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& dont il n'eft pas difficile à l'oreille de fe contenter. Peut-être même qu'il feroit ridicule d'en demander davantage dansun exercice. Veut-on qu'un enfant fasse tour-à-tour mille rôles différens; qu'il fe plie à mille caracteres qu'on lui fait paffer dans la mémoire? Qu'il déclame comme Bourdaloue, & qu'une ligne après il fasse le Crifpin? Il confifte 2°. à prononcer d'un ton d'intérêt : c'eft-à-dire, en appuyant fur certaines fyllabes, pour faire fortir l'ame & exprimer la verve : 3o. à faire fentir la rime, furtout la féminine, dans la haute poéfie, fans néanmoins s'arrêter qu'aux points & aux virgules. Car c'eft une faute de s'arrêter à la rime, quand le fens ne l'exige point.

Quant au Gefte, on croit communément que faire des geftes, c'eft remuer furtout les mains. Faire des geftes, c'est montrer par le maintien ou le mouvement du corps, qu'on fent, ou qu'on penfe. C'eft un langage qui ne s'adreffe qu'aux yeux. Au lieu que les mots & les tons s'a

dreffent aux oreilles.

Il feroit auffi ridicule de demander aux enfans les grands geftes, que les tons paffionnés de la chaire ou du théâtre. Qu'ils fe tiennent bien, qu'ils aient un air gracieux & conforme à ce qu'ils difent, qu'ils paroiffent fentir, c'eft allez. Tome IV. I

S'ils font quelque mouvement des mains, que ce foit des naiffances de geftes; plutôt que des geftes formés. Ils n'en plairont pas moins. Ils auront l'air d'être retenus par une certaine honte, qui, à leur âge, fait une grande partie des graces.

Pour leur occuper les yeux, il faut leur faire imaginer les perfonnes à qui ils font cenfés parler, leur fituation leur attention. Par exemple, s'ils récitent la fable du Chêne & du Roseau, & que ce foit le Chêne qui parle, il faut leur faire imaginer un Roseau, qui écoute, dans un lieu, vers lequel leurs yeux, & le peu de geftes qu'ils feront, puissent fe porter.

Pour les mains, comme elles les embarraffent fort, la gauche, furtout, qu'on leur donne d'abord un livre, un papier roulé, un dos de chaife qui les cache à moitié & leur ôte une partie de leur embarras; cela vaut mieux qu'un bras qui fait la pagode, avec une monotonie dégoûtante. Dans les choses qui doivent fe faire avec goût, le premier point eft de mettre l'acteur à fon aife. Il y a des caracteres plus fouples les uns que les autres on voit des enfans qui ont des graces dès le berceau. D'autres, au contraire, font gauches dans tous

feurs mouvemens. Les premiers n'ont prefque pas befoin de maîtres: il fuffit de leur montrer le chemin & de les laiffer aller à cette aimable liberté, qu'une autorité fombre ne manqueroit pas d'éteindre. Quant aux autres, fi on leur donne des leçons, il faut qu'elles foient toujours gaies & riantes. Il n'y a guere qu'une mere tendre & sensée qui puiffe heureusement corriger ce défaut; ou fi un autre l'entreprend, il faut qu'il en prenne les fentimens.

J'oubliois de dire qu'il faut bien fe garder de laiffer faire d'eux-mêmes aux Jeunes-gens les premiers effais. Ils prendroient des habitudes qu'il feroit prefque impoffible de réformer. Il faut leur donner l'exemple, & dire devant eux comme on veut qu'ils difent : leur répéter plufieurs fois les tons, les airs de tête, &c. puis les engager à s'effayer fur le champ. S'ils n'ofent le faire en présence de leurs maîtres, il faut leur dire de s'exercer feuls, vis-à-vis d'un miroir. Là, ils s'écouteront, fe regarderont à leur aife, & pour peu qu'ils aient un commencement de fens & de goût, ils fauront bien retrouver les geftes du modele, ou les remplacer. Après cela, ils reparoîtront avec plus de confiance, & par conféquent avec plus de fuccès. Les hommes font

hommes à tout âge. Il faut toujours refpecter leur amour-propre devant les autres: Hæc omnia magis monitoris non fatui, quàm magiftri eruditi.

MA

CHAPITRE II.

Importance de la Prononciation Oratoire. AINTENANT on me permettra ďadreffer ici un mot aux Orateurs, & de leur faire fentir la liaison qu'il y a entre l'élocution du gefte & dù ton de voix, & celle des mots; & de quelle importance il eft que les mots, les tons de voix, les geftes foient parfaitement d'accord dans celui qui parle.

Notre objet ici n'eft nullement de donner des regles. Nous nous bornerons à un feul point c'eft de faire entrevoir au moins l'étendue & le nombre des chofes que comprend l'art de déclamer; afin que fi quelqu'un s'avifoit de l'étudier pour fon propre ufage, il connût à-peu-près fon objet. Nous conviendrons même, fi on veut, que chacun doit presque être fon propre maître dans ce genre, & que les avis donnés, fur:out par écrit, font, pour ainfi dire, en pure perte.

Les Anciens avoient fur les geftes & fur les tous de voix une collection de pré

ceptes qui faifoit un Art, & qui fervoit de regle à ceux qui devoient parler en public. Ils croyoient même que cette partie étoit une des plus confidérables de l'art de perfuader & de toucher.

Pour nous, nous avons cru qu'il étoit plus court de croire & de dire fans ceffe, qu'il faut s'abandonner à l'instinct dans la déclamation, qu'il n'y a point de regles pour cette partie, & que, fi on vouloit s'avifer d'y en mettre, ce feroit un moyen infaillible de détruire la nature; ou au moins de la gâter. Si ce raisonnement étoit jufte, il ne faudroit point de regles non plus pour l'élocution; parce que locution naturelle est toujours celle qui a le plus de charmes & le plus de forces. Il en feroit de même de tous les autres arts, dont l'objet eft de régler, de polir, de fortifier les facultés naturelles, pour les porter plus furement à leurs fins.

l'é

Tout le monde a entendu parler des défis que fe faifoient entr'eux Cicéron & Rofcius. L'Orateur exprimoit une penfée par des mots. Le Comédien fur le champ l'exprimoit par des geftes. L'Orateur changeoit les mots, en laiffant la pensée : le Comédien changeoit les geftes, & rendoit encore la pensée. Voilà donc deux moyens de s'exprimer, qui se suffisent à eux-mêmes pour représenter les penfées, la parole & le gefte. I 3

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