et s'il fallait prouver historiquement l'influence que les constitutions politiques exercent sur la moralité d'un peuple, il suffirait de citer l'exemple de Florence et de Venise.

Alors on pouvait du moins se consoler par la splendeur des lettres et par la perfection atteinte dans les beaux-arts. On ne connaît de la Renaissance que les peintres, les écrivains, les architectes; mais pour saisir toutes les délicatesses du goût, toutes les recherches d'une civilisation si raffinée, on doit étudier dans les bibliothèques l'œuvre des graveurs du temps, qui est plus intime, plus populaire que ces grandes toiles destinées aux palais. La dernière livraison de la Gazette des Beaux-Arts publie une fine gravure empruntée à une collection d'images connue sous le nom de Jeu de cartes de Mantegna, qui donne parfaitement l'idée de la perfection incroyable atteinte au quinzième siècle dans les objets les plus simples, dans les modestes illustrations destinées à amuser ou à instruire les pauvres et les humbles d'esprit.

Si l'on veut suivre l'histoire de l'Italie jusqu'à nos jours, à l'aide des épisodes historiques que les différentes revues ont publiés, on trouvera, dans la Revue des Deux-Mondes, l'histoire de cette comtesse Albany qui, reine d'Angleterre sans royaume, fut la maîtresse d'Alfieri, et une appréciation juste de la Révolution napolitaine, par M. de Mazade. On trouvera, dans la Revue contemporaine, l'histoire du 15 mai à Naples, par M. de Steiger. L'auteur donne des détails curieux et précis sur cet épisode de la Révolution de 1848, mais il termine par une étrange conclusion : « La société était alors ébranlée jusque dans ses fondements. » Près de sombrer, elle devina tout à coup d'où le secours pouvait lui » venir. Elle remit tout son espoir dans l'armée. C'est l'Italie qui le lui apprit. C'est ainsi que la noble tâche commencée dans les rues de Naples, le prince de Windisgraëtz la poursuivit à Prague, et le général Cavaignac à Paris. » A Paris, l'insurrection de juin fut une guerre sociale, et le général Cavaignac l'étouffa non pas avec l'absolutisme exclusif du pouvoir militaire, mais avec l'appui d'une assemblée libre et nationale, et le concours des citoyens armés. A Prague, à la même époque, l'insurrection fut l'effort d'un peuple qui réclame sa nationalité indépendante. Il faut laisser aux divers événements leur physionomie particulière, et ne point essayer entre eux des rapprochements impossibles.

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On peut se tromper sur les détails, sur les faits, parce que la vérité ne se voit complétement qu'à distance; mais ce sont là des erreurs de principe qui sont en tout temps faciles à éviter. Les événements de l'histoire contemporaine ont besoin, du reste, pour être bien appréciés, de toutes les révélations posthumes que nous verrons apparaître dans vingt ans d'ici. Le Consulat, l'Empire, ne sont à peu près connus que depuis la publication des Mémoires des principaux acteurs de ces grands drames, et encore tous les jours des documents nouveaux viennent apporter une lumière nouvelle. Ainsi, dans la Revue des Deux-Mondes, M. E. Forgues fait connaître les récits de la retraite de Russie, écrits par le général Wilson, commissaire anglais au camp russe en 1812, et imprimés récemment à Londres. C'est là un document précieux qui peut compléter en plusieurs points l'histoire de M. Thiers. Wilson donne. les détails les plus minutieux sur les horreurs de la grande retraite, et malgré ses préventions contre la France, il rend une éclatante justice à l'héroïsme de ses soldats. M. Forgues indique surtout le point de vue nouveau auquel Wilson s'est placé il a voulu prouver que si l'armée française n'a pas été entièrement anéantie en Russie, c'est que Kutusow et Alexandre lui-même voulaient maintenir Napoléon comme contre

poids à l'Angleterre. Wilson place même ces paroles dans la bouche du général russe : « Il n'est nullement certain que la destruction totale de » l'Empereur et de son armée soit un si grand bienfait pour le monde. » Ce n'est pas à la Russie, ce n'est à aucune des puissances continen» tales qu'arriveraient en pareil cas les bénéfices de l'héritage; c'est à » cette nation qui a déjà le sceptre des mers, et dont la domination » deviendrait à partir de ce moment insupportable! "

Il n'en fut plus ainsi en 1814, et M. d'Haussonville nous montre dans un remarquable travail également publié dans la Revue des DeuxMondes, comment dès lors, aux yeux de l'Europe aussi bien que dans l'opinion de la France, la condamnation du régime impérial avait été écrite avant qu'un seul soldat étranger eût passé nos frontières, et combien la Russie était devenue implacable dans sa haine nouvelle. M. d'Haussonville, à l'aide de documents diplomatiques publiés par M. de VieilCastel, analyse les dernières négociations de l'Empereur; il le montre à Châtillon refusant des propositions qui pouvaient encore assurer la grandeur de la France: Napoléon, s'il eut traité de bonne foi à Châtillon, aurait pu, avec l'assentiment du cabinet anglais, obtenir outre la Savoie offerte par le plénipotentiaire autrichien, la plus grande partie des provinces rhénanes. »

J'avoue que l'étude de toute cette période de notre histoire, si désolante, mais si pleine d'enseignements, me semble plus profitable que les Études sur la poésie au dix-huitième siècle, publiées par M. Nisard dans la Revue européenne. Malgré des aphorismes littéraires de ce genre:

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La poésie est avant tout l'art d'écrire en vers... Les beaux vers ne » doivent être que les meilleurs d'entre les bons... Le nom de Gilbert est "sous la protection d'un regret, et le regret, qui semble une espérance trompée, rend indulgent..... Où le vrai poëte met son âme il attache la nôtre, etc., et quoique M. Nisard ait succédé à M. Villemain, il ne l'a pas remplacé il ne fera pas oublier le Tableau de la littérature au dix-huitième siècle. Cet article n'est qu'une série de généralités littéraires qui peuvent servir à des développements dans un cours, mais dont la place est mal choisie dans une revue sérieuse. Nous ferons le même reproche au Château de Chambord, par M. Jules Loiseleur (dans la Revue contemporaine). C'est un guide des visiteurs, une notice qui peut avantageusement remplacer un cicerone, mais qui n'a pas le mérite d'apporter un document nouveau à côté de tout ce qui a été déjà dit sur Chambord. Comme compensation, la Revue contemporaine contient d'excellents articles de M. de Calonne sur la Nouvelle salle de l'Opéra, et de M. Colombey sur la Marquise de Lambert; mais dans toutes les

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