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qui lui faifoit naître des Observations
où les autres ne voyent rien; une
adreffe extrême pour démêler les rou-
tes qui menent aux Découvertes ; des
tours d'Expériences finguliers, & qui
feroient
trop artificieux, fi on avoit
tort de s'obftiner à connoître; une fi-
neffe fenfée, & une folidité délicate;
une exactitude qui, quoique fcrupu-
leufe, favoit écarter tout l'inutile;
toujours un génie de nouveauté pour
qui les fujets les plus ufés ne l'étoient
point. Il n'a point publié de Corps
d'Ouvrage. Il avoit commencé à don-
ner par morceaux dans nos Hiftoires
des Effais ou Elémens de Chimie ; car de la
manière dont il prenoit la Chimie, il
avoit lieu de ne pas croire que ce fûr
encore une Science faite. On a trouvé
dans fes Papiers le refte de ces Elémens
en bon ordre, & prêt pour l'impref-
fion. D'ailleurs nous n'avons de lui
qu'un grand nombre de petits Mémoi-
res fur différens fujets particuliers;
mais de ces petits Mémoires il n'y en a
aucun qui ne donne des vûes, & qui
ne brille d'une certaine lumiere, & il
y en a plufieurs dont d'autres auroient
fait des Livres avec le fecours de quans
Tome V
Na

tité de chofes communes qu'ils y au roient jointes. Nous avons déja dit combien il étoit éloigné de l'oftentation; il l'étoit autant du myftere, fi ordinaire aux Chimistes, & qui n'eft qu'une autre efpéce d'oftentation où l'on cache au lieu d'étaler. Il donnoit de bonne grace ce qu'il favoit, & laiffoit aux gens à fentir le prix de ce qu'il leur avoit donné. Sa maniere de s'expliquer étoit tout-à-fait fimple, mais méthodique, précife, & fans fuperfluité. Soit que le François fûr toujours pour lui une Langue étrangere, foit que naturellement il ne fût pas abondant en paroles, il cherchoit fon mot prefque à chaque moment, mais il le trouvoit. Jamais on n'a eu des moeurs plus douces ni plus fociables: il étoit même homme de plaifir; car c'eft un mérite de l'être, pourvû qu'on foit en même temps quelque chofe d'oppofé. Une Philofophie faine & paifible le difpofoit à recevoir fans trouble les différens événemens de la vie, & le rendoit incapable de ces agitations dont on a, quand on veut, tant de fujets. A cette tranquillité d'ame tiennent néceffairement la probité & la droi

ture; on eft hors du tumulte des paffions; & quiconque a le loifir de penfer, ne voit rien de mieux à faire d'être vertueux.

que

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ELOGE

DU PERE

MALEBRANCHE

ICOLAS MALEBRANCHE nâquit &

NICOLAS MALEBRONS, de Nicolas

Malebranche, Secretaire du Roi, Tréforier des cinq groffes Fermes, fous le Miniftere du Cardinal de Richelieu & de Catherine de Lauzon, qui eut un Frere Viceroi du Canada, Intendant de Bordeaux, & enfin Confeiller d'Etat. Il fut le dernier de dix Enfans. Un de fes aînés mourut en 1705 Confeiller de la Grand'Chambre, & fort estimé dans le Parlement.

Ce Cadet d'une finombreuse Famille fut fort difficile à élever, à cause de la foibleffe de fa complexion, & de fes infirmités continuelles. Il avoit même

une conformation particuliere, l'Epine du dos tortueufe, & le Sternon extrémement enfoncé. Il lui fallut une édu cation domestique, & il ne fortit de la Maison paternelle que pour faire fa Philofophie au Collège de la Marche, & fa Théologie en Sorbonne. Il les fit en homme d'efprit, mais non en génie fupérieur. Il s'étoit toujours deftiné a l'Etat Eccléfiaftique, où la Nature & la Grace l'appelloient également; & pour s'y attacher encore davantage, en confervant néanmoins une liberté qui ne lui étoit pas fort néceffaire, il entra dans la Congrégation de l'Oratoire à Paris en 1660.

Il voulut fe mettre dans quelque étude convenable à fa Profeffion, & par le confeil du P. le Cointe, fameux Auteur des Annales Ecclefiaftici Francorum, il s'appliqua à l'Hiftoire Eccléfiaftique. Il commença par lire en Grec Eusebe, Socrate, Sozomene, Théodoret; mais les faits ne fe lioient point dans fa tête les uns aux autres, ils ne faifoient que s'effacer mutuellement, & un travail inutile produifit bientôt le dégoût. Le célébre M. Simon, qui étoit alors de l'Oratoire & à Paris,

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voulut attirer à lui, c'eft-à-dire à l'Hébreu & à la Critique de l'Ecriture Sainte, ce déferteur de l'Hiftoire, & le P. Malebranche entra fous fa conduite dans cette nouvelle carriere peu différente de l'autre; auffi n'y faifoit-il pas encore de grands progrès.

Un jour comme il paffoit par la rue Saint Jacques, un Libraire lui préfenta le Traité de l'Homme de M. Defcartes, qui venoit de paroître. Il avoit 26 ans, & ne connoiffoit Defcartes que de nom, & par quelques objections de fes Cahiers de Philofophie. Il fe mit à feuilleter le Livre, & fut frappé comme d'une lumiere qui en fortit toute nouvelle à fes yeux. Il entrevit une Science dont il n'avoit point d'idée, & fentit qu'elle lui convenoit. La Philofophie Scholaftique qu'il avoit eu tout le loifir de connoître, ne lui avoit point fait en faveur de la Philofophie en général l'effet de la fimple vûe d'un Volume de Descartes ; la fympathie n'avoit point joué, l'uniffon n'y étoit point, cette Philofophie ne lui avoit point paru une Philosophie. Il acheta le Livre, le lut avec empreffement, & ce qu'on aura peut-être peine à croire

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