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Nous ne parlons point de l'intérêt qui tient au fond des choses, il n'en est point de plus grand, de plus noble, de plus vif, de plus varié dans aucune autre histoire. Elle est à l'égard des autres récits historiques, qu'on nous pardonne cette comparaison, ce qu'est l'Epopée à l'égard des autres poëmes: puisqu'elle seule a le droit de présenter le merveilleux, c'està-dire, de montrer l'action de Dieu sur l'homme, les lois de sa justice, l'étendue de son pouvoir, les trésors de sa sagesse, et la sublimité de ses desseins. Elle contient les principes et les développemens de la vraie Religion; elle expose dans le plus grand jour les maximes fondamentales de la Loi naturelle; elle apprend aux hommes dans tous les états, dans tous les âges, dans toutes les conditions, les moyens de s'assurer un bonheur solide; elle renferme les titres de tous les peuples, montre leur origine, leurs établissemens divers; elle éclaire les ténebres de plus de trente siecles d'obscurité; elle nous présente le fil pour nous tirer du labyrinthe des temps fabuleux; elle nous donne l'explication de ces monumens précieux dont le genrehumain avoit perdu le sens, quoiqu'il en fût toujours le dépositatre; enfin ce Livre des Livres est l'histoire du ciel et

de la terre; et de ce qu'ils contiennent; et tout ce qui n'y est pas renfermé n'est, ou qu'une répétition des mêmes faits et des mêmes exemples; ou qu'incertitude erreur, érudition vaine et inutile au bonheur de l'homme.

L'Histoire Ecclésiastique ne differe de 'Histoire Profane que par l'objet, L'Ecrivain y est abandonné à lui-même, il n'a de ressource que dans ses connoissances et ses talens pour reconnoître le vrai, et l'exposer aux autres. Mais comme il traite des matieres qui appartiennent au Christianisme, il est obligé plus qu'un autre historien d'animer son récit de cet esprit de simplicité, de naïveté convenable à une Religion qui renonce spécialement à tout ce qui n'est que pompe vaine et ostentation frivole. M. de Fleuri a saisi parfaitement ce caractere dans son Histoire Ecclésiastique. Quand on le lit, on croit entendre la déposition d'un témoin sage et fidelle, qui rend avec candeur ce qu'il a vu sans prévention, et qui le rend par consé quent comme il est. Il y a dans son style quelque chose de cette noblesse et de cette onction qu'on sent en lisant les histoires sacrées. Il parle des desseins de Dieu avec dignité, de ses ministres avec circonspection; il blâme et loue par les

actions; par-tout il laisse voir le bon esprit, la piété éclairée, le coeur droit. S'il présente quelquefois en passant le germe d'une réflexion, il rentre aussitôt dans son caracte et ses fonctions d'historien et de témoin désintéressé.

Comme notre objet n'est point ici de donner une notice de tous les historiens. célebres, ni de tracer des regles sur la maniere d'étudier l'Histoire, mais seulement de caractériser les différens genres d'histoire, leurs qualités, leurs objets différens, on ne doit pas être étonné de nous voir passer rapidement d'un genre à l'autre. Il nous suffit de définir, et quelquefois de citer un modele.

CHAPITRE II I.

De l'Histoire Profane. L'HISTOIRE Profane est le portrait des siecles passés, présenté aux siecles à venir pour leur servir d'instruction. C'est, dit M. de la Mothe qui la définit en orateur, un spectacle de révolutions perpétuelles dans les affaires humaines de naissances et de chutes d'Empires, de moeurs, d'opinions, qui se succedent

incessamment; enfin de tout ce mouvement rapide, quoique insensible, qui emporte tout et change continuellement toute la face de la terre.

On la divise en Histoire générale et en Histoire particuliere.

L'Histoire générale seroit l'histoire du Genre-Humain répandu sur la terre habitable depuis le commencement du monde. Quoiqu'il n'y ait rien dont les hommes ne puissent venir à bout, en réunissant leurs forces pendant le temps nécessaire, eu égard à l'entreprise; il paroît cependant impossible de composer une Histoire universelle qui comprenne tous les peuples, dans tous les temps, dans tous les lieux. Nous disons une Histoire, non une chronologie accompagnée de quelque détail : ce qui a été exécuté plus d'une fois. Une Histoire universelle comprendroit le fonds de toutes les Histoises des peuples, réduites à une étendue proportionnée au corps entier de l'ouvrage. L'histoire d'une grande monarchie y figureroit à-peu-près comme celle d'une province dans celle d'un royaume. Tous les objets taillés, mesurés, placés-selon leurs rapports symétriques entr'eux et avec le tout, y seroient dans un état perpétuel de comparaison et de même que le temps qui

coule, emporte dans le même flot toutes les générations qui existent ensemble; le courant de cette histoire présenteroit dans le tableau universel du genre humain, non-seulement les rapports contemporains des causes et des effets qui occupent la scene du monde ; mais encore les germes plus ou moins développés des catastrophes réservées aux siecles suivans.

Avant que de prendre le pinceau, il faudroit rassembler les fastes de tous les Empires, les monumens de tous les faits, être sûr de les avoir authentiques, de les entendre dans leur véritable sens; alors il ne s'agiroit plus que de former une société nombreuse de Savans, de leur communiquer la même ame, et de la faire passer par une sorte de métempsycose, dans les continuateurs jusqu'à la perfection entiere de l'entreprise. M. de Thou a donné l'Histoire générale d'un siecle mais sa carrire se borne à l'Europe et aux événemens du dehors qui ont eu des rapports avec cette partie du monde.

M. Bossuet, qui a tracé l'esquise d'une Histoire universelle, en borne le projet par le point de vue auquel rapporte son ouvrage : point de vue digne d'un Evêque philosophe, et d'un Théologien enrichi de la plus précieuse érudition.

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