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au plus de me montrer le germe de ma réflexion. Si vous m'étalez trop fouvent des maximes, des fentences; fi vous prêchez à chaque page, comme l'ont fait quelques modernes ; quelque bien écrite que foit votre Hiftoire, je m'ennuie de recevoir la leçon; je prends pèu-à-peu congé du maître, & je le laiffe feul dans fa chaire.

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Ce défaut n'eft en général que celui d'une ame vraiment vertueufe, qui avec beaucoup d'imagination a fait provision de philofophie. Il y a par-tout des rapports avec les principes de morale. On les faifit vivement, on ne peut se réfoudre à perdre une maxime, une réflexion, qui féduit par fon tour heureux.

Les images vives figurent avec plus d'éclat encore que les penfées dans l'Hiftoire elles reviennent plus fouvent, & tiennent plus de place dans le difcours.

On peint les faits : c'eft le combat des Horaces & des Curiaces; c'est la peste de Rome, l'arrivée d'Agrippine avec les cendres de Germanicus, où Germanicus lui-même au lit de la mort.

On peint les traits du corps, le caractere de l'efprit, les mœurs : c'eft Ca ton, Catilina, Pifon, &c. Les maîtres rigides en éloquence, veulent cependant qu'on peigne les hommes par leurs ac

tions plutôt que par des mots. Auffi Homere & Virgile, qu'on peut regarder comme les modeles du beau en fait de récits, font-ils extrêmement réservés fur ces tableaux d'attache, où l'écrivain s'amufe à crayonner les idées que le lecteur doit fe donner d'après les faits, s'il eft intelligent. Car c'est à lui à tirer par induction, le caractere des acteurs qu'on lui a présentés. Faut-il le tenir par la main ou même le porter dans toute la route? Le moyen de le tenir éveillé, eft de l'exercer, de lui donner une tâche. Pourvu qu'elle ne foit pas trop forte, il la remplira avec un retour de fatisfaction fur lui-même; & faura gré à l'auteur de la bonne opinion qu'il a eue de lui.

Après tout ce que nous avons dit cidevant fur l'élocution, ce qui reste de détail par rapport au ftyle de l'Hiftoire fe réduit à peu de choses. On fent qu'il ne doit s'y trouver aucune figure oratoire, parce que ces figures font faites pour exprimer les paffions; or un hiftorien n'en a point: il n'a ni amis, ni ennemis parens, ni patrie. Il n'a rien à prouver, ni à détruire; il n'accuse ni ne défend. Tout fon office eft d'expofer la chose comme elle eft. Nihil iratum habet, nihil invidum, nihil atrox, nihil mirabile, nihil aftutum; cafta, verecunda, virgo

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incorrupta quodam modo. Cicéron, Tacite & Sallufte femblent avoir eu cette partie plus que Tite-Live. On fent en lifant celui-ci qu'il étoit Romain; chez lui on estime Annibal, on l'admire; mais on a peur de lui, parce qu'on aime Rome. Après tout, ce défaut étoit une beauté pour les Romains. Qui eft affez philofophe pour ne dédier fon ouvrage qu'au genre humain, ou à la postérité ?

Nous ne parlons pas de Quinte-Curce qui n'a fait proprement qu'un éloge d'Alexandre; ni de Xenophon qui n'a prétendu que donner le modele du parfait Monarque. Ce dernier eft le plus fimple, le plus naïf de tous les hiftoriens, fi on en excepte Céfar, qui s'eft montré en ce genre, comme dans les autres, le premier homme de fon fiecle. Il n'est point frifé, dit Cicéron, ni paré, ni ajusté, mais il eft plus beau que s'il l'étoit. Les tours recherchés, les expreffions fortes les pensées brillantes conviennent plus à un Rhéteur, qui veut attirer fur lui une partie de l'attention qui n'eft due qu'au fujet, qu'à un homme de bon fens. Tout cet appareil déguise l'histoire plutôt qu'il ne l'embellit.

La principale qualité du ftyle historique, eft d'être rapide : l'hiftorien fe hâte d'arriver à l'événement; & c'eft pour lui

furtout qu'eft vraie la maxime d'Horace :

Et brevitate opus, ut currat fententia neu fe
Impediat verbis laffas onerantibus aures.

Il doit être proportionné au fujet. Une hiftoire générale ne s'écrit point du même ton qu'une hiftoire particuliere; c'est prefque un difcours foutenu: elle eft plus périodique, & plus nombreufe. Tite-Live & Tacite ont une maniere plus élevée que Cornelius Nepos, Quoique le caractere même de l'écrivain contribue fouvent autant que le fujet à lui donner plus ou moins d'élévation; quelqu'effort qu'on falle , on ne peut s'oublier affez foimême pour ne pas affaifonner les chofes à fon goût. Et après tout, quelle autre loi y a-t-il pour guider un écrivain? Il s'agit de l'avoir bon.

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CHAPITRE VI.

De l'Hiftoire Naturelle.

E Chancelier Bacon dans cet ouvrage admirable, où il préfente le tableau de la perfection poffible des sciences, divife l'Hiftoire Naturelle en trois branches, dont la premiere concerne les ouvrages réguliers de la nature, c'est-àdire, ceux où il nous femble que les loix

ordinaires de la nature ont été fuivies; la feconde fes égaremens, c'eft-à-dire, les ouvrages où la nature femble s'être écartée de fa marche ordinaire; la troisieme, les arts, c'est-à-dire, les ouvrages où la nature eft employée ou imitée par l'induftrie des hommes; en trois mots, la liberté, les écarts & les chaînes de la Nature, ou les productions conftantes qui fe renouvellent chaque jour dans la même efpece; les phénomenes extraordinaires qui de tems en tems frappent les yeux & étonnent l'imagination; les ouvrages que l'adreffe & l'effort de l'efprit 'humain tirent du fonds de la nature: voilà l'objet de l'Hiftoire Naturelle.

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Quiconque entreprend de l'étudier ou de l'écrire, doit fonger que l'Univers. eft le temple de la Divinité. Si, comme l'a dit un Payen, lorfque nous nous préfentons devant les autels nous abaiffons nos regards, fi nous prenons tout l'extérieur de la modeftie & du refpect; à plus forte raifon, devons-nous être réfervés & refpectueux, lorfque nous entreprenons de reconnoître les aftres, le ciel, les dieux. Défions-nous de nousmêmes, craignons d'affurer ce que nous ne favons pas, ou de diffimuler ce que nous favons. C'eft Ariftote qui nous donne cet avis important. Platon, pénétré de

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