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alteré fa santé ; il avoit l'air de la meilleure & de la plus ferme conftitution qu'on puiffe defirer. Il n'étoit nullement fombre ni rêveur; au contraire affés porté à la joie, & il fembloit n'avoir payé par rien ce grand génie mathématique.

On fentoit dans fes difcours les plus ordinaires la juftesse, la folidité, en un mot la Géométrie de fon efprit; il étoit d'un commerce facile, & d'une probité parfaite, ouvert & fincere, convenant de ce qu'il étoit, parce qu'il l'étoit, & n'en tirant nul avantage, véritable modeftie d'un grand homme; prompt à déclarer qu'il ignoroit, & à recevoir des inftructions, même en matiere de Géométrie, s'il lui étoit poffi ble d'en recevoir; nullement jaloux, non par la connoffance de fa fupériorité, mais par fon équité naturelle; car fans cette équité, ceux qui fe croyent, & qui font même les plus fupérieurs aux autres, font encore jaloux.

Il avoit épousé Marie-Charlotte de Romilley de la Chefnelaye, Demoifelle d'une ancienne noblefle de Breta gne, & dont il a eu de grands biens. Leur union a été jufqu'au point qu'il lui

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a fait part de fon génie pour les Mathématiques. Il en a laiffé un Fils & trois Filles.

ELOGE

DE MONSIEUR

BERNOUL LI.

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ACQUES BERNOULLI nâquit à Bafle le 27 Décembre 1654. Il étoit fils de Nicolas Bernoulli encore vivant, qui a des Charges confidérables dans fa République. Un des Freres de celui dont nous parlons, eft encore plus élevé en dignité que fon Pere.

M. Bernoulli reçut l'éducation ordinaire de fon temps; on le deftinoit à être Miniftre, & on lui apprit du Latin, du Grec, de la Philofophie Scholaftique, nulle Géométrie; mais dès qu'il eut vû par hafard des Figures Géométriques, il en fentit le charme, peu fenfible pour la plupart des Efprits. A peine avoit-il quelque Livre de Mathématique, encore n'en pou

fi

voit

voit-il jouir qu'à la dérobée:à plus forte raifon il n'avoit pas de Maître; mais fon goût, joint à un grand talent, fut fon Précepteur. Il alla même jusqu'à l'Aftronomie; & comme il avoit toujours à vaincre l'oppofition de fon Pere qui avoit d'autres vûes fur lui, il exprima fa fituation par une Devife, où il repréfentoit Phaeton conduifant le Char du Soleil, avec ces mots Latins qui fignifioient, Je fuis parmi les Aftres malgré mon Pere.

Il n'avoit que dix huit ans, & n'étoit prefque encore Mathématicien que par fa violente inclination pour les Mathématiques, lorsqu'il réfolut ce Problême Chronologique affés difficile, où les années du Cycle Solaire, du nombre d'Or, & de l'Indiction étant données, il s'agit de trouver l'année de la Période Julienne.

A vingt-deux ans il fe mit à voyager. Etant à Genêve, il apprit à écrire à une Fille qui avoit perdu la vûe deux mois après fa naiffance, & il imagina pour cela un moyen nouveau, parce qu'il avoit reconnu & par raifonnement & par expérience l'inutilité de celui que Cardan a propofé. A Bordeaux, il fit des TaTome V.

I

bles Gnomoniques univerfelles, qui font préfentement prêtes à imprimer. Après avoir vû la France, il revint chés lui en 1680. Là il commença à étudier la Philofophie de Defcartes. Cette excellente lecture l'éclaira plus qu'elle ne le perfuada, & il tira de ce grand Auteur affés de force pour pouvoir enfuite le combattre lui-même.

Heureusement à la fin de 1680 il parut un Phénoméne propre à exercer un Philofophe naiffant. C'étoit cette Cométe qui a fait naître des Ouvrages fameux, & entr'autres, le premier que M. Bernoulli ait donné au Public. Il l'intitula, Conamen Novi Syftematis Cometarum, pro motu eorum fub calculum revocando, & apparitionibus prædicendis. Il fuppofe que les Cométes font des Satellites d'une même Planete, fi élevée audeffus de Saturne, quoique placée dans le Tourbillon du Soleil, qu'elle est toujours invifible à nos yeux, & que ces Satellites ne deviennent visibles que quand ils font par rapport à nous dans la partie la plus baffe de leur cercle. Delà il conclut que les Cométes font des corps éternels, & que leurs retours peuvent être prédits; ce qui eft aufi la per

fée de M. Caffini. La Cométe de 1680 doit, felon le Syftême & le Calcul de M. Bernoulli,reparoître en 1719 le 17 Mai dans le premier degré 12 de la Balance. Voilà une prédiction bien hardie par l'exactitude des circonftances.

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Ici je ne puis m'empêcher de rapporter une objection qui lui fut propofée très férieusement, & à laquelle il daigne répondre de même; c'eft que fi les Cométes font des Aftres réglés, ce ne font donc plus des fignes extraordinaires de la colere du Ciel. Il effaye plusieurs réponses différentes, & enfin il en vient jufqu'à dire que la Tête de la Cométe qui eft éternelle, n'eft pas un figne, mais que la Queue en peut être un, parce que felon lui elle n'eft qu'accidentelle; tant il falloit encore avoir de ménagemens pour cette opinion populaire il y a vingt-cinq ans. Maintenant on eft difpenfé de cet égard; c'eft-àdire que le gros du monde eft guéri fur le fait des Cométes, & que les fruits de la faine Philofophie fe font répandus de proche en proche. Il feroit affés bon de marquer, quand on le pourroit, l'époque de la fin des erreurs qu'elle a détruites.

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