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tributs. La résistance contre la fiscalité romaine est générale. Qu'est-ce que la pragmatique sanction de saint Louis, sinon une mesure défensive contre les exactions de Rome? Le niveau des querelles s'abaisse en même temps que le caractère des compétiteurs. Quel est l'adversaire de Boniface VIII? C'est Philippe le Bel, le roi faux-monnayeur. Appelé au trône pontifical par le crédit du roi de France, Clément V achète la tiare au prix d'une odieuse lâcheté, et sacrifie les Templiers, la grande milice sacerdotale du saint-siège.

La papauté est tellement déchue, qu'elle abandonne le sol où le travail des siècles avait étendu ses puissantes racines : elle émigre à Avignon, abandonnant l'Italie à des déchirements de toute nature, livrant Rome aux tentatives contradictoires du fantasque et malheureux Rienzi, le dernier représentant de la tradition des Crescentius et d'Arnaud de Brescia.

Elle reçoit une atteinte plus rude encore du schisme qui dura de 1395 à 1450. Pendant plus d'un demi-siècle, l'Europe assista au scandale de deux et même de trois papes errant sur les routes du monde, exposés tour à tour aux jugements improbateurs des conciles.

Le schisme prit fin, mais le mal était fait et la doctrine d'autorité perdue. Le grand mouvement de rénovation religieuse qui couvait depuis longtemps dans les esprits éclata; la réforme surprit les papes distraits par leurs plaisirs ou préoccupés de leurs petits intérêts dans leurs petits États. La papauté, qui n'avait rien su prévoir, ne put rien empêcher; aussi la voyons-nous asservie tantôt à l'influence française, tantôt à l'influence espagnole, sans pouvoir jamais reprendre sur les événements de l'Europe ces hautes initiatives dont elle a perdu le secret; elle pourra, sous le règne d'un Jules II ou d'un Sixte-Quint, emprunter un éclat momentané au mérite personnel des derniers grands titulaires de la tiare, mais ces triomphes éphémères n'arrêteront pas sa décadence.

Aussi, quand les progrès du protestantisme la menacent d'une ruine complète, quand elle est obligée de faire un effort suprême pour sauver son existence comme pouvoir spirituel, elle le fait,

elle

mais en cédant à une inspiration qui ne vient pas d'elle. Au moment fatal où l'Église allait s'abandonner elle-même, trouve en Espagne son dernier foyer d'énergie; le fanatisme espagnol lui impose l'inquisition comme auxiliaire.

Entre le pape et l'empereur il y a comme une émulation d'orthodoxie. Pour combattre Luther et le protestantisme, l'Église rejette de son sein tout ce qui n'est pas une arme de combat : elle se contracte en quelque sorte. C'est le moment où s'établit le dogme de l'infaillibilité personnelle des papes; grâce au puissant concours de Charles-Quint, l'Église ne périt pas dans la lutte, elle garde son champ de bataille.

Le protestantisme recule jusqu'à Calvin; mais bientôt la monarchie austro-espagnole se disloque; l'effort qu'a fait l'Espagne semble l'avoir épuisée, elle l'expie par sa décadence prématurée. Privée de son point d'appui, la papauté s'efface pendant tout le cours du dix-huitième siècle, et à la fin de ce siècle, que Voltaire remplit de son nom, l'Église trouve en face d'elle la révolution française. La lutte s'engage, elle dure encore. Ici nous touchons, avec le livre de M. Lanfrey, à l'histoire contemporaine, et nous nous arrêtons avec lui.

Quel est le sort réservé au pouvoir temporel de la papauté? Les hommes politiques qui exercent une influence sur le règlement des affaires d'Italie trouveront-ils ce que le moyen âge a vainement cherché, le moyen d'accorder les prétentions du saintsiége avec l'imprescriptible droit du peuple italien à se constituer

comme nation?

C'est le secret de l'avenir.

M. Lanfrey donne sa solution; elle est aussi nette et aussi radicale que possible.

Le pouvoir temporel n'a jamais été que la pierre d'assises de la monarchie universelle; l'édifice n'a pu être construit, il faut en arracher les fondements.

Dans notre conviction, la papauté, dégagée d'un élément qu'elle a cru une force et qui n'est qu'une entrave, sera surprise ellemême de l'ascendant moral qu'elle retrouvera. Ne sait-elle pas, par sa propre histoire, que pour régner sur les âmes il vaut mieux

habiter les Catacombes que le Vatican? Et si nous évoquons le souvenir des Catacombes, ce n'est pas, grâce au ciel, que nous croyions à la possibilité de persécutions, condamnées par l'esprit de ce temps. Le dix-neuvième siècle est un âge de tolérance et de réconciliation. Nous l'évoquons, ce souvenir, comme un témoignage des grandeurs de la primitive Église. La pensée chrétienne a rendu assez de services à la civilisation, pour que la civilisation ne désespère point d'elle. Pour cela, l'Église a un moyen bien simple qu'elle renoue la chaîne des temps, qu'elle regarde son passé, et qu'elle retrouve l'esprit de ses premières inspirations.

