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A la suite de cette lecture, M. GIRAUD a demandé la parole pour présenter quelques observations; il s'est exprimé à peu près en ces termes :

« Je partage entièrement les vues de notre éminent confrère; je pense comme lui qu'en cette matière l'œuvre du législateur est à peu près complète, et que les lois qui nous régissent, sainement entendues, progressivement améliorées, suffisent aux besoins nouveaux des classes industrielles. J'adhère également aux conclusions qui résument ce remarquable mémoire. Il faut choisir entre la liberté ou l'asservissement : la liberté avec ses dangers et ses abus, mais avec ses joies et ses triomphes; ou bien l'asservissement, inévitable résultat de ce qu'on appelle si improprement l'organisation du travail. Il n'y a pas de milieu. A ces titres, j'applaudis sans réserve aux idées de l'honorable M. Vivien, dont le travail jette de si vives lumières sur ces difficiles questions.

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« Si j'ai demandé la parole, c'est pour lui soumettre humblement de courtes observations. Ne pourrait-on pas compléter son intéressante analyse de notre législation industrielle, en signalant les bienfaits des lois récemment votées pour assurer les développements de l'instruction primaire : de ces lois sagement libérales qui ont obligé toutes les communes de France à fournir le traitement nécessaire à l'entretien d'un instituteur? Elles ont produit des résultats vraiment merveilleux. Aujourd'hui très-peu de communes restent encore sans instituteur; et tous les jours le conseil royal de l'Université autorise de nouveaux établissements qui complètent cette belle œuvre. Il est une autre prescription qui contribue puissamment à améliorer le sort et l'éducation des classes industrielles, c'est celle qui oblige les communes de plus de 6,000 âmes à entretenir des écoles supérieures primaires.

Mais, à mon sens, il faut encore avancer dans cette voie ; il faut demander à la législature un complément à la loi de 1833, et les ressources nécessaires pour combler de trop évidentes lacunes. Je ne veux pas ici traiter de nouveau une question déjà débattue dans cette enceinte, ni revenir sur la théorie de l'enseignement public, telle qu'elle est actuellement pratiquée et dont je crois le maintien nécessaire. Ce que je demande, c'est un complément à l'organisation de l'éducation industrielle. Comment nier l'insuffisance des écoles primaires? De tous côtés, à Lyon, à Marseille, à Rouen, s'élèvent des établissements nouveaux, spécialement consacrés à l'enseignement industriel; ces établissements ne peuvent pas être des annexes de nos colléges; l'expérience a trop bien démontré qu'il est impossible de comprendre deux classes d'élèves sous le même toit et dans le même établissement, sans qu'il s'élève entre elles de déplorables dissidences. Ce qu'il faut qu'on organise, ce sont des établissements spéciaux, destinés à l'éducation professionnelle. Voyez ce qui se passe dans plusieurs grandes villes! A Passy, aux portes de Paris, les frères de la doctrine chrétienne ont fondé une maison pour les enfants qui aspirent à la carrière industrielle; ce pensionnat, qui compte plus de 500 élèves, a déjà donné, d'après les derniers rapports, les résultats les plus satisfaisants. Nantes, Toulouse, Lyon, possèdent des institutions de même nature; Marseille prépare des bâtiments pour un établissement analogue; ce sont là des indices très-certains de besoins sérieux, réels, et qui réclament satisfaction. Ces faits doivent appeler l'attention de l'autorité supérieure; le rôle de l'Etat est ici d'intervenir; il ne peut pas, sans abdiquer, abandonner à l'industrie privée la solution de pareils problèmes; n'a-t-il pas la mission et le devoir de surveiller l'instruction publique à tous les degrés ? N'allons pas toutefois accuser trop sévèrement notre législation. Les progrès de l'industrie sont, comme les lois sur l'instruction publique, de fraîche date; la paix et

le développement de toutes les connaissances humaines ont déterminé des tendances qui se manifestent chaque jour avec une activité nouvelle. L'Etat doit règler ces tendances et satisfaire les besoins avec les moyens puissants de moralisation et de civilisation dont il peut seul disposer.

MÉMOIRE (1)

SUR LA

PHILOSOPHIE INDIENNE

PAR

M. BARTHÉLEMY SAINT-HILAIRE.

C'est à Colebrooke que nous devons à peu près tout ce que nous savons de la philosophie indienne. Les travaux antérieurs, bien qu'ils nous eussent déjà donné quelques renseignements précieux, étaient incomplets, et les travaux qui ont suivi n'ont guère fait que reproduire ou développer les siens. Colebrooke avait résidé de longues années dans l'Inde, où il avait rendu à la civilisation et à la science des services nombreux et importants: il avait été en communication avec les plus savants pandits; et, fort versé lui-même dans la connaissance du sanscrit, il a pu lire personnellement ou se faire lire la plupart des monuments de la philosophie indienne. C'est là une bonne fortune que Colebrooke a été le seul jusqu'à présent à avoir : et il est probable qu'il s'écoulera bien du temps encore avant qu'il n'ait de rival. Il a déposé le résultat de ses recherches dans cinq mémoires qui ont été communiqués à la société asiatique de Londres de 1823 à 1827, et

(1) Ce travail doit paraître dans l'une des prochaines livra sons du Dictionnaire des sciences philosophiques.

qu'elle a publiés dans le 1er et le 2e volume de son recueil. Plus tard, en 1837, ces mémoires ont été reproduits dans les Mélanges, en deux volumes, qui contiennent le résumé des travaux philologiques et philosophiques de Colebrooke. C'est à cette source, qui est presque la seule, et qui certainement est la plus abondante et la plus pure, que seront puisées la plus grande partie des analyses qui suivront. On a fait avec raison quelques reproches assez graves à Colebrooke : évidemment, il ne connaît pas assez la philosophie en général; s'il eût mieux possédé lui-même les problèmes que discute la science, il aurait mieux compris les solutions que les Indiens ont essayé d'en donner. Les rapprochements qu'il fait quelquefois entre les systèmes de la philosophie sanscrite et les premiers systèmes grecs, attestent des études très-insuffisantes et très-peu exactes. D'un autre côté, le style de Colebrooke est fort loin d'être clair : le mode d'exposition qu'il adopte est souvent confus; sans être aussi savant que lui, on peut affirmer qu'il a réuni des choses qui devraient être séparées, et que sa classification des systèmes offre des incohérences manifestes. Il est probable que cette classification lui a été fournie par les pandits eux-mêmes; mais l'histoire de la philosophie, au point où elle en est aujourd'hui, ne peut admettre cette classification, et les principes certains sur lesquelles se fonde la science sont en contradiction complète avec ceux que Colebrooke a cru pouvoir appliquer.

Quelque justes que soient ces critiques, il faut faire la plus haute estime des mémoires de l'illustre indianiste; et, pour apprécier tout ce qu'ils valent, il faut nous demander ce qu'on savait avant eux, et à quoi nos connaissances se réduiraient encore s'ils n'existaient pas.

On peut voir dans Brucker ce que l'érudition du xviie siècle possédait sur la philosophie indienne. Les Grecs avaient pénétré avec Alexandre jusqu'à l'Indus, et ils avaient recueilli des notions fort curieuses sur les peuples qu'ils avaient

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