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HISTOIRE

DES GIRONDINS ET DES MASSACRES DE SEPTEMBRE,

PAR M. GRANIER DE CASSAGNAC (1).

Sous ce titre sérieux, qui donne tant à penser, vous cherchez un livre. Vous trouvez, quoi? — du tapage littéraire.

En lisant l'œuvre de M. Granier de Cassagnac, je me rappelais involontairement le mot si spirituel de M. Eugène Pelletan, sur une autre intelligence bruyante de ce temps, sur M. Proudhon.

M. Proudhon, disait-il, est un homme qui tire des coups de pistolet par la fenêtre pour attirer l'attention du public.

Ce système n'ayant pas mal réussi à son auteur, M. Granier de Cassagnac a pensé qu'il était bon de l'imiter.

Il a donc tiré son coup de pistolet par la fenêtre. Nous regrettons qu'il l'ait tiré sur la tombe de gens qui ne sont plus là pour se défendre.

Chez M. Proudhon d'ailleurs, l'excentricité est l'écart d'un esprit à la fois profond et fantasque.

Chez M. Granier de Cassagnac, nous en avons bien peur, l'excentricité est un calcul mis au service d'une passion littéraire ou politique.

Ce n'est pas le premier trait de ce genre que se permet cet écrivain.

N'est-ce pas lui qui au début de sa carrière a fait, à l'aide de sa verve méridionale et de son incontestable puissance de style, à Racine et à toute l'école classique, cette guerre si excentrique et si acharnée?

Mais le dernier trait est le plus fort.

(1) Chez Dentu, Palais-Royal.

M. Granier de Cassagnac s'est dit qu'en frappant dru, il resterait toujours sur le carreau quelques blessés ou quelques morts.

Le tout est d'affirmer carrément. Il y a tant de gens qui croient sans examen, et auxquels il suffit de lire, dans une préface, l'énoncé de propositions absolues!

M. Granier de Cassagnac se pose en homme qui va démontrer ce que nul écrivain jusqu'ici n'a osé ou n'a pu dire; c'est que les Girondins sont coupables des massacres de septembre, et doivent en assumer la plus grande part de responsabilité sur leur mé

moire.

Si l'opinion publique n'était si facile à surprendre, il faudrait laisser passer ces monstrueuses accusations; mais il n'en est rien, et c'est un devoir pour chacun, dans la mesure de ce qu'il peut faire, de protester contre tout ce qui tend à injurier des idées et des hommes au profit de passions ou de rancunes à satisfaire. Pauvres victimes d'une grande et triste époque, vous pouvez facilement pardonner à votre accusateur! La vérité vous défend, et celui qui vous attaque de cette façon se fait plus de mal qu'à vousmêmes. Puis, en réalité, ce n'est pas vous qu'il voulait frapper, vous n'êtes que le prétexte.

Le titre du livre est une réclame qui unit, d'une façon cruelle et injuste, des hommes dans lesquels se sont personnifiées de grandes et légitimes idées à des crimes à jamais déplorables, auxquels ces hommes ne prirent aucune part.

La préface du livre est tout le livre, et le livre n'a qu'un but : dire aux Girondins du dix-neuvième siècle qu'ils représentent le parti le plus funeste au pays, qu'ils ne sont qu'un composé d'orgueil, de légèreté, d'ambition aveugle, insatiable, ne recherchant que le pouvoir, n'ayant pour principe que l'esprit de domination, et s'imposant comme ministres aux rois vaincus, à travers le sang apostasies.

et les

Ce n'est point assez de traiter ainsi le parti girondin moderne, représenté depuis cinquante ans par tous les hommes professant des idées libérales. Une grande fraction de la nation est ainsi dé: la bourgeoisie libérale, élément égoïste et turbulent des so

finie

ciétés modernes, manquant de principes, de caractère, sceptique, prête à tous les régimes qui lui promettent la domination, soutetenant l'étranger, etc., etc.

Les Girondins et la bourgeoisie, accusés par M. Granier de Cassagnac de manquer de principes, ce serait une chose plaisante que cette accusation, si ce n'était une chose triste; il est vrai que les Girondins ne professaient pas, en tout et pour tout, le seul principe reconnu par l'auteur du livre que nous réfutons, qui est de soutenir l'autorité quelle qu'elle soit. Ils demandaient pour eux et pour tous leurs concitoyens que cette autorité représentât des lois justes, équitables, protectrices pour tous; ils définissaient l'autorité, afin qu'elle ne fût point une abstraction superstitieuse mposée à l'ignorance et servant à protéger l'ambition, l'égoïsme, la camarilla de cour ou les priviléges d'une caste; à la place d'une fiction, ils voulaient une raison: ils pensaient qu'un roi n'en est pas moins un homme, et ne peut être par cela même inviolable dans ses actes.

Mais notre but ici n'est point d'établir les principes des Girondins; ils les ont proclamés eux-mêmes dans leurs actes, dans leurs écrits, et ils les ont scellés de leur sang. Les affirmations téméraires ou calculées de M. Granier de Cassagnac, sont impuissantes pour les annihiler aux yeux de ceux qui jugent avec impartialité et qu'anime l'amour du progrès des sociétés. Nous ne voulons qu'une chose, protester contre des affirmations démenties par l'histoire, et déclarer qu'après avoir lu avec une douloureuse mais scrupuleuse attention ce réquisitoire rétrospectif, nous n'y avons trouvé aucune des preuves et des nouveaux faits que promettait l'auteur.

