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presque pas besoin de maîtres: il suffit de leur montrer le chemin et de les laisser aller à cette aimable liberté, qu'une autorité sombre ne manqueroit pas d'éteindre. Quant aux autres, si on leur donne des leçons, il faut qu'elles soient toujours gaies et riantes. Il n'y a guere qu'une mere tendre et sensée qui puisse. heureusement corriger ce défaut; où si un autre l'entreprend, il faut qu'il en prenne les sentimens.

J'oublicis de dire qu'il faut bien se garder de laisser faire d'eux-mêmes aux jeunes gens les premiers essais. Ils prendroient des habitudes qu'il seroit presque impossible de réformer. Il faut leur donner l'exemple, et dire devant eux comme on veut qu'ils disent : leur répéter plusieurs fois les tons, les airs de tête, etc. puis les engager à s'essayer sur le champ. S'ils n'osent le faire en présence de leurs maîtres, il faut leur dire de s'exercer seuls vis-à-vis d'un miroir. Là, ils s'écouteront, se regarderont, s'approuveront, se blâmeront à leur aise, et pour peu qu'ils aient un commencement de sens et de goût, ils sauront bien retrouver les gestes du modele, ou les remplacer. Après cela, ils reparoîtront avec plus de confiance, et par conséquent avec plus de succès. Les hommes sont

hommes à tout âge. Il faut toujours respecter leur amour-propre devant les autres Hæc omnia magis monitoris non fatui, quàm magistri eruditi.

CHAPITRE

I I.

Importance de la Prononciation Oratoire.

MAINTENANT

AINTENANT on me permettra d'adresser ici un mot aux Orateurs, et de leur faire sentir la liaison qu'il y a entre l'élocution du geste et du ton de voix, et celle des mots; et de quelle importance il est que les mots, les tons de voix, les gestes soient parfaitement d'accord dans celui qui parle.

Notre objet ici n'est nullement de donner des regles. Nous nous bornerons à un seul point: c'est de faire entrevoir au moins l'étendue et le nombre des choses que comprend l'art de déclamer; afın que si quelqu'un s'avisoit de l'étudier pour son propre usage, il connût à-peuprès son objet. Nous conviendrons même, si on veut, que chacun doit presque être son propre maître dans ce genre, et que les avis donnés, sur-tout par écrit, sont pour ainsi dire, en pure perte,

Les Anciens avoient sur les gestes et sur les tons de voix une collection de pré

ceptes qui faisoit un Art, et qui servoit de regle à ceux qui devoient parler en public. Ils croyoient même que cette partie étoit une des plus considérables de l'art de persuader et de toucher.

Pour nous, nous avons cru qu'il étoit plus court de croire et de dire sans cesse, qu'il faut s'abandonner à l'instinct dans la déclamation, qu'il n'y a point de regles pour cette partie, et que, si on vouloit s'aviser d'y en mettre, ce seroit un moyen infaillible de détruire la nature; ou au moins de la gâter. Si ce raisonnement étoit juste, il ne faudroit point de regles non plus pour l'élocution; parce que l'élocution naturelle est toujours celle qui a le plus de charmes et le plus de forces. Il en seroit de même de tous les autres arts, dont l'objet est de régler, de polir, de fortifier les facultés naturelles, pour les porter plus surement à leurs fins.

Tout le monde a entendu parler des défis que se faisoient entr'eux Cicéron et Roscius. L'Orateur exprimoit une pensée par des mots. Le Comédien sur le champ l'exprimoit par des gestes. L'Orateur changeoit les mots, en laissant la pensée : le Comédien changeoit les gestes, et rendoit encore la pensée. Voilà donc deux moyens de s'exprimer, qui se suffisent à euxmêmes pour représenter les pensées, la parole et le, geste. I 3

Les Fantomimes représentoient des pieces entieres avec le seul geste. Ils en faisoient un discours suivi, que les spectateurs écoutoient pendant plusieurs heures. Qu'eût-ce été, s'ils eussent encore employé l'autre partie de la déclamation, qui est le ton de voix?

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La Musique qui n'a pour elle que cette derniere expression, exprime par ce langage une infinité de choses. Elle peint la joie, la tristesse, la langueur. Elle imite la force, la foiblesse, la fierté, un orage, la terre qui mugit. Elle nous échauffe nous transporte, quoiqu'elle ne nous parle que par des sons. Que seroit-ce si elle étoit unie au geste qui remue l'ame, en passant par les yeux, et à la parole, qui se porte en même-temps à l'esprit et au cœur ?

Démosthene interrogé quelle étoit la premiere, la plus excellente partie de I'Orateur, répondit, l'action: quelle étoit la seconde, l'action encore; la troisieme, encore l'action, jusqu'à ce qu'on eût cessé de l'interroger: voulant faire entendre par-là que sans l'action, toutes les autres parties qui composent l'Orateur, doivent être comptées pour peu de chose.

Il l'avoit trop sensiblement éprouvé, pour n'en être pas convaincu. Cet Orateur le plus éloquent qui fut jamais, mal

gré la force de son génie, et la vigueur de son élocution, fut toujours mal accueilli tant qu'il ne sut point l'art de manier ses armes. La leçon que lui donna un Comédien, fut pour lui un trait de feu qui l'éclaira, et qui lui fit voir clairement que sans l'action, les plus belles choses ne sont qu'un cadavre sans vie, plus propre à morfondre l'auditeur, qu'à l'échauffer. Il s'y appliqua donc de toutes ses forces: et les efforts prodigieux qu'il fit, joints à la gloire immortelle qu'il s'est acquise en conséquence, seront une justification plus que suffisante pour ceux qui voudront suivre son exemple, et se livrer tout entiers à l'art de déclamer.

L'étude de cet art ne sert pas seulement aux Orateurs, aux acteurs de profession, à tous ceux qui sont obligés de paroître quelquefois en public. Comment, sans lui, quiconque veut lire les bons Auteurs, en pourra-t-il sentir les beautés? Reprenons notre comparaison du cadavre, toute hideuse qu'elle est. Les livres que nous lisons, ne sont que des ombres vaines, des phantômes vuides de sang, que le lecteur doit ranimer, s'il veut en retrouver les traits. Il faut qu'il leur prête sa voix, ses gestes: qu'il voie Edipe se frappant le front, et hurlant de douleur: qu'il entende les éclats de Démosthene;

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