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allons les présenter dans un exemple court et facile à saisir. Il n'importe de quel genre'; prenons celui de l'Apologue.

Un jeune Prince demanda une fable à La Fontaine, et lui en donna le sujet : le Chat et la Souris. Comment s'y prit Le poëte pour la traiter?

Du premier coup d'oeil il vit les rôles que devoient faire les acteurs le chat est fait naturellement pour prendre, la souris pour être prise. Mais cette premiere idée ne menoit encore à rien.

Le Poëte suppose que la souris est jeune, et le chat vieux. On ne pouvoit lui refuser ces deux circonstances qu'il invente; parce qu'elles ne changent rien au sujet. Cependant ce sont elles qui vont produire l'action.

Si la souris est jeune, elle est sans expérience; si le chat est vieux, il n'est rien. moins que sot nous voilà tout à côté de ce que nous cherchons. Voilà des acteurs,. des caracteres mais où est l'action?

La voici une jeune souris attrapée par une vieux chat, voulu le fléchir : mais le vieux chat se moqua des prieres de la souris, et dévora sa proie.

Voilà le fonds de l'Apologue, ce qu'on appele les choses: c'est la premiere et la principale opération du génie, celle qu'on nomme Invention..

T] y a ensuite le développement de ces premieres parties. La souris voulut fléchir le chat, par conséquent elle lui fit un petit discours. Le chat s'en moqua; par conséquent il lui fit une petite réponse. Où prendre ce discours? Dans la maxime d'Horace : Dicat debentia dici. La souris parlera selon son âge, sa taille, sa situation : le chat de même. L'invention, comme on voit, a fourni toutes les pieces de l'édifice. Venons à la disposition.

Cette seconde partie tient presque à la premiere; parce que le génie, lorsqu'il enfante, étant mené par la nature, va d'une chose à celle qui doit la suivre. La souris doit être attrapée d'abord, ensuite prier; le chat doit répondre: enfin la souris est immolée.

Vient ensuite l'Elocution qui revêt de mots les pensées dont la fable est composée. Ces mots sont de deux sortes : les uns sont employés seulement pour rendre la chose: les autres y ajoutent des graces. Examinons l'art et le goût du poëte, dans cette partie de son ouvrage :

Une jeune Souris de peu d'expérience,

Crut fléchir un vieux Chat, implorant sa clémence; En payant de raison le Romina grobis :

Laissez-moi vivre : une Souris

De ma taille et de ma dépense

Est-elle à charge en ce logis?

Affamerois-je, à votre avis,

L'hôte, l'hôtesse et tout leur monde ?

D'un grain de blé je me nourris :

Une noix me rend toute ronde.

A présent je suis maigre. Attendez quelque tems,
Réservez ce repas à messieurs vos enfans.
Ainsi parloit au Chat la Souris attrapée.

L'autre lui dit : Tu t'es trompée ;

Est-ce à moi que l'on tient de semblables discours ?
Tu gagnerois autant de parler à des sourds.
Chat, et vieux, pardonner, cela n'arrive gueres.
Selon ces loix descends là-bas :

Meurs, et va-t-en tout de ce pas
Haranguer les sœurs filandieres.
Il tint parole.

On voit dans cette fable une suite d'idées, de jugemens, de raisonnemens vrais, justes, clairs, revêtus de termes qui ont les mêmes qualités : sans cela il y auroit vice dans l'ouvrage. Mais s'il n'y avoit que ces qualités, il n'y auroit pas ce qu'on appelle beauté, ce qui fait l'assaisonnement du discours. Il falloit donc que l'auteur y joignît des agrémens : tantôt c'est une image: Une noix me rend toute ronde : c'est une expression forte, Affamerois-je: tantôt c'est le riant, payer de raisons le Rominagrobis : réservez ce repas à messieurs vos enfans: ce sont des circonstances piquantes, ainsi parloit la souris attrapée. Chat, et vieux, pardon

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ner des expressions naïves et familieres, descends là-bas, et va-t-en de ce pas haranguer, terme de dérision et d'insulte: sæurs filandieres, allusion à la Fable.

Telles sont les trois premieres opérations dont il s'agit de développer l'art dans ce Traité. On y en ajoute une quatrieme qui a pour objet la Prononciation, c'est-à-dire, l'art des gestes, des mouvemens et des tons de voix qui doivent accompagner l'action de l'Orateur par conséquent cette Partie sera divisée en quatre Sections.

SECTION PREMIERE.

DE L'INVENTION ORATOIRE.

L'OBJET

'OBJET de l'Orateur est de persuader: Or, pour persuader les hommes, il faut prouver, plaire, toucher. Quelquefois un seul de ces moyens suffit: quelquefois ce n'est par trop de les réunir tous trois. On prouve pas les argumens; on plaît par les mœurs, on touche par les passions.

Comme ces moyens regnent plus ou moins dans l'Oraison, selon la différence des genres, commençons par faire connoître ces Genres; après quoi nous parlerons des Argumens, des moeurs et des Passions.

CHAPITRE I.

Des Différens Genres d'Oraison. ON les réduit ordinairement à trois : le premier est le Genre démonstratif; le second, le Genre délibératif; le troisieme, le Genre judiciaire. Le premier a pour objet, sur-tout le présent; le se cond l'avenir, le troisieme le passé. Dans le démonstratif on blâme, on loue. Dans le délibératif on engage à agir, ou à ne pas agir. Dans le judiciaire on accuse, on défend.

I.

Genre démonstratif.

Le Genre démonstratif renferme les panégyriques, les oraisons funebres, les discours académiques, les complimens faits aux rois et aux princes, etc. Il s'agit dans ces occasions de recueillir tout ce qui peut faire honneur et plaire à la personne qu'on loue.

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On loue sa naissance : c'est le sang généreux de ses peres qui coule dans ses veines: l'aigle courageuse n'enfante point de timides colombes.

Si son origine est obscure, c'est un

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