Page images
PDF
EPUB

incorrupta quodam modo. Cicéron, Tacite et Salluste semblent avoir eu cette partie plus que Tite-Live. On sent en lisant celui-ci qu'il étoit Romain; chez lui on estime Annibal, on l'admire; mais on a peur de lui, parce qu'on aime Rome. Après tout, ce défaut étoit une beauté pour les Romains. Qui est assez philosophe pour ne dédier son ouvrage qu'au genre humain, ou à la postérité?

Nous ne parlons pas de Quinte-Curce qui n'a fait proprement qu'un éloge d'Alexandre; ni de Xenophon qui n'a prétendu que donner le modele du parfait Monarque. Ce dernier est le plus simple le plus naïf de tous les historiens, si on en excepte César, qui s'est montré en ce genre, comme dans les autres, le premier homme de son siecle. Il n'est point frisé,' dit Cicéron, ni paré, ni ajusté, mais il est plus beau que s'il l'étoit. Les tours recherchés, les expressions fortes, les pensées brillantes conviennent plus à un Rhéteur, qui veut attirer sur lui une partie de l'attention qui n'est due qu'au sujet, qu'à un homme de bon sens. Tout cet appareil déguise l'histoire plutôt qu'il ne l'embellit.

La principale qualité du style historique, est d'être rapide : l'historien se hâte d'arriver à l'événement; et c'est pour lui

-sur-tout qu'est vraie la maxime d'Horace.

Et brevitate opus, ut currat sententia neu se
Impediat verbis lassas onerantibus aures.

Il doit être proportionné au sujet. Une histoire générale ne s'écrit point du même ton qu'une histoire particuliere ; c'est presque un discours soutenu : elle est plus périodique, et plus nombreuse. Tite-Live et Tacite ont une maniere plus élevée que Cornelius Nepos. Quoique le caractere même de l'écrivain contribue souvent autant que le sujet à lui donner plus ou moins d'élévation; quelqu'effort qu'on fasse, on ne peut s'oublier assez soimême, pour ne pas assaisonner les choses à son goût. Et après tout, quelle autre loi y a-t-il pour guider un écrivain? Il s'agit de l'avoir bon.

CHAPITRE VI.

De l'Histoire Naturelle.

LE Chancelier Bacon dans cet ouvrage admirable, où il présente le tableau de la perfection possible des sciences, divise l'Histoire Naturelle en trois branches, dont la premiere concerne les ouvrages réguliers de la nature, c'est-àdire, ceux où il nous semble que les loix

ordinaires de la nature ont été suivies ; la seconde ses égaremens, c'est-à-dire, les ouvrages où la nature semble s'être écartée de sa marche ordinaire; la troisieme, les arts, c'est-à-dire, les ouvrages où la nature est employée ou imitée par l'industrie des hommes; en trois mots, la liberté, les écarts et les chaînes de la Nature, ou les productions constantes qui se renouvellent chaque jour dans la même espece, les phénomenes extraordinaires qui de temps en temps frappent les yeux et étonnent l'imagination; les ouvrages que l'adresse et leffort de l'esprit humain tirent du fonds de la nature: voilà l'ob jet de l'Histoire Naturelle.

Quiconque entreprend de l'étudier ou de l'écrire, doit songer que l'Univers est le temple de la Divinité. Si, comme l'a dit un Paien, lorsque nous nous présentons devant les autels, nous abaissons nos regards, si nous prenons tout l'extérieur de la modestie et du respect; à plus forte raison devons-nous être réservés et respectueux, lorsque nous entreprenons de reconnoître les astres, le ciel, les dieux. Défions-nous de nous mêmes, craignons d'assurer ce que nous ne savons pas, ou de dissimuler ce que nous savons. C'est Aristote que nous donne cet avis important. Platon, pénétré de

ce sentiment, commence sa dissertation sur la Nature par l'invocation de Dieu. Jamais la vraie philosophie n'a rougi de montrer de la piété et du respect pour l'Etre suprême; lors même que les Philosophes ne le connoissoient qu'imparfaitement.

Le plan, ni l'objet de cet ouvrage n'exigent point de nous un grand détail dans cette partie. Il nous suffira d'avertir les jeunes gens que cette étude est aussi utile qu'elle est agréable.

Est-il rien de plus satisfaisant pour l'homme, que de reconnoître tous les biens dont il a été environné, et de saisir les rapports de tous les êtres, soit entr'eux, soit avec lui-même ? Alors, dit Seneque, je rends graces aux Dieux alors je trouve la vie précieuse, quand je contemple la Nature, que je la considere dans son intérieur. Par quelle autre raison pourrois-je me féliciter d'être du nombre des vivans? Seroit-ce pour faire filtrer sans cesse le boire, le manger; pour administrer chaque jour le pain un corps fragile, qui dépérit à chaque instant, et faire auprès de lui pendant cinquante ou soixante ans, les fonctions d'un garde-malade? Non, non : c'est pour connoître la Nature, et nous élever par cette connoissance, jusqu'à l'Etre infini

[ocr errors]

qui a fait et arrangé toutes choses, qui les maintient, qui les gouverne (a).

Seneque n'est pas le seul qui ait parlé de la sorte des fins qu'on doit se proposer dans l'étude de la Nature; Cicéron l'avoit fait avant lui, d'après tous les philosophes de l'antiquité. Il n'est pas même nécessaire d'être instruit par la révélation pour sentir cette vérité :

Les Cieux instruisent la terre

A révérer leur auteur.

Tout ce que leur globe enserre
Célebre un Dieu créateur.
De sa puissance immortelle
Tout parle, tout nous instruit,
Le jour au jour la révele,
La nuit l'annonce à la nuit.

Ce grand et superbe ouvrage

N'est point pour l'homme un langage

Obscur et mystérieux.

Son admirable structure

Est la voix de la Nature,

Qui se fait entendre aux yeux. Rouss. Ode 2.

Les attributs de Dieu, sa sagesse, sa

(a) Tunc naturæ rerum gratias ago, cùm illam non ab hac parte video quæ publica est, sed in secretiora ejus intravi: cùm disco, universi quis auctor sit, quis custos, quid sit Deus.... Nisi ad hæc admitterer, non fuerat opera pretium nasci. Quid enim erat cur in numero viventium, me positum esse gauderem! An ut cibos et potiones percola→ tem! Ut hoc corpus casurum, et fluidum, periturumque. nisi subindè impleatur, farcirem, et viverem ægri minister Quæst. Nat,

« PreviousContinue »