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il ne s'occupe point dans fon enthoufiafme d'éviter les fyllabes dures, ni les bâillemens de voyelles, ni les chocs de confonnes; il n'étudie point l'art des chutes finales, ni la gradation fymétrique des nombres; il écrit avec feu avec force, avec rapidité, femblable à une fource abondante qui jette fes flots. Ce ne fera que quand il reviendra fur fa production qu'il s'occupera de ces attentions menues. C'est alors qu'il fonge à corriger les fautes, qu'il écarte les équivoques, qu'il éclaircit les obfcurités, qu'il retranche les longueurs, qu'il rectifie les inégalités, qu'il enleve les impropriétés & les incorrections. Quelquefois même il fait plus: il fupprime des beautés qui auroient trop d'éclat il réduit une comparaifon en métaphore pour ferrer le style; il abat un grand mot, il efface une image, il ôte une figure, il tronque une période, un nombre une fymétrie pour paroître plus vrai, & réveiller l'oreille par un écart ou une chute précipitée; il laisse même des inexactitudes légeres qui pourront fervir de pâture à la critique, mais qui n'arrêteront point les gens de goût. Pourquoi? Parce qu'il fait que le fublime de tout art imitateur, eft de difparoître entierement pour ne laiffer voir que la na

ture, qui feule a droit de toucher, de plaire, de perfuader.

CHAPITRE XIII.

Quelques obfervations fur la maniere de fe former le ftyle.

N

Ous terminerons cette fection en difant un mot de la maniere dont on peut fe former le ftyle.

On fait qu'il faut premierement lire beaucoup, & les meilleurs écrivains : fecondement écrire foi-même; Cicéron a

dit

que la plume étoit le meilleur maître en ce genre: Stylus optimus dicendi magifter troifiemement, imiter. Je ne m'arrêterai que für ce dernier article.

Il femble que la maniere dont on s'y prend pour former le ftyle par l'imitation, ne peut produire que très-peu d'effets. On propofe au jeune écrivain un morceau de Cicéron, ou de tel autre auteur fameux, dont on veut qu'il transporte le tour & la conftruction fur une autre pensée qu'on lui donne à habiller. Mais cette pensée eft différente de celle de Cicéron, par conféquent elle fera habillée fur une autre mefure que la fienne propre. On voit tout d'un coup ce qui doit en réfulter.

On a obfervé que toutes les fois que les jeunes gens imitent, ils défigurent leur propre ouvrage plutôt que de l'enrichir. Ils prennent toujours trop, ou trop peu de leur modele. Rarement ils ont l'eftomac affez bon pour faire comme l'abeille qui tire de la rofe, des lis, du thim, un fuc dont elle compose un autre fuc tout différent de celui qu'elle a tiré. Les imitateurs mal adroits, rendent le thim, les lis, la rofe, tels qu'ils les ont trouvés, avec cette feule différence, que ces fleurs ont été flétries en paffant par leurs mains.

A la bonne heure, s'il s'agit de leur montrer le tour grammatical, qu'on leur préfente une espece de moule, pour dreffer leur phrafe: qu'à l'imitation de celleci, par exemple: Ad rivum eundem lupus & agnus venerant fiti compulfi: » Le » loup & l'agneau preffés par la foif >> étoient venus au même ruiffeau, » on leur propofe cette autre : Le frere & la fœur preffés par l'amour s'étoient approchés de leur pere: Ad patrem fuum frater & foror venerant amore compulfi. Ces opérations fe pratiquent avec beaucoup de fuccès, & font fentir parfaitement le caractere des deux langues.

Mais quand il s'agit d'écrire un morceau de quelque étendue, de l'écrire auffi

bien qu'il peut être écrit, dans le style & le ton qui lui conviennent; fi on veut y arriver par le fecours de l'imitation, voici ce femble de quelle maniere on peut procéder.

Avant que de commencer un concert, les muficiens montent chacun leur inf trument fur un même ton, qu'ils prennent d'un inftrument sûr & invariable. par lui-même.

Avant que de prendre la plume, l'écrivain imitateur doit de même choisir un modele certain, & le prendre précifément dans le genre où il veut travailler lui-même. S'il s'agit d'une oraison latine, il ne lira ni Sallufte, ni Tite-Live, encore moins Plaute & Térence. Il ne lira pas même les livres philofophiques de Cicéron, ni ceux qui concernent la rhétorique , encore moins fes lettres; mais il lira fes oraifons, & furtout celles qui font dans le même genre que celui qu'il veut traiter. Ce fera fon difcours pour Marcellus, pour la loi Manilienne, pour Ligarius, &c. s'il s'agit de louer. Il prendra les Verrines, les Catilinaires les Philippiques, &c. s'il s'agit de blâmer. Si j'avois à composer un poëme héroïque, je m'attacherois à la lecture feule de Virgile, non dans fes Paftorales, ni dans fes Géorgiques; mais dans les

endroits de fon Enéïde qui auroient le plus de rapport à mon fujet; & après avoir écouté quelque tems le fon de fa trompette, après m'être rempli l'oreille de fes accords, quand je me fentirois échauffé par fon génie; alors je m'élancerois pour chanter les combats. Chaque fois que je reviendrois à mon ouvrage, je me préparerois au travail par la même précaution; & s'il arrivoit que l'oracle fût fourd à ma demande, que je n'entendiffe point fa voix, j'attendrois un moment plus favorable. Virgile par ce moyen feroit feul mon Apollon & mon Ariftarque, mon génie & mon juge.

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Quand mon ouvrage feroit achevé, & qu'il ne s'agiroit plus que de le polir allant fans ceffe au modele, & revenant de même à mon travail, j'effayerois fi l'impreffion feroit continue en paffant de l'un à l'autre. Quelle fatisfaction si du moins en quelques endroits je retrouvois le même nerf, la même dignité, la même naïveté la même harmonie! On prend infenfiblement les mœurs de ceux avec qui on vit. Cela fe fait même fans qu'on s'en apperçoive. Qu'arrivera-til fi on tâche, fi on s'efforce de reffembler?

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Quiconque lit dans l'intention d'imiter, doit pendant quelques jours fe don

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