Page images
PDF
EPUB

La perfection dans ce genre est le milieu. Il faut éviter les baillemens dans les voyelles, et les chocs dans les con

Sonnes.

Ces deux défauts se font sentir sur-tout dans la liaison des mots entr'eux: Il a été un héros, blesse l'oreille par le choc des voyelles finales, qui se heurtent avec les initiales: discours dur, scabreux, ne la blesseroit pas moins par le choc des consonnes. L'art consiste en cette partie à faire en sorte qu'une voyelle finale s'appuie sur une consonne initiale, ou réciproquement qu'une consonne finale se lie à la voyelle initiale. Heureusement la nature vient au secours de l'art. On suit ces regles, même sans y faire attention; et ce qui est plus commode encore, on peut les violer toutes les fois que le sens y autorise pour rendre l'expression ou plus courte, ou plus nette, ou plus simple. Il vaut mieux dans ce genre pécher par négligence que par affectation.

La liaison des phrases entr'elles ne dépend pas seulement du choix des sons, mais du rapport des espaces qui semblent s'attirer les uns les autres par une sorte de sympathie : c'est la seconde espece d'accord qu'on appelle Nombre. Le nombre n'est pas l'eau qui coule

c'est la goutte qui tombe. Il consiste le plus souvent dans la distribution du repos, selon que l'exigent le sens et l'oreille. Numerus in continuatione nullus est. Distinctio et æqualium, et sæpè variorum intervallorum percussio numerum conficit; quem in cadentibus guttis, quòd intervallis distinguuntur, notare possu mus, in amni præcipitante non possumus. Cic. de Or. Il est évident que dans ce passage le nombre est pris pour une certaine étendue cadencée qu'on donne aux différentes parties du discours; et que nous expliquerons plus amplement ailleurs (a).

Ce mot est pris quelquefois pour la maniere dont une phrase se termine dans ses différentes parties: c'est en ce sens qu'on dit une chute nombreuse..

Enfin il se prend pour ce qu'on appeloit pieds ou metres chez les Anciens. Le nombre considéré sous le premier aspect se fait sentir d'abord dans le besoin de respirer. L'organe a besoin de repos pour prendre son ressort. L'esprit a mis de même des especes de séparations entre ses pensées, qui se succedent par parties et qui se produisent l'une après l'autre distinctement. Enfin l'oreille

(a) Dans le Tome V.

veut des phrases, ou des suites coupées selon certaines proportions qui la reposent; de sorte que tout ce qui concourt à former le discours a demandé des repos. Quand on dit la jeunesse, la beauté, les trésors, sont des biens périssables, il y a dans cette période des repos pour l'esprit, pour l'oreille et pour la respiration. Mais de ces repos les uns ne sont que des demi-repos, des quarts de repos, des repos offerts; le dernier seul, marqué par le point, est un repos absolu.

Les repos doivent être placés à certains intervalles, pour le plaisir de l'oreille et la commodité de la respiration. Rarement ils se portent au-delà de douze syllabes, et très-souvent ils restent en deçà.

La prose bien faite use de tous les intervalles qu'emploie la versification: mais cet art est caché dans les variations continuelles de ces intervalles. Cependant on l'apperçoit aisément dans ceux de nos Auteurs qui ont eu la sensibilité de l'oreille, et principalement dans la prose de Moliere, qui est aussi nombreuse en ce sens que le sont les vers.

Le nombre pris pour chute consiste dans un certain caractere qu'on donne aux syllabes qui précedent les demi - repos; caractere qui joint au choix ou

à la progression des intervalles, fait une grande partie de la différence des styles.

Les Anciens sont entrés dans le détail des metres ou pieds qui devoient terminer leurs périodes. Pour nous, nous sommes obligés de nous en tenir aux sons; parce que nous n'avons point de metres déterminés. Nous avons en général les finales masculines qui ordinairement sont plus fortes et plus fermes que les féminines. Il faut user des unes et des autres, suivant les cas; et placer au repos final et absolu celles qui doivent y faire le plus d'effet. Il en est de même des syllabes sonores plus ou moins, qui préparent le repos. On en verra des exemples frappans dans l'Oraison de M. Fléchier, que nous examinerons ciaprès.

Quoique nous n'ayons point de metres ou de pieds marqués par notre prosodie; comme nous avons les breves et les longues dont ils sont composés, et l'oreille pour les employer où elles conviennent; nous pouvons en faire ressentir l'effet dans nos compositions oratoires : on pourroit même marquer les pieds dans les chutes de cette période: » Le Juste » regarde sa vie, tantôt comme la fumée » qui s'éleve, qui s'affoiblit en s'éle»vant, qui s'exhale et s'evanouit dans

» les airs; tantôt comme l'ombre qui » s'étend, se rétrécit, se dissipe, som»bre, vuide et disparoissante figure. " Fléch. Cette matiere sera développée dans le Traité suivant.

La troisieme espece d'accord est celle des sons, des mots, des nombres avec le sujet qu'on traite, et avec la pensée qu'on exprime; c'est l'Harmonie proprement dite.

Il y a Harmonie dans les sons, doux, rudes, clairs, sonores, sombres, secs, selon les objets qui semblent, en une infinité de cas, avoir servi de modeles pour former les mots par l'imitation: comme tonner, siffler, claquer, voltiger, murmurer, etc.

Harmonie dans les mots, communs nobles, longs, courts, secs, résonnans, qui semblent se traîner ou qui se précipitent, selon les objets qu'on a à peindre.

?

Harmonie dans le style, qui est rapide ou lent, coupé ou périodique, figuré ou simple, serré ou développé, selon qu'il s'agit de prouver, ou de peindre, ou de raisonner, ou de toucher, ou de raconter, dans le genre élevé ou dans le médiocre.

Harmonie dans les espaces, qui sont plus ou moins marqués, plus ou moins fréquens, plus ou moins gradués, plus

« PreviousContinue »