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CHAPITRE IV.

Des Mœurs comme moyens de persuader: LES Moeurs se prennent en un sens

différent dans la Poésie et dans l'Eloquence.

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Dans la Poésie, il ne s'agit point du poëte, mais de ses acteurs. On ne demande point ordinairement qu'elles soient vertueuses, il suffit qu'elles soient vraies, c'est-à-dire, ressemblantes au -héros qu'on veut speindre, ou plutôt à l'idée qu'on en a communément.

- Dans l'Eloquence, lorsqu'on parle de moeurs, il s'agit de la vertu, et de la vertu de l'Orateur. On veut qu'il soit homme de bien et que tout son discours porte le caractere de la probité: Les Païens ont défini l'Orateur, vir bo-nus dicendi peritus.

Il sera modeste. Rien n'offense l'auditeur plus que l'orgueil de l'homme qui parle devant lui. Alors il prend fiérement la qualité de juge et de censeur impitoyable. Il ne consent à rien de ce qui peut être contesté. Lors même qu'il se trouve sans réplique, il résiste encore, il n'est ni persuadé, ni convaincu. Ce n'est point ici le lieu de faire l'éloge de

la modestie; mais on peut dire en géné ral, qu'elle est le caractere, du vrai savoir, aussi-bien que dú vrai mérite.

A la probité et à la modestie l'Orateur doit joindre la bienveillance, ou plutôt de zele pour le bien de ceux qui l'écoutent. Tous les hommes sont portés à croire les discours de leurs amis. Que l'Orateur paroisse avoir à coeur nos intérêts, et chercher de bonne foi les moyens de nous être utile; il n'est pas possible alors que nous ne soyons de son avis. Il nous prend par l'endroit foible, par l'amour que nous avons pour nousmêmes...

Une quatrieme qualité, c'est la prudence, laquelle suppose nécessairement les lumieres. Que nous serviroit d'être conduit par un homme de bien, par un ami véritable, si lui-même il ignoroit la route?

L'Orateur doit donc établir son autorité sur ces quatre vertus, et les montrer dans tout son discours. Quand il a la République dans le coeur, et qu'il -possede bien sa matiere, dès l'abord on sent le poids de son autorité. Son seul extérieur inspire la confiance. Qu'un Prédicateur rempli de la grandeur de son ministere, pénétré de zele pour le salut des ames, nourri de la lecture et de la

méditation des Livres saints, exercé dans la pratique solide des vertus chrétiennes, paroisse dans la chaire de Jesus-Christ; toutes ses paroles, ses pensées, ses expressions, porteront le caractere de sa mission et de ses moeurs. On l'écoutera lavec attention, avec plaisir, avec fruit. Il est si doux dé s'en rapporter à un homme de bien qui a des lumieres ! On le suit sans inquiétude, et sans avoir la peine de démêler la vraie route: Autoritati credere magnum compendium, nulAus labor. St. Aug.

CHAPITRE V.
Des Passions Oratoires.

C'EST en vain que quelques Métaphy

siciens trop austeres se sont élevés contre l'usage des passions dans l'Eloquence. C'est, disoit Aristote, vouloir courber la regle même, et troubler la raison pour l'amener à la vérité. Mais il faut prendre les hommes comme ils sont. Que la Philosophie les amene au point d'aimer la vérité pour elle-même, et sans nul intérêt; quand elle y aura réussi, l'Eloquence n'aura plus recours aux Passions En attendant, elle fera bien de suivre toujours le même plan, et d'armer

"

en faveur de la vertu tout ce qu'il y a de principes dans l'homme qui peuvent aider à la maintenir et à la venger. Les Passions sont un instrument dangereux, quand il n'est point manié par la raison; amais il est plus efficace que la raison même, quand il l'accompagne et qu'il la sert. C'est par les Passions que l'Eldquence triomphe, qu'elle regne sur les coeurs. Quiconque sait les exciter à propos, maîtrise à son gré les esprits. Il les fait passer de la tristesse à la joie, de la pitié à la colere. Aussi véhément que l'orage, aussi pénétrant que la foudre, aussi rapide que les torrens, il emporte, il renverse tout par les flots de sa vive éloquence. C'est ainsi qu'en ont parlé les maîtres. Et c'est par-là que Démosthene La régné dans l'Aréopage, Cicéron dans les Rostres, et Bourdaloue dans nos Temples.

Que dans tous vos discours la passion émue,
Aille chercher le cœur, l'échauffe et le remue.
Si d'un beau mouvement l'agréable fureur
Souvent ne nous remplit d'une aimable terreur
Ou n'excite en notre ame une pitié charmante
En vain vous étalez une scene éclatante.

Vos froids raisonnemens ne feront qu'attiédir

Un spectateur toujours paresseux d'applaudir;
Et qui des vains efforts de votre rhétorique
Justement fatigué s'endort ou vous critique.

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Le secret est d'abord de plaire et de toucher; Inventez des ressorts qui puissent m'attacher. Boil.

Pour faire bien comprendre ce qu'on entend ici par le mot de Passions, il faut reprendre la chose de plus haut, et entrer dans quelque détail des facultés et des opérations de notre ame.

Quoique notre ame soit une et indivisible; cependant on peut y distinguer d'abord comme deux parties. On dit, je conçois ce que vous me dites; mais je ne veux point le faire. Cette maniere de parler signifie que notre ame conçoit, et qu'elle veut : et que concevoir n'est pas la même chose que vouloir. La faculté qui conçoit se nomme Entendement; celle qui veut se nomme Volonté. Un homme a beaucoup d'entendement, ou, ce qui est le même, d'intelligence quant il conçoit bien, vîte, et aisément ce qu'on lui propose. La fonction de l'entendement est donc de voir, de connoître, de comprendre.

Celle de la volonté est d'aimer, de hair, d'approuver ou de désaprouver. Par l'intime liaison qu'il y a entre la volonté et l'entendement, tout ce qui paroît aux yeux de l'un fait impression sur l'autre. Si l'impression est agréable la volonté approuve l'objet qui en est

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