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fait sentir que, quelque puissante que soit la vérité par elle-même, il n'étoit pas toujours sûr d'abandonner sa défense à un talent sans principe, à une sorte d'instinct brut, qui fait souvent de ses richesses un emploi malheureux; et qu'il étoit plus sage d'étudier la conduite du génie, et d'en distribuer les forces avec art et économie.

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On alla donc consulter les ouvrages des Ecrivains célebres : c'étoient des Poëtes car ce fut en vers qu'on écrivit d'abord. On observa leur marche on analysa leurs procédés: on essaya de pratiquer ce qu'on avoit remarqué en eux le succès ne manqua pas d'ajouter une nouvelle autorité aux modeles choisis. Homere fut regardé, non-seulement comme le prince de la Poésie, mais comme le pere de l'Eloquence, de l'His-, toire; de la Philosophie, de tous les Arts. Ce fut lui qui montra à Hérodote comment il falloit écrire les actions des héros, à Isocrate comment il falloit. charmer les sens pour convaincre l'esprit, à Démosthene, à Eschyle, à Socrate, à Platon comment il falloit peindre, toucher, raisonner, raconter. L'attention qu'il avoit de suivre scrupuleusement la Nature, lors même qu'il se livroit aux mensonges et à la fiction,

leur fit sentir ce qu'il devoient faire, sur-tout en peignant la vérité. Ils s'attacherent donc constamment au même principe que lui; ils étudierent la Nature, et s'efforcerent par-tout de la rendre telle qu'elle pouvoit, telle qu'elle devoit être rendue, selon la différence des genres qu'ils avoient embrassés, et des fins qu'ils proposoient.

Ce fut donc la Poésie qui ouvrit le chemin à l'Oraison, qui en fut le guide, le flambeau, le modele. Ce fut elle qui lui montra son véritable objet, la source et le principe de toutes ses regles. Elle lui apprit qu'elle n'avoit, comme ellemême, d'autre fonction que celle de peindre la Nature, et d'autre mérite que de la peindre avec force et vérité. C'est par-là que les grands Orateurs, anciens et modernes, sont arrivés à la gloire : c'est, si j'ose m'exprimer ainsi pour avoir été poëtes dans leurs oraisons, comme les poëtes avoient été orateurs, dans leurs poésies.

Mais que devient la différence qu'il y a entre ces deux Arts? Car il est certain qu'il y en a une.

La voici la Poésie a pour objet de plaire, nous l'avons dit, et si quelquefois elle instruit en même-temps, c'est que l'utilité est un moyen qui l'aide à

parvenir à son but. L'Eloquence a pour objet d'instruire; et si elle songe à plaire, c'est qu'elle n'ignore pas que la voie la plus certaine pour arriver à la persuasion est celle qui est semée de fleurs (a). La Poésie se sert de tout, pourvu qu'il aille à ses fins: vrai, faux, fable, histoire, merveilleux, naturel, possible, impossible, tout est bien reçu chez elle; sa raison s'appelle fureur. Elle bâtit sans poser de fondemens : une chimere qu'un souffle détruit, l'occupe aussi sérieusement que le salut d'un Empire. L'Eloquence; toujours grave et mesurée, ne songe qu'au service réel: la raison est son appui, le bon sens ne la quitte jamais.

Tels sont les droits et les limites de ces deux empires. Ils s'étendent l'un et l'autre sur toute la Nature: mais dans l'un c'est la vérité qui tient le sceptre, et dans l'autre c'est le goût. Et tout se regle selon leurs loix souveraines. Rentrons dans la carriere.

Ce Traité sera divisé en trois Parties: dans la premiere, il sera question du Genre oratoire dans la seconde, du Récit historique: dans la troisieme, du Genre épistolaire.

(a) Voyez le I. Traité, 1: Partie, Chap. VI.

PREMIERE PARTIE.

DU GENRE ORATOIRE.

I.

Ce que c'est que l'Oraison. LA Rhétorique, la Logique, la Gram

maire, sont trois Arts qui devroient toujours marcher de compagnie. La Logique est l'Art de bien penser. La Grammaire est l'Art de bien parler. La Rhétorique est l'Art de bien dire. Bien penser, c'est mettre de la précision et de la netteté dans ses idées, de la circonspections dans ses jugemens, de la liaison et de la justesse dans ses raisonnemens. Bien parler, c'est se servir de termes reçus et de constructions légitimes; c'est éviter le barbarisme dans les mots, et le solécisme dans les phrases. Bien dire, c'est parler de maniere à nous faire écouter, et à persuader ceux qui nous écoutent : trois instrumens universels, c'est-à-dire, dont l'usage s'étend à tous les Genres, dans les Sciences et dans la Littérature; et qui, dans ceux qui les réunissent, caraçtérisent la bonne éducation, la droiture d'esprit, et la fécondité de génie.

Si on considere seulement l'étymologie, le mot Oraison est d'une signification fort étendue : il désigne toute pensée exprimée par le discours, ore ratio expressa: c'est dans ce sens qu'il est employé par les Grammariens. Ici il signifie un discours préparé avec art pour opérer la persuasion.

Il faut observer qu'il y a une grande différence entre le talent de l'oraison, et l'art qui aide à le former. Le talent s'appelle Eloquence; l'art, Rhétorique: l'un produit, l'autre juge : l'un fait l'Orateur, l'autre ce qu'on nomme Rhéteur.

I I.

Quatre fonctions à remplir par l'Orateur.

Quelque sujet que l'orateur entreprenne, il a à remplir d'abord trois fonctions: la premiere est de trouver les choses qu'il doit dire : la seconde est de les mettre dans un ordre convenable : la troisieme de les exprimer avec décence. C'est ce qu'on appelle Invention, Disposition, Elocution: Quid dicat, et quo loco, et quo modo. Čic. Orat. 14.

Pour donner une idée nette et précise de ces trois opérations, qui ont lieu dans tous les Arts, comme on a pu le voir dans toute la suite de cet Ouvrage; nous

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