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mais raisonnable, et assaisonné dans un degré qui donne bonne opinion du talent, du génie, du bon sens de l'Orateur; qui annonce bien ce qui doit suiyre, et qui détermine l'auditeur à écouter avec attention.

Il sera modeste. Qualité qui rehausse toujours le prix du talent et de la vertu, et que l'Orateur ne doit jamais montrer plus qu'à l'entrée de son discours. L'amour-propre de l'auditeur est si délicat, si aisé à blesser, le personnage de quiconque s'éleve pour faire la leçon aux autres, est si voisin de l'orgueil, qu'il faut beaucoup d'art pour faire les premiers pas sans déplaire. A la bonne heure que ceux qui ont mission, se présentent avec confiance, comme ambassadeurs de la vérité, pro Christo legatione fungimur. Mais on sait distinguer la confiance du ministere de la confiance du ministre. L'une redouble les forces de l'éloquence, l'autre les détruit.

Il sera court, c'est-à-dire, proportionné à l'étendue du discours. On ne mettra point la tête d'un pygmée sur les épaules d'un géant, ni celle d'un géant sur le cou d'un pygmée. S'il falloit que la proportion ne s'y trouvât pas, il seroit mieux qu'il fût trop court que trop long. Rien ne déplaît tant à l'auditeur que

la perspective d'une longue discussion. On distingue deux sortes d'Exordes ; l'un qui se fait par la voie de l'Insinuation, quand il s'agit de disposer peu-àpeu les esprits à prendre la route qu'on veut qu'ils suivent, ou de les ramener doucement de leurs préventions. Tous les plaidoyers, tous les sermons, tous les discours qu'on adresse à des auditeurs de sang froid, doivent commencer de cette sorte. Un Orateur qui, en pareil cas, éclateroit dès le premier mot," ressembleroit, dit Cicéron, à un homme ivre au milieu d'une assemblée à jeun ; ebrius inter sobrios. Mais quand une vive douleur, une grande joie, une indignation violente se trouve dans le coeur de ceux qui écoutent, on ne risque rien d'éclater en commençant : « Jusqu'à

quand abuserez-vous de notre pa"tience, Catilina; jusqu'à quand serons»nous le jouet de votre fureur? Quand » finira cette audace effrénée? etc. » C'est ainsi que Cicéron commence ses Catilinaires. Le Sénat étoit assemblé. L'Orateur alloit lui adresser la parole. Catilina entre. Les sénateurs sont effrayés; Cicéron consul ne l'est pas moins qu'eux; mais l'indignation prend le des sus des autres sentimens. Il part comme la foudre, et se précipite sur l'ennemi.

On appelle cette espece d'Exorde, en terme d'art, exorde ex abrupto.

A la fin de l'Exorde, se trouve naturellement la Proposition, ou l'Exposé de la fin qu'on se propose. Elle doit être claire, précise, en peu de mots. Il est inutile d'en détailler les raisons: on les sent.

La Division, lorsqu'elle a lieu, suit de près la proposition. Quoique les Rhéteurs séveres blament les antitheses que les Orateurs ingénieux font briller dans les divisions; je crois que si elles étoient ménagées avec une certaine discrétion, elles aideroient l'auditeur à mieux saisir les branches du sujet. Cependant quand ces branches sont présentées avec la clarté convenable, elles n'ont pas besoin d'être figurées, pour s'imprimer dans l'esprit. Voici la proposition et la division de Cicéron pour le poëte Archias: On a tort de contester à Archias le droit de citoyen Romain: 1.° parce qu'il est réellement citoyen: 2.o parce que s'il ne l'étoit pas, il mériteroit de l'être.

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CHAPITRE IL

Du Récit et des Preuves Oratoires.

DANS le genre judiciaire le Récit vient

ordinairement après la division, parce qu'en ce cas la preuve doit naître des faits. Ainsi l'art de cette partie consiste à présenter dans cette premiere exposition le germe à demi éclos des preuyes qu'on a dessein d'employer; afin qu'elles paroissent plus vraies et plus naturelles, quand on les en tirera toutà-fait par l'argumentation.

L'ordre et le détail du Récit doivent être relatifs à la même fin. On a soin de mettre dans les lieux les plus apparens les circonstances favorables, de n'en lais ser perdre aucune partie, de les mettre toutes dans le plus beau jour. On laisse au contraire dans l'obscurité celles qui sont défavorables, ou on ne les présente qu'en passant, foiblement, et par le côté le moins désavantageux. Car il y auroit souvent plus de danger pour la cause de les omettre entiérement, que d'en faire quelque mention, parce que l'adversaire revenant sur vous, ne manqueroit pas de tirer avantage de votre silence, de le prendre pour un aveu tacite; et il renverseroit

renverseroit alors sans peine tout l'effet de vos preuves. On trouve tout l'art de cette sorte de récit, dans celui que fait Cicéron du meurtre de Clodius par Milon (a).

L'Orateur dans sa preuve a deux choses à faire, l'une d'établir sa proposition par tous les moyens que sa cause lui fournit; l'autre de réfuter les moyens de son adversaire; car il faut savoir bâtir et ruiner.

Quelquefois on commence par la réfutation, quand on s'apperçoit que l'adversaire a fait une forte impression, et que les preuves seroient mal reçues, la prévention n'étoit dissipée.

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Un Orateur habile connoît ses juges, et de quelle maniere il faut les prendre. Souvent les meilleures raisons ne sont pas celles qui ont le plus d'effet. Tout dépend de la forme du vase, c'est-à-dire, -de la situation de l'ame où elles tombent. Une démonstration passe pour vaine subtilité, et une subtilité pour démons:tration géométrique, selon la différence des esprits, des goûts, des âges, des intérêts.:

3 Quant à l'arrangement des preuves, -les Rhéteurs proposent pour modele,

(a) Voyez ce qui a été dit dans le Traité de l'Apo logue, T. 2, et ce qui sera dit ci-après, II. Part, Tome IV.

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