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qualité qui convient à l'expression encore plus qu'à la pensée. L'esprit veut connoître rien n'est plus impatient que lui, quand il attend et plus les moyens qu'on lui donne pour arriver sont aisés et courts, plus il est satisfait. S'il sent que par indigence, ou par foiblesse, on lui donne des circonlocutions pour un terme propre qui existe; des tours recherchés, des circuits pour des traits naturels; il souffre plus ou moins, à proportion du tort qu'il croit qu'on lui fait. II n'est jamais plus content que quand la pensée s'élance toute habillée, toute armée, comme Minerve sortit du cerveau de Jupiter. Quand Monsieur de la Rochefoucaud dit : L'esprit est souvent la dupe du cœur; il y a dans son expression la briéveté des signes, parce qu'il ne pouvoit le dire en moins de mots, ni plus clairement. S'il eût dit: L'amour le goût que nous avons pour une chose. nous la fait souvent trouver différente de ce qu'elle est réellement c'est la même pensée, mais elle se traîne; au lieu que dans l'autre façon elle a des ailes.

Toutes nos idées sont complexes: elles peuvent, par conséquent, être toutes rendues avec plusieurs mots. Mais quand on nous épargne la peine et le temps de les entendre, et que cependant on ne

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nous en dit pas moins ; nous avons le plaisir de connoître, de connoître vîte, et de connoître mieux; parce que la multiplicité des signes partage l'attention et embarrasse les idées.

Quand on parle contre la multiplicité des signes, ce n'est pas que l'on veuille réduire le langage précis, à des monòsyllabes, à des phrases tronquées, ou à des demi-mots énigmatiques, dans le goût de quelques endroits de Perse, ou de Tacite, où la pensée semble être à la gêne sous les mots. Je dis seulement que l'habit doit être juste pour la pensée, en la laissant pourtant dans une situation libre et naturelle.

Ce n'est pas non plus qu'on veuille blâmer les Orateurs qui déploient leurs idées dans des phrases périodiques, qui les répetent en partie dans l'amplification. Le petit nombre des signes s'accorde très-bien avec l'abondance de l'Oraison, parce que cette abondance ne doit être que dans les idées ou dans leurs degrés. Cicéron est abondant par-tout; cependant il n'y a rien de trop chez lui. Son expression ne distrait jamais l'esprit par son propre éclat, ni ne le surcharge inutilement par des sons d'appareil qui n'apportent rien. Il a donc la briéveté Oratoire.

Voilà, ce semble, à quoi on peut réduire les qualités logiques, sans lesquelles rien ne peut être beau dans les ouvrages de littérature. Mais pour plaire ce n'est point assez d'être sans défaut; il faut avoir des graces, et c'est le goût qui les donne.

CHAPITRE II I.

Qualités de goût.

TOUT ce que les pensées et les expressions peuvent avoir d'agrément dans un discours vient du choix qu'on sait faire parmi celles qui se présentent, et de l'arrangement qu'on sait leur donner. Toutes les regles de l'Elocution se réduisent donc à ces deux points: choisir et arranger. Commençons par le choix.

Dès qu'un sujet quelconque est proposé à l'esprit, la face sous laquelle il s'annonce produit sur le champ quelques idées. Si on en considere une autre face, ce sont encore d'autres idées. On pénetre dans l'intérieur; ce sont toujours de nouveaux biens. Chaque mouvement de l'esprit fait éclore de nouveaux germes: voilà la terre couverte d'une riche moisson. Mais dans cette foule de pro

ductions tout n'est pas le bon grain. Il y a de ces pensées qui ne sont que des lueurs fausses, qui n'ont rien de réel sur quoi elles s'appuient. Il y en a d’inutiles, qui n'ont nul trait à l'objet qu'on se propose de rendre. Il y en a de triviales aussi claires que l'eau, et aussi insipides. Il y en a de basses, qui sont au-dessous de la dignité du sujet. Il y en a de gigantesques, qui sont au-dessus toutes productions qui doivent être mises au rebut.

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Parmi celles qui doivent être employées, s'offrent d'abord les pensées communes qui se présentent à tout homme de sens droit, et qui paroissent naître du sujet sans nul effort. C'est la couleur fonciere, le tissu de l'étoffe. Ensuite viennent celles qui portent en soi quelque agrément, comme la vivacité, la force, la richesse, la hardiesse, le gracieux, la finesse, la noblesse, etc. car nous ne prétendons pas faire ici l'énumération complette de toutes les especes de pensées, qui ont de l'agrément.

La pensée vive est celle qui représente son objet clairement, et en peu de traits. Elle frappe l'esprit par sa clarté, et le frappe vîte par sa briéveté. C'est un trait de lumiere. Si les idées arrivent lentement, et par une longue suite de

signes, la secousse momentané ne peut avoir lieu. Ainsi quand on dit à Médée : que vous reste-t-il contre tant d'ennemis? Elle répond, Moi: voilà l'éclair. Il en est de même du mot d'Horace : Qu'il mourût.

La pensée forte n'a pas le même éclat que la pensée vive, mais elle s'imprime plus profondément dans l'esprit ; elle y trace l'objet avec des couleurs foncées : elle l'y grave en caracteres ineffaçables. M. Bossuet admire les pyramides des rois d'Egypte, ces édifices faits pour braver la mort et le temps; et par un retour de sentiment, il observe que ce sont des tombeaux cette pensée est forte. La beauté s'envole avec la jeunesse : l'idée du vol peint fortement la rapidité de la fuite.

La pensée hardie a des traits et des couleurs extraordinaires, qui paroissent sortir de la regle. Quand Despréaux osa écrire Le chagrin monte en croupe et ga lope avec lui, il eut besoin d'être rassuré par des exemples, et par l'approbation de ses amis. Qu'on se représente le chagrin assis derriere le cavalier, la métaphore est hardie; mais qu'on soutienne la pensée en faisant galoper ce personnage allégorique, c'étoit s'exposer à la

censure.

On sent assez ce que c'est que la pen

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