Si la papauté donnait au monde ce grand exemple de sacrifice et de renoncement, si elle coupait le câble qui la rive à la politique, bien des haines qu'elle croit implacables se changeraient en sympathies, bien des protestations qu'elle a rencontrées dans son chemin séculaire à travers l'histoire, s'arrêteraient indécises, et le monde aurait fait un pas vers ce but tant désiré de la paix publique, dans la communion des cœurs et des intelligences! Quoi qu'il en soit, tous ceux qui voudront étudier les origines de la question dont notre àge est probablement destiné à voir le dénoûment, devront lire le livre de M. Lanfrey. C'est un beau livre, doux, calme et fier, profondément pensé, élégamment écrit. L'analyse que nous en avons donnée ne contient nécessairement que les grandes lignes et les points culminants; pour voir avec quelle hauteur de vue, avec quelle finesse d'analyse l'auteur a scruté tous les éléments de son vaste sujet, il faut lire l'ouvrage lui-même; c'est une œuvre d'actualité, en ce sens qu'elle touche à des intérêts vivants au moment même où elle est com posée. Mais ce n'est pas une œuvre de passion et de rancunes. II est évident que l'auteur n'est pas indifférent à l'esprit des luttes qu'il raconte, et il n'est pas difficile de voir de quel côté le portent ses préférences. On trouve dans l'Histoire politique des papes des principes et des sympathies, on n'y trouve ni rancunes ni personnalités. C'est l'œuvre sérieuse d'un penseur qui laissera dans la science une trace profonde.

ERNEST DESMAREST.

HENRI IV ET LA SATIRE MÉNIPPÉE.

1589-1595.

I.

Au plus fort de la guerre civile, le roi de France Henri III venait de mourir assassiné par un jeune moine, et la ligne de succession au trône se trouvait interrompue (août 1589). Pour concevoir la perturbation qui en résulta sur tous les points, il faut s'imaginer ce qu'était alors cette personnification vivante de l'État, le roi. Plus le roi était devenu le symbole de l'unité nationale, plus sa disparition subite amenait de trouble dans les esprits et d'égarement dans les consciences. Le principe d'autorité qui avait lentement grandi sur les ruines de l'ancienne société féodale, s'évanouissait tout à coup au milieu du plus violent déchaînement des passions religieuses, et le désordre était d'autant plus général que l'unité avait été plus intime. La France paraissait morte avec son roi. Son habitude de dépendre en tout d'un maître, semblait en faire une proie offerte à qui voudrait s'en emparer.

Le roi mort, en effet, ne laissait derrière lui qu'un membre éloigné de la précieuse famille, souverain dépossédé de la Navarre, huguenot, rebelle naguère et proscrit, excommunié par le pape Sixte-Quint, et déclaré déchu de ses royaumes et seigneuries comme hérétique et relaps.

Abandonné par ses propres coreligionnaires du camp de Meudon, Henri de Navarre pouvait difficilement être investi de l'autorité royale.

Qui donc était en état de recueillir l'héritage des Valois? La société française allait-elle s'abîmer dans un désordre sans nom? Se jetterait-elle dans les bras de quelque aventurier? Devien

drait-elle la proie d'un souverain étranger? Était-ce le peuple qui allait enfin rentrer dans la plénitude de ses droits et recouvre ses libertés, usurpées par la royauté sur la noblesse, qui l'en avait dépouillé la première?

Mais y avait-il alors un peuple en France?

Trois partis se trouvaient en armes sous les murs de Paris et dans la ville les huguenots à Meudon, sous les ordres de Henri de Navarre; mais cette faction était bien affaiblie et lasse de la guerre. L'épuisement et la désorganisation du royaume avaient établi une sorte de tolérance religieuse dans les pays où se recrutaient autrefois ses armées, et Henri n'avait guère autour de lui que 5,000 hommes, Suisses, Allemands ou gentilshommes, combattant plutôt pour leurs intérêts que pour la religion ou leur chef.

Ils étaient momentanément alliés de la grande armée de Henri III, campée sur les hauteurs de Saint-Cloud, et assiégeaient avec elle le peuple de la Ligue, travaillé par l'or de l'Espagne, les intrigues des princes lorrains et les sermons des moines dévoués à Philippe II.

C'étaient donc trois peuples en France, ou plutôt il n'y avait plus de peuple de France, mais de pauvres gens fanatisés jusqu'à l'assassinat, des courtisans groupės autour du maître pour lui vendre chèrement les derniers instants de leur équivoque fidélité, des soldats suisses et allemands, et au-dessous, par toute la France, dans les villes comme dans les champs, une foule misérable, désolée, à qui on extorquait et la solde des lansquenets, et les pensions des gentilshommes, et les quêtes des prêcheurs de la Ligue.

Voilà en quel moment cette force centrale et cette unité qu'on appelait le roi de France se trouva représentée par Henri de Bourbon. Suspect aux huguenots, qui se rappelaient sa jeunesse dissolue dans une cour dépravée, il n'avait pu leur faire entièrement oublier sa désastreuse rivalité avec le prince de Condé, puis le traité de Beaulieu, rompu sans raison pour accepter une paix moins avantageuse l'année suivante (1577). Quoique ses con

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