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celui d'une armée. Qu'on mette au premier rang, ce qu'il y a de plus vigoureux et de plus brave car souvent du premier choc dépend tout le succès. On réservera pour porter un dernier coup, et assurer la victoire, d'autres troupes d'élite. Et dans le milieu on placera les soldats d'une bravoure équivoque, de maniere que par leur position, s'ils ne vont pas au combat, ils y seront portés par ceux qui les suivent. Cela paroît assez juste dans la spéculation; mais sur le terrain, les choses demandent souvent d'autres arrangemens. Chaque sujet a ses regles propres. C'est à la prudence et au bon sens de l'Orateur, à les trouver et à les suivre. Tout se reduit à recommander la netteté et la précision. Une preuve trop étalée devient flasque. Si elle est trop serrée, elle n'a pas de masse, de portée. Les mots inutiles la surchargent, l'extrême briéveté l'obscurcit, et affoiblity son coup.

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Je comparerois volontiers les Orateurs dans leur preuve, à l'athlete qui court dans la carriere. Vous le voyez incliné vers le but où il tend, emporté par son propre poids, qui est de concert avec la tension de ses muscles, et le mouvement de ses pieds: tout contribue en lui

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augmenter sa propre vitesse. Bourda

loue, Bossuet, Démosthene, Cicéron, sont des modeles parfaits dans cette partie comme dans les autres. On se jette avec eux dans la même carriere, on court comme eux. Nos pensées sont emportées par la rapidité des leurs; et quoique nous perdions de vue leurs preuves et leurs raisonnemens, nous jugeons de leur solidité par la conviction qui nous en

reste.

La réfutation demande beaucoup d'art, parce qu'il est plus difficile de guérir une blessure que de la faire. Quelquefois le mépris suffit pour réfuter un adversaire. Ce fut ainsi que Scipion confondit le Tribun du peuple qui l'accusoit d'avoir mal administré les deniers publics «Je me rappelle, M., que ce » fut en pareil jour que celui-ci, que je » vainquis Annibal: allons-en rendre "graces aux Dieux, et laissons ici ce » maraut, nebulonem. A. Gell. »

Quelquefois on rétorque l'argument sur son adversaire. Protagore, philosaphe, sophiste, rhéteur, étoit convenu avec Euathlus son disciple, d'une somme qui lui seroit payée par celui-ci, lorsqu'il auroit gagné une cause. Le temps paroissant long au maître, il fit un procès à son disciple; et voici son argument ; Ou vous perdrez votre cause, ou vous

la gagnerez. Si vous la perdez, il faudra payer, par la sentence des Juges. Si vous la gagnez, il faudra payer en vertu de notre convention. Le disciple répondit : Ou je perdrai ma cause, ou je la gagnerai; si je la perds, je ne vous dois rien en vertu de notre convention: si je la gagne, je ne vous dois rien en vertu de la sentence des Juges.

Quand l'objection est susceptible d'une réfutation en regle, on la fait par des argumens contraires, tirés ou des circonstances, ou de la nature de la chose ou des autres lieux communs.

Quand elle est trop forte, on feint de n'y pas faire attention, ou on promet d'y répondre, et on passe légèrement à un autre objet on paie de plaisanteries, de bons mots. Un Orateur Athénien entreprenant de réfuter Démosthene qui avoit mis tout en émotion et en feu, commença en disant: Qu'il n'étoit pas surprenant que Démosthene et lui ne fussent pas du même avis, parce que Démosthene étoit un bu veur d'eau, et que lui ne buvoit que du vin. Cette mauvaise plaisanterie éteignit le feu qu'avoit allumé le prince des

orateurs.

Enfin quand on ne peut détourner le coup, on avoue le crime, et on a recours aux larmes et aux prieres pour écarter l'orage.

La peroraison est la conclusion du discours. Elle comprend ordinairement une récapitulation de tout ce qui a été dit de plus frappant, soit pour convaincre, soit pour toucher. Après quoion fait reparoître la proposition, comme résultant de toutes les raisons qui ont été employées.

SECTION

TROISIE ME.

DE L'ELOCUTION ORATOIRE.

Nous avons passé assez rapidement

sur l'Invention et la Disposition pour deux raisons: la premiere est, qu'après tout ce que nous avons dit dans les volumes précédens sur les fonctions du Génie et du Goût, et sur l'application de leurs regles, il n'est pas fort difficile de se faire une idée de ce qu'il doit en résulter par rapport à l'Eloquence. La seconde, qui nous est fournie par Cicéron même, c'est qu'il suffit de donner des notions de ce qui les concerne, de montrer les sources, et d'avertir l'Orateur que tout ce qu'il doit dire doit lui être inspiré par sa cause, et ordonné selon son intérêt. Le bon sens naturel le conduit dans sa route, et lui fournit les moyens d'arriver Hæc propria magis prudentiæ quàm eloquentia.

Il n'en est pas de même de l'Elocution. Les personnes qui ont le plus de sens et de goût, ont besoin d'être averties d'une infinité de petits détails qui échappent aux yeux ordinaires, et dont résulte cependant tout l'effet de l'Eloquence, ainsi nommée, non à cause de l'Invention ou de la Disposition, qui en font néanmoins les parties solides, mais à cause de l'Elocution, qui semble seule faire plus que tout le reste sur l'esprit de ceux qui écoutent.

CHAPITRE I.

Ce que c'est qu'Elocution. LA pensée et le sentiment peuvent

s'exprimer de trois manieres par le ton de voix, comme quand on gémit; par le geste, comme quand on fait signe à quelqu'un de s'avancer, de s'éloigner; par la parole, quand on prononce des mots. Les deux premieres expressions appartiennent à la Prononciation. La derniere est ce qu'on nomme Elocution. L'Elocution en général est donc l'expression de la pensée par la parole.

Comme l'expression et la pensée ont le même objet et les mêmes regles, nous allons les faire marcher à côté l'une de

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