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» et sans gloire mêlés dans l'Océan avec les rivieres les plus inconnues. >>> Il faut juger ce tableau par la grandeur et la force, et non par la correction des: traits. L'orateur est plus occupé des objets qui le remplissent que de la maniere de les rendre. C'est le style des Catons, de Marius, c'est celui de Corneille, plein d'inexactitude et de traits: sublimes.

Voici le portrait de Cromwel: (a)

Que si vous me demandez comment » tant de factions opposées, et tant de "sectes incompatibles qui se devoient >> apparemment (selon toute apparence) » détruire les unes les autres, ont pu si » opiniâtrément conspirer ensemble contre le trône royal, vous l'allez ap-» prendre.

Un homme s'est rencontré d'une » profondeur d'esprit incroyable, hypo» crite raffiné autant qu'habile politique, »capable de tout entreprendre et de tout » cacher, également actif et infatigable » dans la paix et dans la guerre, qui ne laissoit rien à la fortune de ce qu'il pou»voit lui ôter par conseil et par prévoyance." (M. Fléchier a dit de ce que le conseil et la prudence pouvoient lui

(a), Oraison funebre de la Reine d'Angleterre.

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Ster? ce qui anime ces deux vertus, et les fait contraster agréablement avec la fortune; le grand Bossuet ne vouloit point de ces agrémens) » mais au reste

si vigilant et si prêt à tout» prêt à tout signifie plutôt une disposition de l'ame qui attend le malheur sans crainte, qu'une attention de l'esprit qui ne peut être ni surprise ni prévenue) » qu'il n'a jamais » manqué les occasions qu'elle lui a pré»sentées. Enfin un de ces esprits remuans » et audacieux, qui semblent être nés » pour changer le monde... Il fut donné » à celui-ci de tromper les peuples, et » de prévaloir contre les rois. » C'est la seule antithese marquée de tout ce portrait. Un Orateur qui n'eut été qu'ingé nieux l'auroit rendu étincelant d'un bout à l'autre, et l'eût fait une fois plus. long en doublant le nombre des traits par les oppositions d'idées et de mots. antithétiques.

,

Quelques pages auparavant, il avoit découvert les causes des révolutions que l'Angleterre.essuya sous la domination de Cromwel. "Si (l'esprit d'indocilité et » d'indépendance) s'est montré tout en» tier à l'Angleterre, et si la malignité » s'y est déclarée sans réserve, les rois: » en ont souffert : mais aussi les rois en » ont été cause; ils ont trop fait sentir

» aux peuples qué l'ancienne religion se pouvoit changer. Les sujets ont cessé d'en révérer les maximės, quand ils » les ont vu céder aux passions et aux » intérêts de leurs princes; ces terres » trop remuées, et devenues incapables » de consistance, sont tombées de toutes parts, et n'ont fait voir que d'effroyables précipices. J'appelle ainsi tant d'er"reurs téméraires et extravagantes qu'on » voyoit paroître tous les jours. Ne » croyez pas que ce soit seulement la » querelle de l'Episcopat, ou quelques » chicanes sur la liturgie Anglicane, qui ait émules communes... Quelque chose » de plus violent se remuoit dans le fond des coeurs: c'étoit un dégoût secret de tout ce qui a de l'autorité, et une dé» mangeaison d'innover sans fin, après » qu'on en a vu le premier exemple. » Le parallelle de l'éloquence de Fléchier et de celle de Bossuet peut se faire en deux mots; l'une est belle et parée comme Hélene, l'autre est nerveuse et armée comme Hercule.

Entre ces deux genres il est aisé de concevoir qu'il y a plusieurs milieux, selon qu'on approche plus ou moins de l'un ou de l'autre extrême. L'Orateur parfait est celui qui prend dans la composition toutes les nuances de son sujet :

il ne s'occupe point dans son enthousiasme d'éviter les syllabes dures, ni les bâillemens de voyelles, ni les chocs de consonnes, il n'étudie point l'art des chutes finales, ni la gradation symétrique des nombres; il écrit avec feu, avec force, avec rapidité, semblable à une source abondante qui jette ses flots. Ce ne sera que quand il reviendra sur sa production, qu'il s'occupera de ces attentions menues. C'est alors qu'il songe à corriger les fautes, qu'il écarte les équivoques, qu'il éclaircit les obscurités, qu'il retranche les longueurs, qu'il rectifie les inégalités, qu'il enleve les impropriétés et les incorrections. Quelquefois même il fait plus; il supprime des beautés qui auroient trop d'éclat; il réduit une comparaison en métaphore pour serrer le style; il abat un grand mot, il efface une image, il ôte une figure, il tronque une période, un nombre, une symétrie pour paroître plus vrai, et réveiller l'oreille par un écart ou une chute précipitée; il laisse même des inexactitudes légeres qui pourront servir de pâture à la critique, mais qui n'arrêteront point les gens de goût. Pourquoi? Parce qu'il sait que le sublime de tout art imitateur, est de disparoître entiérement pour ne laisser voir que la na

ture, qui seule a le droit de toucher de plaire, de persuader.

CHAPITRE XII I.

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Quelques observations sur la maniere de n se former le style:

Nous section

OUS terminerons cette section en disant un mot de la manière dont on peut se former le style.samos

On sait qu'il faut premiérement lire beaucoup, et les meilleurs Ecrivains : 'secondement, écrire soi-même; Cicéron a dit que la plume étoit le meilleur maître en ce genre: stylus optimus dicendi magister troisiémement, imiter. Je ne m'arrêterai que sur ce dernier article.

Il semble que la maniere dont on s'y prend pour former le style par l'imitation, ne peut produire que très-peu d'effets. On propose au jeune écrivain un morceau de Cicéron, ou de tél'autre auteur fameux, dont on veut qu'il transporte le tour et la construction sur une autre pensée qu'on lui donne à habiller. Mais cette pensée est différente de celle de Cicéron, par conséquent elle sera habillée sur une au tre mesure que la sienne propre. On voit tout d'un coup ce qui doit en résulter.

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