Pour M. Granier de Cassagnac, tous les historiens de la Révolution n'ont rien su, n'ont rien voulu voir, ont fait du roman au lieu de faire de l'histoire. M. Thiers, M. Mignet, M. de Lamartine, M. Louis Blanc, M. Michelet et tutti quanti, ne sont que des esprits légers, des rêveurs; ils ont controuvé les faits pour ne point prendre la peine de les étudier; ils n'auraient pu, en outre, être renseignés comme M. Granier, car à lui seul les

portes du temple qui renfermait la vérité ont été ouvertes; les archives qui jusque-là avaient été scellées à tous les yeux ont été spontanément mises à sa disposition; chacun s'est empressé de l'éclairer, de l'instruire; lui seul a bien vu, bien constaté, bien commenté.

Or, que trouve-t-on dans ce livre qui vienne démontrer la vérité de cette cruelle accusation adressée à des hommes qui ont été impuissants, il est vrai, pour arrêter ou empêcher des crimes de se commettre, mais qui les ont flétris, et qui presque tous sont morts pour ne point avoir voulu s'y associer ou n'avoir point voulu les approuver; que trouve-t-on? Rien absolument que l'affirmation de M. Granier de Cassagnac, ou des arguments comme celui-ci Ils avaient le pouvoir, donc ils avaient la force, et cette force, ils ne l'ont pas mise au service de la répression; donc ils ont approuvé tous les excès qu'ils n'ont pas su empêcher.

Singulière logique et plus singulières contradictions! A quels lecteurs pense donc s'adresser M. Granier de Cassagnac?

Quelque ignorant que l'on soit aujourd'hui, on ne peut manquer de savoir que le pouvoir ne donne pas toujours la force, et qu'à l'époque dont il veut faire croire qu'il écrit l'histoire, les quelques hommes de la Gironde qui étaient au pouvoir ne disposaient en aucune façon de la force matérielle, puisqu'elle était encore à organiser.

S'ils l'avaient eue, ils auraient réussi immédiatement après le 10 août à renouveler la Commune, dont ils connaissaient et redoutaient le mauvais esprit; leurs efforts furent vains les intrigues, les mauvaises passions, les bruits les plus absurdes et les plus calomnieux, réussissaient à les déconsidérer dans l'opinion publique; ne faisait-on pas crier, et cela sous l'inspiration de Robespierre, que la Gironde était vendue à l'étranger, qu'elle voulait livrer le trône à Brunswick?

Mais si elle n'avait pas la force, dira-t-on, pourquoi gardaitelle le pouvoir? La réponse est facile : elle le garda probablement avec la pensée que le peu de mal qu'elle pourrait empêcher serait toujours quelque chose, qu'elle n'avait pas le droit d'aban

donner une cause dans laquelle elle avait foi, et que déserter à ce moment même son poste c'était encore donner plus licence à tous les excès; puis l'opinion publique, en face de ces meurtres, n'en proscrirait-elle pas les inspirateurs et n'obtiendrait-elle pas alors la force qui lui manquait?

La question intérieure, en outre, n'était pas la seule qui préoccupât les Girondins; la question extérieure était encore plus grave; les armées étrangères étaient à nos portes; c'étaient eux qui avaient senti la nécessité de la guerre, qui en avaient organisé l'action: pouvaient-ils se retirer du pouvoir et rester inactifs dans une telle situation?

Ah! s'il y avait eu comme de nos jours une armée nombreuse et obéissante dans les mains du pouvoir, et qu'on n'eût pas fait marcher quelques bataillons de cette armée contre les massacreurs et contre ceux qui les faisaient agir, on pourrait à bon droit reverser sur les Girondins la responsabilité dont on veut les charger. Ce livre, tout passionné qu'il est, n'indique-t-il pas luimême que la force armée, comme la force populaire, était dans les mains de la Commune, qui dirigeait en même temps qu'elle subissait la volonté de la majorité des sections de Paris; ce n'est point à la Gironde qu'il faut faire remonter la responsabilité des massacres; c'est à la Commune, et ce serait aussi à une défaillance de l'opinion publique, qui les a laissé faire et continuer.

La Gironde avait le pouvoir, donc elle avait la force; mais Louis XVI avait eu le pouvoir, il avait donc eu aussi la force; pourquoi ne l'accusez-vous pas pour ne point avoir arrêté cette révolution qui vous semble aujourd'hui si illégitime, si condamnable? N'en a-t-il pas donné lui-même le premier signal? Est-ce l'ambition des Girondins qui l'a poussé à convoquer les états généraux? Ne reconnaissait-il pas lui-même son impuissance à remédier aux embarras dans lesquels la France se trouvait? Lui aussi fut victime de cette époque, mais avec cette différence que tandis qu'il combattait pour ses prérogatives et pour celles d'une minime fraction de la nation; tandis qu'il appelait les armées étrangères à son secours et pour agir contre la nation qu'il était

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