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l'ont point. Nous ferons seulement ici une observation relative à la maniere dont on s'y prend quelquefois pour former le goût des jeunes éleves de l'Eloquence.

On leur met sous les yeux les morceaux les plus frappans des Auteurs. On fixe leur attention sur les pensées brillantes. On leur fait observer les traits. Cette méthode a des inconvéniens : elle jette l'esprit hors de la route du vrai goût. Tout doit être remarqué dans un bon Auteur, et les endroits qui paroissent les moins remarquables sont quelquefois ceux où les maîtres doivent s'arrêter le plus : c'est souvent ce qui fait le tissu de l'ouvrage, c'est-là que les beautés ont leur source, leur raison, leur naissance : c'est ce qui les prépare, qui les releve. Un esprit nourri d'antitheses et de métaphores, ne peut manquer d'être à sec, quand on lui demandera du bon sens. Cependant c'est par le bon sens que les hommes valent, quand ils valent quelque chose. Que diroit-on d'un homme qui jugeroit d'un édifice seulement par les moulures et les croisées, et qui ne feroit nulle attention à la distribution des pieces, ni à la solidité du tout?

Il y a dans tous les bons Ecrivains un corps suivi de pensées naturelles, prises dans le sens commun, et tirées des en

trailles même du sujet ; c'est la base de toute la composition :

Scribendi rectè sapere est principium et fons.

Sur ce fond uniforme ils sement les fleurs de l'Elocution, je veux dire des traits et des expressions qui ont un caractere distingué. Leur génie leur prodigue des pensées revêtues de toutes les sortes d'agrémens. Mais quoiqu'une complaisance secrete les invite à laisser aller ces richesses dans le courant de l'ouvrage, le jugement et le goût les retiennent, de peur qu'elles n'y soient des parures déplacées. Ils n'adoptent que ce qui peut prendre la teinte du sujet, et faire un même corps avec le reste.

Après avoir marqué les especes et les qualités des pensées et des expressions et indiqué le choix qu'on en peut faire selon les circonstances, il s'agit de traiter de l'arrangement et de la liaison qu'on doit mettre entr'elles.

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L'arrangement qu'on donne aux expressions et aux pensées, ne peut avoir que deux objets : c'est de leur donner qu plus de graces, ou plus de force. Car l'arrangement qui produit la simple clarté est plus logique et grammatical qu'oratoire.

La nature a attaché des graces à tout

ce qui se fait aisément : et la force ayant le privilége de faire tout sans peine, rarement il est arrivé que la grace et la force fussent séparées. L'athlete vigoureux est maître de ses mouvemens : il en regle le tems, la mesure; il en assure la direction. Qu'on examine tout ce qui est jeune; il est revêtu de graces, parce qu'il est plein de vigueur. Il en est de même des bataillons rangées : l'ordre en augmente la force, et en fait un spectacle agréable.

L'application de ces exemples se fait naturellement au discours. L'arrangement des mots, contribuant à faire joindre les idées, à les serrer mutuellement, leur donne plus de force, plus de chaleur. En second lieu, cette liaison se faisant sentir à l'oreille et à l'esprit par le concert et la convenance des sons qui composent les mots, il en résulte les charmes de ce qu'on appelle harmonie.

L'arrangement des mots et des pensées, considéré relativement à ces deux effets, comprend toutes les especes de Figures de Rhétorique, et toutes les combinaisons qui peuvent produire J'Harmonie et les Nombres.

CHAPITRE

V.

De l'arrangement qui produit les

Figures.

Figures de mots.

ON entend par Figure, en fait d'Elocution, l'arrangement des parties d'une Phrase oratoire, ou même de plusieurs phrases entr'elles, pour en augmenter la force ou la grace. C'est une sorte de configuration réguliere, qui ressemble aux figures qui résultent de l'arrangement de plusieurs lignes, dont on peut faire un triangle, un carré, etc.

elle

Quand il n'y a qu'un seul mot, ou qu'une idée, par exemple, quand je me représente le soleil, ou que je dis, le soleil, il n'y a pas lieu d'y mettre aucune figure; parce que l'idée, aussi-bien que l'expression, étant simple et une n'est pas susceptible de deux combinaisons c'est un point: il faut toujours dire, le soleil. Mais s'il y a deux parties, alors il y a lieu à deux combinaisons, il est: est-il? On peut encore y ajouter des particules, qui, sans changer le donnent à la pensée ou à l'expression une autre couleur, une autre attitude. Un homme peut être debout, assis,

sens,

couché, dans une attitude qui marque l'activité, la passion, l'indolence, etc. Il en est de même des pensées et des expressions. Ce sont ces especes d'attitudes qu'on leur donne, qu'on a jugé à propos de nommer tours oratoires en françois, et figures chez les Latins: Sententia quasi habitus, dit Cicéron, figura dicendi, maniere de se tenir, maintien. Ces figures sont proprement l'expression du sentiment dans le discours, comme les attitudes dans la Sculpture et la Peinture, quasi gestus orationis, dit encore Cicéron.

Nous ne parlons dans ce Chapitre que des figures de mots.

Il y en a qui sont plus grammaticales qu'oratoires, et qui ne laissent pas de faire un bel effet dans l'oraison.

Il y a l'Ellipse, qui supprime par goût des mots dont le grammatical auroit besoin :

Je l'aimois inconstant, qu'aurois-je fait fidelle La Grammaire eût dit, si je l'aimois; quoiqu'il fût inconstant, qu'aurois-je fait, s'il eût été fidelle?

Le Pléonasme, qui ajoute par goût ce que le grammatical rejette comme superflu:

Je l'ai vu, dis-je, vu, de mes propres yeux vu.

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